La société civile sans voix aux pourparlers de Doha

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Par Catherine Gauthier


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Les négociations à Doha se sont conclues à l’arrachée et avec une journée de retard en fin de journée le samedi 8 décembre dernier. Les pays ont signé un accord davantage symbolique qu’à la hauteur des enjeux climatiques.

L’entente de Doha, ou l’acte II du Protocole de Kyoto, prévoit une seconde période d’engagement du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2020. L’Union européenne, l’Australie, la Croatie, l’Islande, la Norvège et la Suisse, qui ne représentent qu’environ 15% des émissions globales de gaz à effet de serre, sont parties à cette entente.

Le Canada, la Russie, la Nouvelle-Zélande et le Japon s’y sont opposés fermement de même que les États-Unis qui n’ont jamais ratifié le Protocole de Kyoto, en partie car la Chine n’y était pas contrainte. La position obstructive canadienne lui a d’ailleurs valu le Prix fossile de l’année pour une sixième année consécutive.

Alors que les études publiées ces dernières semaines sonnent l’alarme, les engagements actuels (ou l’inaction) mènent tout droit vers une augmentation de 3°C à 5°C de la température globale. Quand on sait que le seuil à ne pas franchir se chiffre à 2°C, voire même 1,5°C, la tendance actuelle est pour le moins inquiétante.

 

Que des mots, pas d’action

Les impacts des changements climatiques se font déjà sentir et s’amplifieront avec le réchauffement désormais inévitable. Pour les pays du Sud, dont l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS en anglais), l’accord de Doha « ne produit que des mots et pas d’action », a dénoncé le ministre des Affaires étrangères de Nauru, Kieren Keke.

Les pays du Sud espéraient une aide financière des pays développés à hauteur de 60 milliards de dollars par année (60 G $) d’ici 2015. Dans l’accord de Copenhague, les pays riches s’étaient engagés à verser 30 G $ pour la période 2010-2012 (fast-track), et 100 G $ par année d’ici 2020.

Or, le texte actuel ne fait que « presser » les pays développés à aider financièrement les pays du Sud, quand ils le pourront. Les stratégies des États devraient être présentées à la fin 2013, lors de la 19e conférence des parties qui se tiendra à Varsovie, en Pologne.

Bien des mots et peu d’action, en effet. Normal dès lors que la conférence de Doha ait été vivement critiquée.

La Russie a blâmé la présidence du vice-premier ministre qatari Abdallah al-Attiya qui a eu recours à une méthode peu orthodoxe. En effet, le président de la conférence a adopté les textes discutés à Doha en rafales, prenant les représentants des pays par surprise, durant les dernières heures de négociations.

 

La société civile écartée

Pour leur part, les représentants de la société civile ont dénoncé l’accord, mais aussi le resserrement des règles de participation au processus.

Depuis 2005, lors de la Conférence des parties tenues à Montréal, des efforts ont été déployés pour intégrer davantage des représentants de la société. À Doha, ces militants pour le bien commun ont vu leurs droits d’accès et leurs moyens de revendication de plus en plus encadrés par le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

La mise en place de quotas de participation, imposés pour la première fois à Copenhague, est désormais une pratique récurrente. De plus, les actions et démonstrations créatives des organisations de la jeunesse doivent être préalablement autorisée 24 heures à l’avance, et le Secrétariat se réserve le droit de modifier certains paramètres de ces actions.

Alors qu’une culture de tolérance s’était instaurée vis-à-vis les actions de plus en plus radicales de certains groupes, notamment les représentants de la jeunesse, on observe le renversement de cette tendance depuis 2009. 

 

Un droit d’intervenir exigé par les jeunes

« Nous sommes supposés être une partie intégrante du processus, mais nous sommes plus réprimés », dénoncent les organisations de la jeunesse.

