Activiste ou politicien?

0

Par Eugénie Emond


Mots-clés : activistes environnementaux, désobéissance civile

 

Action de Greenpeace Canada contre les sables bitumineux. Photo de Greenpeace Canada – Tous droits résérvés

La désobéissance civile est-elle devenue la voie obligée pour faire changer la direction du vent sur des décisions politiques aux impacts écologiques?

Que ce soit pour empêcher les coupes à blanc, bloquer le passage à des camions remplis de pétrole extrait des sables bitumineux, exiger un moratoire sur les gaz de schiste, les activistes environnementaux n’ont pas le choix de faire preuve d'ingéniosité pour attirer l'oeil des médias.

Certaines de leurs actions sont parfois devenues mythiques et force est de constater que leurs méthodes non-violentes sont efficaces pour mettre des dossiers sur la sellette. '' La désobéissance civile est parfois un recours non souhaité, mais nécessaire quand la voie citoyenne n'est pas entendue, quand les méthodes institutionnelles se terminent en cul-de sac ou sont un échec. La désobéissance civile reste un moyen de retirer le consentement et de montrer que l'acceptation sociale n'est pas au rendez-vous'' , explique Philippe Duhamel, formateur et organisateur spécialiste de l’action non-violente et de la désobéissance civile depuis plus de 30 ans.

Le militant possède une expertise en désobéissance civile chèrement acquise. Il a été arrêté à plusieurs reprises pour avoir posé différentes actions environnementales et sociales.

Action de Greenpeace Canada contre les sables bitumineux. Photo de Greenpeace Canada – Tous droits résérvés

Il se fait aujourd'hui un plaisir de partager avec une nouvelle génération de militants et de citoyens ses techniques de résistance non-violentes par des mises en situation. Par contre, le formateur avertit bien que la désobéissance civile n'est pas toujours la meilleure solution, ni la plus efficace dans toutes les circonstances:

« Je mets beaucoup l'accent sur la stratégie, pas juste l'action pour l'action, pas juste de l'activisme pour l'activisme. Il faut parler aux élus, faire de la sensibilisation, mais quand tout ça a été fait, c'est bien de pouvoir dire aussi: vous allez trouver des grand-mères assises sur leur chaise berçante sur votre chemin si vous ne respectez pas la volonté des populations locales''.

Le nécessaire contre-poids

L'activiste, c'est un peu pour faire contrepoids aux lobbys qui influencent les décisions politiques. « On s'entend qu'on n’a pas les mêmes moyens que ces grosses industries-là. Donc souvent, on pose des actions pour attirer l'attention médiatique sur des sujets qui autrement passent tout droit », explique Mikael Rioux qui se décrit comme un activiste freelance.

Mikael Rioux, activiste écologiste freelance

Le personnage a accumulé plusieurs victoires depuis une quinzaine d'années :  il a passé 40 jours au dessus de la rivière de Trois-Pistoles pour bloqué un projet de mini-centrale électrique. Il a versé un verre d'eau sur la tête d’ André Caillé, l'ancien pdg d'Hydro-Québec, lors d'un point de presse en 2004. Il est de ceux qui a remis en question la pertinence du projet de centrale au gaz du Suroit, passé jusqu'alors sous silence dans les médias.

 

Avoir la désobéissance civile trop facile?

Pour Me Katia Opalka, avocate spécialisée en droit de l'environnement et professeure adjointe à l'École d'environnement de l'Université McGill, les activistes sont parfois trop prompts à s'enchaîner aux grues. 

''Je pense que dans une société ouverte et démocratique, c'est quand même bien que les gens s'opposent assez énergiquement quand ils ont l'impression que les décisions se prennent trop vite, mais en même temps j'aimerais qu'au Québec on voit plus d'activités d' ONG qui font la veille de ces dossiers-là pour prévenir la population un peu plus en amont ».

La scientifique préféreraient les entendre dire : là ça s'en vient, attendez pas que les camions se mettent à rouler dans vos rues pour vous coucher par terre et dire que vous ne les laisserez pas passer.

Me Opalka reconnaît que le citoyen est peu informé et donne l'exemple de la Stratégie énergétique du Québec divulguée en 2006. ''Peut-être que si la stratégie énergétique du Québec avait  fait l'objet de programmes d'information plus poussés, peut-être que les gens auraient allumé sur ce que signifiait vraiment ce que le gouvernement proposait », croit-elle.

