LETTRE OUVERTE : Le respect de la Politique nationale de l’eau

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Madame la Première ministre, Monsieur le Ministre,

 

Photo de Pégase1972 – Flickr

Il y a 10 ans, le 26 novembre 2002, le gouvernement dirigé par Bernard Landry annonça la Politique nationale de l’eau pour assurer la pérennité de cette précieuse ressource au bénéfice de tous. Du coup, il décréta l’arrêt de toute construction de petites centrales hydroélectriques sur nos rivières, sur des sites souvent majestueux que notre ami Paul Piché désigna comme étant nos « cathédrales d’eau », faisant allusion aux nombreux sites patrimoniaux que les touristes visitent  partout dans le monde. 

Monsieur Landry écouta la voix des citoyens et a pris une décision politique saluée par tous comme étant courageuse. La population entière s’est réjouie. Dix ans plus tard, nous constatons que c’était beaucoup et bien peu. Il y a encore du chemin à parcourir pour protéger et valoriser cette précieuse richesse dont nos enfants hériteront.

Malheureusement, le gouvernement libéral de Jean Charest prépara dans le cadre de sa stratégie énergétique un nouveau programme d’achat d’électricité par Hydro-Québec : un bloc de 150 MW provenant de 13 petites centrales. Une goutte d’eau dans un océan de surplus énergétiques considérables ! Or, Hydro-Québec perd déjà des centaines de millions de dollars pour acheter de l'électricité dont elle n'a pas besoin et qu’elle ne peut revendre à profit.  Les conditions du marché ont grandement changé depuis 2009 et il vous appartient de mettre un terme à ce gouffre financier. Ce programme s’est avéré un véritable gâchis tant sur les plans environnemental, économique que patrimonial. Et il est maintenant sous la loupe de plusieurs enquêtes.

Ce programme sème la discorde dans les petites communautés (Val-Jalbert, Shannon, Saint-Joachim, Sainte-Ursule) où subsistent les derniers joyaux accessibles à la population. L’absence de transparence dans la gestion des contrats aux firmes, pour ne mentionner que ce problème particulier, a mené à des affrontements avec les élus régionaux. Aujourd’hui, nous croyons fermement que la majorité des Québécois rejette ce type de développement destructeur et dont les coûts sont imputés dans nos factures d’électricité.

 

Val-Jalbert : une opportunité à saisir

Le Conseil des ministres devra décider s’il autorise une centrale hydroélectrique au Village historique de Val-Jalbert, au Lac Saint-Jean. Ce site est classé patrimonial d’intérêt national en vertu de la Loi sur les biens culturels. Sa chute naturelle de 72 mètres, supérieure à celle de Niagara, et son village reconstitué, attirent près de 100 000 touristes annuellement. Il vient de bénéficier d’investissements de 19 M$ des gouvernements.

Or ce projet détruirait l’essentiel de ce cachet unique. Toutes ces conséquences ont été mises en évidence lors des récentes audiences publiques sur l’environnement. La majorité des mémoires déposés se sont majoritairement prononcés contre. Le BAPE a émis un rapport complaisant en faveur du promoteur sans même se prononcer sur plusieurs enjeux soulevés en audiences. Les citoyens se sont sentis profondément trahis. Ces gens fiers de leur emblème régional ne veulent pas d’une chute fantôme durant tout l’hiver alors que la chute sera asséchée et d’une chute artificielle « à piton » au débit fixe pour leurrer les touristes l’été. Qui continuerait de payer 24 $ pour voir un tel spectacle désolant ?

En aucun temps le BAPE n’a traité des conséquences d’une telle artificialisation du site, ni montré l’impact de l’assèchement d’un kilomètre de rivière, ni rectifié les faits concernant les calculs erronés sur le rendement économique du projet, ni éclairci les circonstances entourant l’attribution de contrats sans appel d’offres, etc.

Une mobilisation citoyenne régionale, intergénérationnelle et interculturelle (appui des Ilnus de Mashteuiatsh) sans précédent bat maintenant son plein, refusant ce saccage. Le Conseil du patrimoine a été rencontré pour que la chute Ouiatchouan soit désignée « paysage culturel patrimonial ». Une pétition de 1 500 noms a été présentée aux ministres concernés et une autre est en ligne sur le site de l’Assemblée nationale. Des plaintes ont été acheminées au ministère des Affaires municipales, au Commissaire au développement durable, à la Commission Charbonneau et à l’Ordre des ingénieurs. Deux marches populaires ont été organisées devant les barrières cadenassées du site. Une solution alternative, un projet de développement écologique et touristique, a été présenté. Un recueil de témoignages de la population assemblé.

Voici donc une occasion unique de poser un geste qui distinguerait votre gouvernement du gouvernement précédent : en protégeant, et pour toujours, le site historique de Val-Jalbert. Ce site est un symbole d’appartenance et de fierté de la région.

Nous faisons appel à une vision moderne du développement durable et au respect de la volonté populaire qui s’est manifestée concrètement. Jadis le Premier ministre Landry n’avait pas hésité à annuler le projet de Trois-Pistoles, qui, lui, avait pourtant déjà été autorisé. Trois-Pistoles accueille maintenant de nombreuses familles qui peuvent jouir d’une rivière libre.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Première ministre, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.

 

Source: Roy Dupuis, président de la Fondation Rivières et Michel Bélanger, président de Nature Québec

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