Hydrocarbures en Gaspésie : une consultation bidon

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Par Mathieu Drouin Crête


Mots-clés : Hydrocarbures, écologie, Gaspésie, consultation publique

 

Le lundi 29 octobre avait lieu à Gaspé une rencontre convoquée  par l’Office Canada-Terre-Neuve et Labrador des hydrocarbures extracôtiers(OCTNLHE). Cette rencontre n’était pas prévue sur le territoire gaspésien au départ, mais c’est grâce à des pressions des groupes comme la coalition St-Laurent et la Conférence des Élus (CRÉ) que nous avons pu avoir la chance de rencontrer ces consultants. Car il faut comprendre une chose : toute cette «consultation» était menée par un sous-traitant de l’office nommé ci-haut. Elle était pilotée par la firme AMEC, firme anglaise très connue des milieux écologistes pour son implication dans différents pays au niveau de la recherche de consensus social par rapport à l’extraction des hydrocarbures liquides, gazeux ou sédimenteux. La firme avait fait voyagé pour l’événement une équipe des plus sérieuses. Nous avions droit, entre autres, à M. Sean Kelly, le directeur des relations avec les médias et à ses partenaires des communications.

 

La rencontre divisée en deux parties

La première partie de la rencontre fut réservée aux groupes écologistes, citoyens et professionnels, qui seront les premiers touchés par l’exploitation des hydrocarbures dans le Golfe du St-Laurent. La deuxième fut ouverte à tous les citoyens qui étaient intéressés par ce qui pourrait arriver si jamais le gisement Old Harry venait à être exploité.

Commençons donc par la première partie de la journée consacrée aux groupes citoyens, professionnels et écologistes. Les groupes furent invités pour l’après-midi, de 13 à 15 heures, et nombreux furent ceux qui se présentèrent. Plus d’une douzaine d’organismes se déplacèrent pour donner leur point de vue ou pour énoncer leurs inquiétudes sur les conséquences d’une telle exploitation; des organismes comme le CIRADD (Centre d'initiation à la recherche et d'aide au développement durable), Ensemble pour un avenir durable du grand Gaspé, la CRÉ, la coalition St-Laurent, regroupement des propriétaires/capitaines de bateaux de pêche et plusieurs groupes de protection de l’environnement marin du golfe.

Bien que les groupes fussent assis à la même table, les craintes n’étaient pas centralisées sur les mêmes objectifs. Les ordres «professionnels» présents ne s’alarmaient pas de la même façon que les groupes environnementalistes. Les premiers s’inquiétaient beaucoup plus pour la pérennité  de leurs droits de pêche, de leur accès à la ressource aquatique ainsi qu’aux montants reliés à la responsabilité civile de la compagnie, Corridor ressource dans ce cas-ci, si jamais désastre écologique il y avait. Les environnementalistes quant à eux se souciaent beaucoup plus des effets néfastes que pourrait avoir une présence humaine accrue dans cette section déjà sensible et surtout des impacts majeurs qu’aurait un déversement accidentel sur l’ensemble des côtes, mais aussi sur l’ensemble des populations marines. Les appréhensions soulevées touchèrent aussi la validité d’une telle séance consultative : vu le territoire limité juridiquement de l’office, les opinions soulevées auront-elles un véritable impact?

Raffineries de l’industrie pétrolière (photo de UrbanPlanet BR – Wikipedia commons)

Les gens d’AMEC ont tenté d’être le plus rassurant possible, mais aucune réponse précise ne put être donnée. Ils n’ont pu que répondre vaguement ou en promettant de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour respecter les recommandations et ce ne fut pas assez pour combler les attentes. Chaque réponse donnée n’amena que son lot d’incertitudes. Par rapport aux inquiétudes des pêcheurs, au sujet du montant compensatoire en cas d’accident écologique sans négligence reconnue lors d’une enquête, le montant ne s’élève actuellement qu’à 30 millions, mais n’atteint aucune limite si une négligence est trouvée après enquête. Cependant, nous savons que l’exemple du Golfe du Mexique fut très probant sur les sommes compensatoires que risque de payer la compagnie. Cette somme atteint déjà plusieurs dizaines de milliards de dollars et risque d’atteindre la centaine de milliards plus les années passeront, amenant avec elles leur lot de conséquences non-prévues initialement.  De plus, ces séances de consultations publiques sur les cinq provinces (Îles du Prince-Édouard, Nouvelle-Écosse,  Nouveau-Brunswick, Québec et Terre-Neuve) n’existent que pour assurer un plein et complet survol des impacts possibles d’une telle exploitation, mais ne remplacent en rien les évaluations environnementales que la compagnie devra effectuer et rendre disponibles au public par l’entremise de l’OCTNLHE. Si jamais les conclusions de cette étude n’étaient pas satisfaisantes, l’office aurait le pouvoir de retirer tous les permis à la compagnie en attente. Les consultants nous assurent que tout sera mis en place pour éviter qu’un incident de grande envergure ait lieu.