La stratégie énergétique, elle est assez simple, c'est de développer toutes les sources d'énergies en même temps : nucléaire, pétrole, gaz de schiste, éolien!  Si les gens croyaient que ce n’était pas une bonne idée, il aurait fallu poser les bonnes questions: pourquoi exploiter toutes les ressources? Certaines sont-elles meilleures que d'autres ?

« Au lieu de cela, on a commencé à entendre parler des gaz de schiste au milieu de l’année 2010.  Le gouvernement peut se défendre en disant qu'il y a eu consultation publique et que peu de gens sont venus, mais le public n'a même pas réalisé qu'on leur posait alors une question.''

 

Proposer des alternatives

Selon Mikael Rioux, l'activiste se doit de proposer des alternatives et montrer aux élus que c'est possible de faire autre chose, qu'il n'y a pas que l'exploitation des ressources dans le développement économique d'une région.

Il y a dix ans, le militant a participé à la mise sur pied de l'Échofête à Trois-Pistoles, un festival environnemental qui apporte des retombées économiques à la région, mais qui joue surtout un rôle d'éducation et de sensibilisation.

''Sinon on va toujours se faire traiter de bloqueux de projets puis d'immobilistes. Mais souvent, la plupart des environnementalistes, quand ils passent à l'action, c'est parce qu'ils rêvent d'une société beaucoup plus juste, beaucoup plus équitable''.

 

La justice a les dents longues

La tolérance envers les actions militantes semble devenir de moins en moins grande de la part des tribunaux, du moins en Alberta.

L'avocate Jessica Proudfoot y a recensé les dernières sentences rendues pour désobéissance civile à caractère environnemental. Là où autrefois un juge se montrait clément lorsque l'action était ''bien intentionnée'' et le passé de l'activiste sans tache, on impose aujourd'hui la peine maximale, soit une amende de 2000$ et un casier judiciaire.

''Avant il y avait des absolutions, maintenant c'est des condamnations, c'est des amendes'', affirme Frédréric Bleau, formateur en désobéissance civile chez Greenpeace.

Frédéric s'occupe, entre autres, de bien informer les activistes pour qu'ils sachent à quoi s'attendre et quelle attitude adopter face aux forces policières: ''On leur donne une base au niveau juridique, sur son fonctionnement et pour qu'ils puissent avoir une bonne idée des répercussions sur leur futur » poursuit-il.

SI les activistes veulent travailler dans différents emplois ou voyager, les charges légales peuvent devenir un obstacle important. C’est pourquoi le formateur de Greenpeace tente de démystifier le tout. «  Ça allège un peu la pression. Souvent on voit ça comme terrible : il faut relativiser et être le mieux informé possible pour faire des choix éclairés''.

 

Des activistes de tous les horizons

Les activistes sont aujourd'hui de plus en plus nombreux à militer et proviennent de différents horizons. Ce sont des gens de tous âges, tous sexes confondus, comme l'ont constaté Frédéric Bleau et Philippe Duhamel.

''Depuis deux ans, il y a plus de gens qui réalisent que l'engagement citoyen est plus important que jamais ». Ces personnes dénoncent les décisions derrière les portes closes, les manquements au respect du droit des communautés locales de déterminer de leur propre développement. « C'est pour ça qu'il y a de plus en plus de gens qui se disent : faut s'occuper, faut former des groupes, faut se tenir très vigilants'».

 

Reprendre la voie démocratique

Me Opalka rappelle que les débats devraient se faire à l'Assemblée nationale et qu'il est important de s'informer et d'aller voir son député pour lui donner son opinion.

''Le gouvernement réagit aux pressions de la population donc la désobéissance civile, les lettres, les pancartes, les manifestations, ça a un impact politique au Québec », affirme-t-elle.

L’avocate ajoute toutefois qu’elle ne souhaite pas que les décisions politiques de plusieurs dossiers se prennent sous une telle pression populaire. « Ca coûte trop cher, ça détourne l'attention des gens d'autres questions qui elles aussi sont importantes, ça ne permet pas un processus ordonné de prise des décisions ».

 

A qui le pouvoir ?

Qui a le plus de pouvoir, l'activiste ou le politicien?  Mikael Rioux hésite.  Il ne dit pas non à la politique, mais il préfère continuer pour l'instant ses actions de l'extérieur où il a une plus grande marge de manœuvre et surtout pas de ligne de parti à respecter.

« Daniel Breton, ancien activiste, et aujourd'hui ministre de l'Environnement a des contraintes. Si le parti est pour le forage du pétrole en Gaspésie, il peut difficilement s'opposer….», constate-t-il.

 

Source: GaïaPresse

Partager.

Répondre