L’économie verte, l’entreprise et le politique

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Par René Audet

Professeur à l'ESG UQAM, département Stratégie, responsabilité sociale et environnementale


 

 
Le discours environnemental québécois est aujourd’hui en cours de redéfinition. C’est, du moins, l’impression forte laissée par le 1er Forum national sur l’essor de l’économie verte et son impact sur la formation et la main d’œuvre, tenu le 18 mars dernier à Montréal. Le forum, principalement fréquenté par des gens d’affaires et des acteurs du milieu de l’éducation et de la recherche n’avait rien de très original au niveau de sa formule : il s’agissait de quatre panels d’invités visant à relater des expériences et à décrire des initiatives ancrées dans le thème de « l’économie verte » ou des « métiers verts ». Toutefois, au niveau du message, ces thèmes apportent une inflexion originale du discours environnemental dont on ne saisit pas encore toute la portée. 
 
 

Un nouveau discours 

La transition vers l’économie verte ou vers l’économie sobre en carbone fait l’objet de rapports des grandes organisations internationales depuis déjà quelques temps. Déjà en 2006 avec le lancement du Rapport Stern sur l’économie du changement climatique, on amorçait un débat sur la rentabilité des investissements verts dans les domaines de l’énergie, des transports et de l’adaptation aux changements climatique, notamment. Dans le même esprit, depuis 2010, la plupart des grandes organisations internationales, y compris les institutions économiques que sont la Banque Mondiale et le FMI, ont développé l’argumentaire selon lequel la transition vers l’économie verte est non seulement inévitable, mais aussi profitable. Selon ces organisations internationales, c’est un mixte de politiques publiques visant à favoriser « l’investissement vert » et la recherche d’innovations du secteur privé qui engendrera cette transition vers l’économie verte.

Ce discours élaboré dans les sphères technocratiques internationales a déjà commencé à s’intégrer aux contextes nationaux et sous-nationaux. Le Québec ne fera pas exception. Ainsi, une journée avant le forum même, on apprenait la création de l’Alliance Switch pour une économie verte au Québec, qui rassemble tant les gens de l’industrie que ceux d’organisations environnementales. Autre exemple : la présentation lors du forum du 18 mars dernier de cinq études sur les emplois verts au Québec ou ailleurs (notamment aux États-Unis). On en est donc à définir ce qu’est un « emploi vert » et à créer les instruments de mesures de l’économie verte. Enfin, selon ce que l’on a appris lors du forum, le Gouvernement québécois rédigerait présentement des énoncés au sujet du développement industriel, de l’innovation et de l’énergie et il faut s’attendre à y retrouver ce discours de la transition.
 

 

Deux enjeux de l’économie verte

Bref, voilà que l’économie verte fait irruption dans le discours et même dans les pratiques de nombreux acteurs de la société québécoise. Il est donc important de commencer à en dégager les enjeux les plus saillants. J’en aborde deux ici.

Un premier enjeu de cette inflexion discursive est lié aux pratiques des entreprises elles-mêmes, où l’économie verte a le potentiel d’insuffler un changement important. Depuis plus de 20 ans, les ONG, les gouvernements et les citoyens demandent aux entreprises de devenir plus « durables » ou « responsables ». Face à cette pression sociale, les entreprises ont adoptés des codes de conduite et des certifications, elles ont intégré des systèmes de gestion environnementale et elles ont développé des méthodes de reddition de compte en matière de développement durable et de RSE. Or, toutes ces initiatives demeurent largement au niveau organisationnel. Elles alimentent, parfois avec raison, les débats sur le « greenwashing » des activités de production pouvant être destructrices pour l’environnement. Avec l’économie verte, le regard de l’entreprise doit se porter vers l’extérieur, c’est-à-dire vers les opportunités de réelle modernisation écologique à travers l’adoption de technologies vertes ou d’éco-innovations. Il ne s’agit plus seulement de faire face à un risque réputationnel, mais surtout de se positionner sur un nouveau terrain compétitif, et plein d’opportunités. L’entreprise passe alors du statut d’organisation réactive devant des pressions sociales à celui d’acteur du changement. Mais alors qu’il était devenu aisé de démarquer l’entreprise « responsable » de l’entreprise « mauvaise élève », comment déterminerons-nous ce qu’est une entreprise verte? Laisser cette question ouverte est une manière d’en appeler à une réflexion plus profonde sur le sujet…

Un deuxième enjeu du discours sur l’économie verte est son rejet implicite du conflit. Ceci n’est pas nouveau et on aura reproché la même chose au développement durable. Dans le cas présent – ou du moins dans la formulation qu’en offre l’Alliance Switch – l’économie verte est vue comme une occasion de dépasser la « polarisation du débat public opposant les enjeux environnementaux aux enjeux économiques ». Ainsi, l’économie verte propose un discours se voulant réconciliateur. Plus largement, il est frappant de constater que la majorité des acteurs qui parlent aujourd’hui de transition se positionnent soit du côté de l’économie verte telle que décrite dans ce texte, soit du côté d’une vision écocentriste plus radicale portée par les idéaux de l’écologie sociale et porteuse d’une certaine forme de repli communautaire. Dans aucun de ces cas la transition a-t-elle été abordée d’un point de vue politique qui mettrait en lumière les inévitables conflits autour des choix qu’impliquent la transition et les déplacements de pouvoir qui pourraient en résulter. Ainsi, une autre question qui restera ouverte ici est la suivante : où est l’écologie politique de la transition?

Peut-être n’est-il pas anodin que la seule personne ayant réfléchi à haute voix de l’importance du changement de culture lié à la transition fut le Député Scott Mackay, seul politicien présent lors du forum.

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