Gaspillage alimentaire, un luxe qu'on ne devrait pas s'offrir

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Par Estelle Richard
Organisatrice communautaire chez Les AmiEs de la Terre de Québec


Mots-clés: Gaspillage alimentaire, production, distribution et consommation, impacts environnementaux, solutions

 

L’alimentation est inhérente à la vie sur terre. Elle tire ses particularités de ses contextes géographiques et culturels, et surtout de ses contextes économiques et politiques, tout en s’y adaptant. Complexe et diversifiée, la problématique de l’alimentation peut être traitée de plusieurs façons et sous plusieurs angles. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ayant récemment démontré  qu’un tiers de la nourriture, au niveau mondial, est gaspillé (FAO, 2011), nous aborderons le sujet de l’alimentation en levant le voile sur le scandale du gaspillage alimentaire. De prime abord, spécifions que peu d’études ont été faites sur l’ampleur du gaspillage alimentaire. L’urgence de documenter davantage le sujet fait d’ailleurs partie des recommandations faites par la FAO dans son étude Global food losses et food waste (2011).

 

Mettons la table

Le terme gaspillage alimentaire renvoie à toutes les pertes de nourritures qui adviennent dans le cycle complet de l’aliment : production, récolte, entreposage, transport, transformation, distribution et consommation. Au Canada, on estime à 27 milliards de dollars la valeur des pertes alimentaires, c’est-à-dire environ 40 % de la nourriture produite au pays (Value Chain Management, 2010). Ce chiffre est plus élevé que la valeur des importations alimentaires au Canada (Ibid.)! Les Nord-Américains et les Européens sont les champions du gaspillage avec des pertes annuelles par individu allant de 95 à 115 kilos par année. En comparaison, une personne d’Afrique sub-saharienne ou d’Asie du sud-est gaspille entre six et onze kilos par année (FAO, 2011). Ainsi, la quantité d’aliments gaspillés au bout de la chaîne, soit chez les consommateurs, est près de dix fois plus élevée dans les pays industrialisés que dans les pays où règne l’insécurité alimentaire. L’accès à la nourriture étant plus facile dans les pays industrialisés, les consommateurs se « paient » le luxe de gaspiller.  Toutefois, ces derniers sont peu conscients de leurs propres habitudes et ont une perception erronée de la réalité. Laure Waridel précise que les Français croient gaspiller entre 1 et 5 % de leur nourriture, alors qu’il s’agit plutôt d’une proportion de 14 à 25 % (Waridel, 2011).

 

Impacts environnementaux

Un lieu commun prétend qu’il importe peu de jeter, par exemple, un steak oublié, puisqu’il suffit d’en racheter un à l’épicerie du coin pour une modique somme de cinq dollars. Or, ce morceau de viande vaut bien plus que ce que le consommateur paie au comptoir-caisse. Une grande quantité d’énergie a été nécessaire pour produire cette viande, ce qui a généré beaucoup de gaz à effet de serre. En effet, la FAO chiffre à 18 % la proportion des gaz à effet de serre émis par la production de viande au niveau mondial. Ainsi, bien que tout gaspillage alimentaire soit à éviter, celui des produits animaux (viande, produits laitiers, œufs) devrait faire l’objet d’une vigilance particulière. Réduire la consommation de produits animaux serait aussi une avenue.

L’émission des gaz à effet de serre n’est pas le seul contrecoup du gaspillage alimentaire. Comme peu de municipalités québécoises sont équipées pour composter les matières organiques, les aliments gaspillés qui pourraient devenir des ressources deviennent alors des déchets à traiter. Ils sont enfouis ou incinérés dans des sites qui, pour la plupart, fonctionnent déjà à pleine capacité. À titre d’exemple, l’incinérateur de la Ville de Québec reçoit déjà 290 000 tonnes de déchets par année, alors que sa capacité théorique est de 280 000 tonnes annuelles. Les gaz que les quatre cheminées rejettent en plein centre-ville de Québec, dont le monoxyde de carbone qui dépasse systématiquement les normes fixées, ne peuvent être tous captés (Ville de Québec, 2012). Une nouvelle technologie, la bio-méthanisation, permet de valoriser les matières organiques en les transformant en biogaz, ce qui est une alternative intéressante pour un traitement plus écologique des déchets (Stuart, 2009).