Les pêcheurs soulevèrent la question de leurs droits de pêches ancestraux. Des questions qui se centraient beaucoup sur les ententes monétaires bilatérales compensatoires entre la compagnie et les regroupements professionnels. Les représentants confirmèrent que tout serait mis en place pour favoriser le plus d’ententes possibles. Ils allèrent même jusqu’à proposer l’organisme One ocean de Terre-Neuve qui s’occupe de ce genre de situation.  Mais nous pouvons douter de la crédibilité de cet organisme, financé en partie par les pétrolières, ce qui fait de lui le négociateur et le financier.  Plusieurs se questionnèrent aussi sur la pertinence de la consultation, puisqu’il s’est déroulé, il n’y a pas deux ans, une consultation environnementale stratégique (ÉES1 et ÉES2) sur les impacts de l’exploitation gazière et pétrolière faite par GENIVAR et commandée par le gouvernement du Québec. Les représentants nous affirment qu’ils connaissent l’existence de ces études et qu’ils s’en serviront dans leur prochaine analyse.  

Il fut aussi question, et cela fut soulevé par le représentant du CIRADD, de l’instrumentalisation de l’information que cette consultation pourrait amener à la pétrolière. Il faut comprendre cette intervention comme une demande légitime pour tous les groupes présents qui ne veulent pas que leurs recommandations ne servent exclusivement à nourrir les plans d’acceptation sociale de la gazière/pétrolière. Car le sentiment, à la fin de cette consultation avec les groupes écologiques, fut plutôt mitigé. Certains voulaient croire que cela pourrait réellement servir et d’autres doutaient de la portée significative de ladite consultation.

Il faut aussi mentionner que seuls deux des cinq représentants étaient bilingues, mais qu’il y avait dans la salle un traducteur. De plus, une prise de note partielle fut faite, mais aucun enregistrement audio ou vidéo ne fut mis en place.

 

Une soirée émotive, mais cohérente et pertinente

Le sujet de l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe n’attire pas juste les groupes écologistes. Il attire aussi les citoyens vivant sur le littoral qui ne veulent pas voir leur paysage affecté par un accident tragique d’une pétrolière vraiment désolée de ce qui arrive.  Ce qui veut dire que près d’une centaine de personnes se sont prêtées à l’exercice démocratique en écoutant ce que leurs collègues-citoyens avaient à dire en faveur ou en défaveur d’un tel projet.  

Pour la plupart des gens dans la salle, le mode était à l’écoute, mais plusieurs interventions furent faites de la part de citoyens vraiment inquiets et de la part des groupes écologistes qui voulaient remettre les pendules à l’heure avec tous. La présence de M. Phillip Toone fut aussi saluée par les représentants de l’office et par la foule présente.  Le député sortant fit part de trois inquiétudes majeures qui rejoignaient ce qui avait été dit durant l’après-midi. Ces trois dernières étaient la législation territoriale, aucun consensus des cinq provinces et les risques partagés par les cinq provinces.

Pour résumer, M. Toone se soucie surtout que cette consultation soit bidon par principe que le territoire visé par la commission ne touche en rien l’ensemble du golfe. De plus, le fait qu’aucun consensus social n’ait été établi entre les cinq provinces dérange, car aucune position forte ne peut ressortir d’une telle compartimentation des opinions. Particulièrement s’il advenait un accident, tel un déversement, ce sont les littoraux des cinq provinces qui seraient affectés, ce qui amènerait à un partage des risques et des coûts sociaux et environnementaux pour l’ensemble des cinq gouvernements provinciaux touchés. Mais c’est au niveau politique que se tracasse le plus le député Toone; le refus du ministre Kent de chapeauter ladite consultation est inadmissible, mais ne le surprend pas (comme nous tous).

D’autres intervenants connus sont aussi venus exprimer leurs opinions face à cette décision de forer dans le golfe. Nous avons pu entendre M. Sylvain Archambault, Mme Danielle Giroux, M. Laurent Juneau et Mme Lise Chartrand. L’ensemble de ces citoyens se rejoint sur l’opposition d’une telle exploitation. Pour résumer leur pensée voici, grosso-modo, leurs questionnements :

  • Interrogations éthiques sur la crédibilité des scientifiques qui contre-analyseront le rapport préliminaire qui sortira à la mi-janvier ou au début février;
  • Impacts plus catastrophiques que dans le Golfe du Mexique parce que le territoire du Golfe du St-Laurent est plus petit, mais la capacité pétrolifère est aussi grosse que celle du Mexique;
  • Utilité d’un tel forage à l’heure actuelle;
  • Menaces à plusieurs industries telles que le récréotouristique et la pêche.   
  • Risques énormes reliés à une opération de sauvetage quasi impossible lorsqu’un accident se produira dans une tempête;
  • Pénalités aux pêcheurs ridicules voire inexistantes;
  • Aucune crédibilité face aux entreprises pétrolières au niveau du respect des zones sensibles.

Plusieurs citoyens firent aussi part de leurs craintes basées surtout sur le fait que personne n’ait abordé le sujet du droit des citoyens de jouir d’un environnement visuel et aquatique décent. La soirée s’est ensuite terminée sur une note plutôt abrupte, personne n’ayant d’autres questions, mais plusieurs restant sur leur faim. Les questionnements furent entendus, mais peu de réponses furent données.   Il est difficile d’émettre une conclusion pour ce genre d’événements puisque rien de concret ne fut déposé ou avancé. Seulement quelques promesses timides furent formulées. Dommage, car cela n’aide en rien la reprise de confiance en l’industrie et en les instances gouvernementales supposées les encadrer.

 

Source: GaïaPresse

 

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