LETTRE D'OPINION : Compteurs intelligents, votre intervention svp!

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À l’attention de madame la ministre Martine Ouellet,

Pardonnez au départ cette question indiscrète: accepteriez-vous de dormir, contre votre volonté, à moins de trois (3) mètres (sic) d’un compteur “intelligent” émettant des radiofréquences pulsées à longueur de journée? Telle est pourtant la configuration actuelle chez nous: le compteur d’Hydro-Québec est situé depuis toujours dans une armoire en bois de la chambre à coucher. À ce jour, il transmet ses données automatiquement, via la ligne téléphonique, sans que personne n’ait eu à redire jusqu’ici. Tel ne serait vraisemblablement plus le cas si la décision récente de la Régie de l’énergie, donnant le feu vert à Hydro-Québec pour installer ces compteurs émetteurs de radiofréquences, devait s’appliquer: nous devrions dormir alors juste face aux radiofréquences continues, à neuf pieds de distance plus exactement!

Compteur intelligent, utilisé notamment en Allemagne. Photo de EVB Energy Ltd – Wikipedia commons

Votre accession au poste de ministre responsable des ressources naturelles, celle de M. Breton à l’environnement et de M. Marceau aux finances notamment, nous a donné beaucoup d’espoir à cet égard. Tout dernièrement encore, en effet, le jeudi 29 mars dernier, Nicolas Marceau, alors porte-parole du Parti québécois en matière de finances, demandait au ministre libéral Clément Gignac, alors responsable de la Régie de l’énergie, pourquoi cette dernière refusait de comparer les options d’Hydro-Québec avec les scénarios alternatifs appliqués ailleurs, et pourquoi elle évitait d’étudier les impacts environnementaux et de santé publique, qui sont les préoccupations mêmes des abonné-e-s.

Les questions de monsieur Marceau démontrent que votre gouvernement était fort conscient des lacunes du processus d’examen alors en cours aux audiences de la Régie de l’énergie. Ce processus, on le sait, a été entaché de tellement d’irrégularités que la situation mérite, avec l’arrivée de votre gouvernement, d’être réétudiée de fond en comble par un tribunal, indépendant cette fois. Le BAPE est tout désigné pour ce faire.

Le dossier est connu. Les médias, notamment Le Devoir, en ont fait état assidûment. Je n’ai pas besoin de vous rappeler le détail des nombreuses irrégularités qui ont entaché le processus d’examen. Mentionnons seulement la crédibilité douteuse et la partialité de l'unique régisseur, Richard Lassonde “très proche du promoteur dont il dirige l’audience” (Le Devoir, 24-25 mars 2012), ce qui induit tout au moins une apparence de conflit d’intérêts. La partialité de ce dernier a aussi été démontrée en pleine audience quand il a qualifié les compteurs intelligents de “compteurs merveilleux” (Le Devoir, 20 mars 2012).

Mentionnons aussi l’absence de règles d’impartialité dignes de ce nom du processus d’audience lui-même:

1- le refus du Régisseur de soumettre au débat les autres scénarios possibles, et surtout moins risqués, rejetés ou non envisagés par Hydro-Québec, alors que plusieurs d’entre eux, appliqués ailleurs, y ont gagné l’acceptation sociale des client-e-s;

2- le rejet de tout débat sur le bien-fondé, en l’occurrence, du principe de précaution. En l’absence de ce débat, le Régisseur, dans son jugement du 5 octobre dernier, n'en édicte pas moins que les compteurs intelligents ne présentent aucun danger, et qu’en conséquence, le niveau de risque “ne justifie pas l’application du principe de précaution »(Le Devoir, 6 octobre 2012);

3- le rejet enfin de tout débat sur les coûts de l’option de retrait. Des frais d’installation seront imposés d’autorité (ces derniers sont passés de 98$, au cours des audiences, à 137$ dans le jugement final de la Régie de l’énergie…), plus des frais mensuels de relevés de 17$, et cela jusqu’à ce que mort s’en suive! Ces frais seront obligatoires pour tous ceux qui n’acceptent pas la solution des compteurs intelligents à radiofréquences continues. Et ils sont nombreux, si on en juge par le tollé soulevé par les audiences et les pétitions qui circulent…

Comment, dans ces conditions, peut-on faire fi de toute notion d’acceptation sociale? Comment peut-on raisonnablement exiger de tels frais de la part de ceux qui n’acceptent pas la solution, si mal étudiée, d’Hydro-Québec? Certains ont ironiquement qualifié cette décision arbitraire et unilatérale de “principe de précaution payant”. Une nouveauté dans le droit environnemental! En plus, et c’est à souligner, ce “principe payant” est de surcroît fortement discriminatoire, car seuls les riches pourront évidemment s’en prévaloir.

En terminant, devant de tels constats, je vous demanderais instamment, madame la Ministre, d'ajouter ma voix à toutes celles qui vous prient de décréter un moratoire sur l’installation des compteurs intelligents et de convoquer des audiences du BAPE pour revoir le dossier des dits compteurs. Les audiences en la matière ont été si entachées de partialité qu’elles ont été la honte du Québec!

Je vous demanderais donc aussi de reconsidérer, de toute urgence, avant que les installations ne débutent, la décision de la Régie de l’énergie d’imposer des frais d’installation et de relevés mensuels à ceux et celles qui voudront voir appliqué chez eux le principe de précaution. Aucun frais ne devrait être exigé de la clientèle pour cela.

Ou alors tout au moins, et en dernier recours, qu’Hydro-Québec assume les frais de l’installation des nouveaux compteurs à l’extérieur de la maison. 

Je vous remercie à l’avance de l’attention que vous porterez à cette lettre et à son contenu.

 

Source: Louise Toupin, spécialiste en science politique

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