Une piasse et cinquante!

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Par Karel Mayrand
Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki


Mots-clés: Prix de l'essence, compagnies pétrolières, taxes, transport, électricité

 

Ça y est, l'essence vient de repasser le seuil psychologique de 1,50 $. 1,53 $, plus précisément, et nous voilà replongés dans l'hystérie collective. Je pense que je résume bien le sentiment populaire si j'affirme que nous nous faisons littéralement voler. Pourtant nous sommes déjà passés par là : en 2005 pendant l'Ouragan Katrina, en 2008 avant l'effondrement de l'économie, puis au printemps 2011. À chaque fois c'est le même choc.

Comme à chaque fois, les opinions se font entendre : les automobilistes accusent les compagnies pétrolières d'abuser sur leur dos. Les compagnies répliquent que ce sont les taxes qui sont trop élevées. On accuse l'Iran, la spéculation, la capacité de raffinage, la demande chinoise, les ouragans et tutti quanti. L'ineffable Maxime Bernier a même déjà accusé les écologistes!

Mais derrière ce chiffre d'un dollar cinquante se profile une question fondamentale : pourquoi sommes-nous tant dépendants du pétrole? Pourquoi sommes-nous si vulnérables à des hausses aussi brusques du prix à la pompe? Pourquoi n'avons-nous rien fait depuis 2005 pour nous protéger non seulement de ces hausses à répétition, mais surtout de la hausse constante et irréversible du prix de l'essence depuis une décennie?

Le litre d'essence se détaillait entre 58 et 75 cents en 2002. Un résident de Longueuil qui travaillait à Montréal dépensait 913 $ par an pour faire le plein il y a dix ans. L'année dernière, en 2011, il devait dépenser 1 645 $. À 1,53 $ le litre, il devra débourser 1 820 $ pour nourrir sa voiture. La facture aura doublé en dix ans. Et cela n'est pas prêt de s'arrêter. Si le prix de l'essence poursuit sur sa lancée, nous atteindrons le seuil de 2 $ avant la fin de la présente décennie.

Ces constats m'amènent à me poser plusieurs questions :

  • Pourquoi le Québec continue d'importer pour 14 milliards $ de pétrole et 10 milliards d'automobiles à chaque année et de nourrir ainsi un déficit commercial qui nous appauvrit?
     
  • Pourquoi le Québec continue-t-il de dépendre autant de l'automobile et du pétrole alors qu'il produit des trains, des autobus, des wagons de métro, et de l'électricité?
     
  • Pourquoi 82 pour cent des investissements en transport du gouvernement du Québec vont au secteur routier et seulement 18 pour cent aux transports collectifs?
     
  • Pourquoi le gouvernement fédéral continue-t-il d'accorder pour 1,4 milliards en subventions et avantages fiscaux aux compagnies pétrolières alors qu'elles engrangent des profits record?
     
  • Pourquoi les normes sur l'efficacité énergétique des véhicules n'ont pas été améliorées pendant 25 ans, et qui a tout fait pour éviter qu'elles soient plus sévères?
     
  • Et surtout : qui a intérêt maintenir un système où une poignée de compagnies réussit à nous tenir littéralement en otage avec l'appui de nos gouvernements? Allons-nous continuer à enrichir les actionnaires de Shell, Esso, Suncor ou Ultramar, ou alors nous prendre en mains une bonne fois pour toutes et faire en sorte qu'ils perdent leur mainmise sur nos transports?

Cette année, j'en ai eu assez de me faire avoir. Au moment de changer de voiture, j'ai fait l'acquisition d'une voiture hybride. Je fais 600 km avec 40 litres d'essence. Je ne fais que plus que deux pleins par mois. Au prix actuel de l'essence, je vais récupérer les 5 000 $ supplémentaires investis à l'achat en un peu moins de quatre ans. Après huit ans, j'aurai épargné 4 000 $.

Au lieu de déchirer notre chemise lorsque le prix de l'essence atteint un sommet, il serait peut-être préférable de nous en souvenir au moment d'acheter une voiture. Et collectivement, il serait peut-être temps de réduire notre dépendance au pétrole.

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