Du côté du Secrétariat, on rappelle que les actions ne sont permises dans aucun autre organe sous l’égide de l’ONU, et qu’il s’agit donc d’un privilège. Des représentants de la société civile critiquent vivement cette vision.

« La société civile a la possibilité d’intervenir », mais ce n’est pas suffisant critiquent les représentants de la société civile qui exigent qu’un droit formel le garantisse.

Les organisations de la jeunesse demandent que ce droit d’intervention soit accordé, sans l’autorisation du Secrétariat ou encore des États. Le fait que « la société civile n’ait pas de place à la table des négociations est inacceptable ».

En 2011, à Durban, en Afrique du Sud, un nombre sans précédent de délégués avait été expulsé du centre de conférence. Cette année, ces mêmes délégués ont dû suivre une procédure pour être à nouveau admis à la Conférence des parties. Par exemple, ils ont dû signer une déclaration d’engagement à respecter les règles à la lettre. Ils ont également été soumis à une rencontre formelle avec le plus haut responsable de la sécurité onusienne pour le convaincre de leur bonne foi.

La décision ultime d’accepter ou non un délégué est laissée à ce responsable de la sécurité, et sa décision est sans appel.

 

Museler la parole civile

Année après année, le temps de parole des représentants de la société civile diminue considérablement. Par exemple, la durée d’intervention en plénière est passée de 2 minutes à 30 secondes à Doha. En plus, les organisations non-gouvernementales dénoncent les restrictions sévères imposées par la sécurité onusienne et le Secrétariat.

Le jeudi 6 décembre 2012, soit une journée avant la clôture de la conférence de Doha, deux jeunes délégués du Mouvement de la jeunesse arabe pour le climat, Mohamed Anis Amirouche et Raied Gheblawi, ont tenu une bannière sur laquelle on pouvait lire « Qatar, why host, not lead? ». 

Les deux jeunes, qui dénonçaient en silence le manque de leadership du Qatar dans les négociations, ont été expulsés de la conférence, puis expulsés du pays dans les heures qui ont suivies.

« Disproportionnel est le mot. Oui, nous allons contre les règles, mais les mesures punitives sont disproportionnelles. De plus, le Secrétariat et la sécurité de l’ONU font fi du contexte », expliquait un délégué à Doha.

Avec la hausse des restrictions, la contribution au processus par les groupes environnementaux, et en particulier ceux de la jeunesse, a sérieusement été compromise. 

Sources : UNFCCC, YOUNGO, entrevues réalisées du 23 novembre au 6 décembre 2012 dans le cadre de la conférence de Doha.

 

Notes sur la participation de la société civile depuis 2005

 

De Montréal à Copenhague

Avant la conférence de Montréal, le nombre d’observateurs aux Conférences des parties a rarement dépassé les 5 000 délégués. C’est en 2005 que la participation de la société civile a connu une participation historique, en particulier en ce qui a trait à la participation des jeunes.

Puis, de 2005 à 2009, la participation des groupes environnementaux et de la jeunesse n’a cessé de croître, jusqu’à atteindre un point culminant à la conférence de Copenhague où le nombre d’observateurs a alors explosé à près de 15 000 délégués.

 

Institutionnalisation de la société civile dans le processus

Parallèlement, le Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a mis en place des mécanismes pour mieux intégrer des éléments importants de la société civile dans le processus dont les organisations non-gouvernementales environnementales, dont celles de la jeunesse.

Après des années de revendications pour obtenir une place à la table des négociations, les organisations de la jeunesse se sont vues accorder une reconnaissance officielle peu avant la conférence de Copenhague en 2009. En effet, le Secrétariat a permis la création d’un collectif, ou major group en anglais, propre aux organisations de jeunes.

Ce collectif, appelé YOUNGO (acronyme formé des termes anglais YOUNG et NGO), a permis aux délégués de la jeunesse d’intervenir en plénière, de faire des soumissions aux parties et de participer plus activement au processus.

 

Source: GaïaPresse

 

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