Le Plan Nord : Comment passer aux actes ?

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Par Lauren Rochat


Mots-clés : Plan Nord

 

Un moment fort de l’école d’été de l l’Institut du Nouveau Monde (INM),  fut la présence de trois invités venus présenter trois visions différentes de ce mégaprojet québécois : un point de vue politique, social et économique.

 

Le plan Nord, un mégaprojet avec des méga-avantages

Robert Sauvé, secrétaire général associé du Bureau de transition du Plan Nord, a présenté les objectifs du plan de développement en 25 ans du grand Nord québécois.

Le territoire d’application représente plus de deux fois la France et touchera 4 grands groupes autochtones : les Cris, les Inuits, les Innus et les Naskapies.

Ce projet devrait permettre un développement du Québec dans différents domaines : au niveau énergétique, minier, forestier, bio-alimentaire, touristique, du transport et de la protection de la biodiversité.

Il est basé sur quatre grands objectifs, soit assurer le mieux-être et le développement des communautés ; mettre en valeur l’immense potentiel économique du Nord québécois ; rendre le Nord plus accessible  et veiller à la protection de l’environnement.

Les bénéfices prévus représentent, pour la part des investissements privés et publics, un minimum de 80 G $, et les recettes fiscales environnent 14 G $. Actuellement, ce sont déjà 30 G $ d’engagés ou planifiés.

D’après le gouvernement, comment ne pas succomber ?

 

Le plan Nord, une méga-impasse sociale

« Si le Plan Nord est le projet d’une génération, la Baie James était le projet du siècle ». Carole Lévesque, directrice du réseau DIALOG et professeure à l’INRS, a commencé sa conférence par un rappel de la Convention de la baie James (1975) : «  Je suis surprise que l’on est oublié ce qui s’est passé dans les 40 dernières années en terme de développement ».

D’après elle, en prenant l’angle des sciences sociales, il y a encore beaucoup à faire : « Je suis renversée par l’improvisation totale avec laquelle la majorité des personnes parle du Nord sans y avoir été (…) : le monde autochtone est un monde en soi, avec plus de 2000 instances autochtones. Comment peut-on, nous, du Sud, parler du Nord sans y être ? ».

Il y a eu des tentatives de rapprochement du gouvernement avec ces instances, mais, selon la professeure, ce n’est pas suffisant : « Jean Charest part de l’idée que l’on va ouvrir le Nord, mais il est déjà ouvert.

On entend parler du Nord comme d’une terre à découvrir. Les cartes d’il y a encore 40 ans indiquaient TNO (Territoire Non Organisé) pour le Nord Québécois, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas».

Carole Lévesque revient sur la manière dont les négociations se déroulent : « C’est aux populations autochtones de décider de leur développement économique, social, environnemental et politique. Si des choix ne leur conviennent pas, on doit alors s’adapter. »

Par exemple, les Cris ont développé leur propre vision de développement, et s’opposent aux mines d’uranium. D’après Carole Lévesque, notre travail n’est pas de les aider, mais de les reconnaître, de les écouter et de travailler avec un réel partenariat.

« Il faut créer des occasions de rencontres régulières, leur donner l’occasion de s’exprimer. En soi, ces populations ne sont pas contre le développement, mais, ce qui les freine, c’est le mode de négociation très précipité du gouvernement : notre travail devrait commencer par s’approprier l’information existante, mais aussi de reconnaître le manque d’information. »

 

Des solutions ?

Selon Carole Lévesque, il manque deux chapitres au Plan Nord.

Un chapitre devrait faire part d’une étude d’impacts sociaux notamment en considérant la réorganisation du territoire. En effet, la mise en place de centres d’attraction économiques va amener un déplacement de population. Ainsi, la création d’une minière à un point P va amener les populations locales à aller travailler à cet endroit.  

Qu’en est-il des services mis en place dans les villes actuelles ? Cette perte des services est déjà observée dans le « Petit Nord » (entre le 46 et le 49 parallèles) ; l’impact de l’itinérance ne doit pas être sous-estimé.

Un autre chapitre devrait intégrer l’aspect sociétal en terme d’innovation sociale, qui pourrait commencer par s’appliquer sur la manière dont se déroule le dialogue entre le gouvernement et les instances autochtones.

 

Le plan Nord, une méga-confusion économique

Stéphane Pallage (professeur et vice-doyen à la recherche de l’ESG – l’UQAM), en tant que spécialiste de l’économie du développement, apporte un autre niveau de lecture au Plan Nord. 

Tout d’abord, il présente un constat, en s’appuyant sur les chiffres du rapport du Vérificateur général du Québec. En 2008, 14 entreprises opéraient sur ce territoire et trois d’entre elles ont payé des redevances.

La valeur brute extraite du minerai a représenté 3 milliards de dollars. Il faut noter que 2008 est une bonne année pour les redevances fiscales ;  le taux de rendement était alors de 3 % sur le minerai extrait, soit le plus haut taux mis en place au Québec.

Ainsi, les redevances au Québec (soit l’apport financier des mines) représentaient uniquement 92 millions de dollars. Toutefois, le coût pour le Québec en terme d’avantages fiscaux représente 138 millions dollars. La conclusion comptable est évidente : les coûts (138 M $) sont plus élevés que les avantages (92 M $).

 

Vers un chantier lucratif ?

Toutefois, cette analyse comptable simplifie les apports économiques de cette industrie. Du point de vue de la macroéconomie, qui est le réel outil d’analyse des politiques économiques, il faut avoir une vision plus large des gains.

Ainsi, si des entreprises de transformations des minerais sont intégrées au Plan Nord, par le biais de nouvelles recettes fiscales et des salaires des employés de cette industrie, le Plan Nord devient un chantier lucratif.

Stéphane Pallage s’interroge également sur la manière dont sont mises en place les redevances des minières. Le gouvernement québécois se base sur les quantités extraites pour fixer les redevances. Ces données proviennent des rapports comptables des entreprises et il n’y a pas de vérification indépendante.

Toutefois, d’autres solutions existent : en Alberta, les redevances ne sont pas basées sur les profits, mais sur l’évolution des marchés. Ainsi, les redevances peuvent varier de 0 à 40 %, suivant la valeur des extractions.

Au niveau du transport, ce Plan intègre un réel apport au niveau du réseau des communications dans le Nord, entièrement financé par le gouvernement du Québec. Toutefois, est-ce que les entreprises n’auraient pas réalisé ces investissements si le Québec ne le faisait pas?

De plus, en considérant l’apport financier du gouvernement du Québec pour réaliser ce plan, pourquoi  celui-ci n’aurait-il pas une participation dans les entreprises? L’actionnariat permettrait d’obtenir des redevances supplémentaires, mais aussi des bénéfices sur les gains de l’entreprise.

 

Un Work in Progress

Comme Robert Sauvé le rappelle, le Plan Nord est un « Work in Progress ». Il y a plusieurs étapes pour la réalisation de ce chantier, qui se déclinent suivant les 4 P : La Politique engendre un Plan, qui appuie les Programmes encadrant les Projets.

Ainsi, si le Plan Nord est le chantier d’une génération, son développement correspond à une vision politique. Il s’agit, le 4 septembre prochain, de décider dans les urnes de quelles visions politiques il sera le fruit.

 

Source: GaïaPresse

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