Au sujet de ces constats, les AmiEs de la Terre de Québec abondent dans le même sens que la FAO, qui souligne « […] qu’en raison de la disponibilité limitée des ressources naturelles, il serait plus rentable de réduire le gaspillage de nourriture que d’accroître la production agricole pour nourrir une population mondiale croissante ».

 

Pistes de solutions

Le gaspillage alimentaire est une problématique à multiples facettes et qui doit être abordée de différentes façons, selon l’étape du cycle de vie de l’aliment à laquelle on veut s’attarder.

Dans les pays en voie de développement, l’effort doit porter sur l’amélioration des conditions d’entreposage, de transport, de transformation et de distribution, puisque c’est à ces étapes que le gaspillage alimentaire advient principalement : plus de 70 % des pertes ont lieu avant l’étape de la consommation (FAO, 2011). Par ailleurs, et bien que cela ne puisse se faire sans volonté politique et développement économique, une meilleure coordination entre les acteurs de la chaîne permettrait de diminuer le gaspillage (Ibid.).

En Amérique du Nord et en Europe, les efforts doivent viser la sensibilisation du public. Les consommateurs sont de plus en plus exigeants quant à l’aspect visuel de leurs aliments, ce qui augmente la pression chez les distributeurs et les producteurs en vue d’offrir seulement des produits parfaits. Les fruits et légumes aux allures, disons, poétiques, finissent souvent à la poubelle. C’est le cas des carottes, qui, si elles ne sont pas bien droites et très orange, seront jetées ou transformées en nourriture pour animaux (Stuart, 2009).

Au Québec, on gagnerait à changer le système d’étiquetage des aliments qui présente une date de consommation « meilleure avant », car une fois la date en question dépassée, certains produits peuvent toujours être consommés. Pourquoi ne pas s’inspirer de nos cousins français qui mettent des « dates limites de consommation » sur les produits alimentaires? Le consommateur aurait ainsi l’heure juste sur la durée de vie réelle de ses aliments.

Au quotidien, on peut intégrer plusieurs trucs pour diminuer le gaspillage alimentaire. Acheter en vrac permet de contrôler les portions, faire l’inventaire régulier du réfrigérateur et des armoires aide à choisir les aliments qu’il faut manger en priorité, rédiger une liste d’épicerie et s’y rendre le ventre plein sert à acheter seulement ce dont on a besoin.

La sensibilisation est, selon les AmiEs de la Terre de Québec (ATQ), une des clés pour diminuer le gaspillage alimentaire tant à l’échelle domestique qu’au stade de la production. C’est dans cette optique que les ATQ ont fondé le comité Sauve ta bouffe, dont le projet du même nom vise à outiller la population pour moins gaspiller. C’est principalement par un site web, sauvetabouffe.org, que le comité mène pour l’instant sa campagne.

 

 


Bibliographie

FAO, Global food losses and food waste, extent, causes and prevention, Düsseldorf, 2011.

MOISSON QUÉBEC, Rapport d’activités 2011-2012, Québec, 2012.

STUART, Tristram, Waste, Uncovering the Global Food Scandal, First American Edition, 2009.

VALUE CHAIN MANAGEMENT CENTER, Food waste in Canada : opportunities to increase the competitiveness of Canada’s agri-food sector, while simultaneously improving the environment, 2010.

WARIDEL, Laure. L'envers de l'assiette, Montréal, Écosociété, 2011.

 

Sites Web

Comité de vigilance de l’incinérateur de la Ville de Québec, http://www.incinerateur.qc.ca/, 2012

Ville de Québec, http://www.incinerateur.qc.ca/documents/Presentationsuivienvironnemental-SylvieVerreault.pdf, 2012

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