Le Bio à toutes les sauces, ou, le fantasme pastoral

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Par Roméo Bouchard
Co-fondateur de l'Union paysanne


Mots-clés: Aliments biologiques et locaux, agriculture industrielle, magazines, émissions, politique


Les médias font de plus en plus état d’une popularité croissante des aliments bio et locaux. Le magazine Biobulle, la plus ancienne des publications vouées à la promotion de la production et de la consommation des aliments bio, n’est apparemment plus seul… mais attention, rien n’est moins sûr.

En 2010, l’Union des producteurs agricoles (UPA), sans doute pour faire oublier le triste bilan de l’agriculture industrielle dominante, a parrainé la mise en kiosque d’un magazine luxueux, Vivre à la campagne, qui se veut un « guide de la vie rurale, un reflet de la réalité des néo-ruraux, de la qualité de vie des campagnes et des enjeux de la ruralité ». Visiblement, ce ne sont pas les moyens qui manquent. La campagne qu’on y découvre, il va de soi, c’est la campagne qui fait rêver, celle des beaux paysages, des artisans, des terroirs, des tables champêtres, des jardiniers, des marchés publics, des maisons ancestrales et écologiques, etc. Ce n’est pas la campagne des élevages industriels concentrationnaires, des cours d’eau massacrés et pollués, des comités de citoyens aux prises avec leurs élus municipaux, des fermes familiales forcées d’abandonner, etc.

L’an dernier, Annie Roussel a pris l’initiative d’un magazine visuellement fort attrayant, dans un style graphique « underground », IdéeBio, dont l’objectif est « d’encourager tous ceux et celles qui cherchent à protéger l’équilibre écologique en faisant appel à des pratiques naturelles …et de présenter des artisans et des agriculteurs qui se sont donnés comme mandat de travailler avec la Nature ». IdéeBio fait fait essentiellement la promotion d’artisans et d’entreprises vertes sous forme d’articles courts et complaisants qui ont parfois l’allure de publicités ou de publi-reportages nouveau genre. La publication saisonnière en est à son quatrième numéro : survivra-t-elle avec le seul appui des citoyens concernés?

Ces derniers mois, une autre publication de luxe, dirigée par l’équipe de Cultures et Patrimoines, présente Les 100 trésors du Québec à découvrir, savourer et partager.

Parallèlement, de nombreux reportages dans diverses publications ou émissions, comme Voir, Protégez-vous, Actualités, la Semaine verte, nous font connaître de nouveaux artisans fascinants et font état de la présence accrue des produits biologiques et locaux dans les marchés publics ou les circuits courts, certains allant même jusqu’à parler d’invasion! La plupart des régions ont aussi leurs routes des saveurs.

À l’opposé, des « experts » accourent à la rescousse de la production conventionnelle (Sylvain Charlebois, Guelf), des grandes entreprises alimentaires (Pierre Desrochers, IEM, Université de Toronto), des élevages industriels (Pierre Vaillancourt, médecine vétérinaire, UdM) et des OGM (Mark Lynas, écologiste connu), pour démontrer que les méfaits de la production industrielle et les bienfaits du bio ne sont pas démontrés, et qu’au contraire, « la grande entreprise demeure la mieux placée pour garantir l’accessibilité et la salubrité des aliments » à moindre coût et à moindre empreinte écologique au total.

Ce que toutes ces publications ont en commun, mis à part Biobulle, qui demeure la seule publication consacrée à la production biologique comme telle, c’est qu’elles se limitent le plus souvent à présenter pêle-mêle et indistinctement des produits bio, locaux, artisans, du terroir, entretenant ainsi une sorte de fantasme pastoral et paysan fort éloigné de la réalité.

On ne peut que se réjouir de voir se multiplier les productions de qualité et de proximité, et les outils pour en faire la promotion auprès du grand public. Mais ce discours jovialiste risque d’occulter le fait que le Bio et les circuits courts sont encore des réalités marginales, concentrées dans certaines productions et certaines régions. Le Bio certifié, qui demeure la seule garantie sérieuse d’innocuité et d’intégrité des aliments, occupe moins de 2% du marché (dont 70% importé) et le nombre d’entreprises certifiées (1300) ne progresse pratiquement pas depuis 10 ans. Les aliments du Québec ne comptent que pour 30% des aliments présents dans nos supermarchés, et ce n’est pas demain que les producteurs québécois seront en mesure de répondre aux critères d’approvisionnement des grandes chaînes pour atteindre le 50% proposé. Les produits vraiment locaux sont à toutes fins pratiques absents des supermarchés. Or, plus de 85% des achats d’aliments sont effectués dans les supermarchés.

Ce que ce fantasme pastoral risque surtout d’occulter, c’est que cette agriculture d’appellation et de proximité qu’on vante tant ne pourra vraiment prendre sa place que si on lui en fournit les moyens. Dans les faits, elle est prise en otage en permanence par le régime et les politiques agricoles en place, à tel point que ceux qui réussissent à émerger sont peu nombreux et demeurent souvent très vulnébles. Tous les programmes de financement de l’agroalimentaire sont orientés vers les productions conventionnelles et les producteurs de volume qui s’accaparent 99% des fonds publics dédiés à l’agriculture (2 milliards par année); les productions d’appellation et les circuits courts de mise en marché se frappent systématiquement aux contraintes imposées par les quotas et les agences de vente obligatoires d’une part, et, d’autre part, par les normes sanitaires industrielles qu’on impose sans discernement à tout le monde; les jeunes intéressés à développer des petites fermes diversifiées et des productions artisanales ont difficilement accès à la terre en raison de son prix prohibitif et d’une gestion à courte vue du zonage agricole; enfin, cette nouvelle agriculture de l’avenir n’a pas de voix au sein du monopole de représentation exercé par le syndicat agricole unique (UPA).

La vérité, c’est que le dossier du Bio et du Local est avant tout un dossier politique. Malheureusement, le fantasme pastoral nous empêche de le voir et nous dispense d’en parler. Biobulle est sans doute la seule publication qui ose le faire.

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