Mortalité élevée des crevettes en Asie: le coupable démasqué

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Photo de Tomasz Sienicki  – Wikipedia commons

Les chercheurs de l'Université de l'Arizona ont accompli un progrès majeur en identifiant l'agent responsable de la maladie mystérieuse qui décime la crevetticulture asiatique.

Cette maladie, connue sous le nom de syndrome de mortalité précoce de la crevette (EMS) ou syndrome de nécrose hépatopancréatique aiguë (AHPNS) a provoqué depuis deux ans des morts massives dans les élevages de crevette de plusieurs pays d'Asie où un million de personnes vivent de la crevetticulture.

En 2011, l'Asie a produit 3 millions de tonnes de crevettes, pour une valeur de 13,3 milliards de dollars.

Les bassins infectés connaissent des niveaux de mortalité très élevés au début du cycle de croissance – allant dans certains cas jusqu'à 100 pour cent.

Jusqu'à présent, la cause de la maladie échappait totalement aux scientifiques, aux autorités vétérinaires et aux aquaculteurs, rendant la prévention et les traitements difficiles.

Mais le coupable a été démasqué: il s'agit d'une souche bactérienne fréquente dans les eaux côtières saumâtres sur toute la planète, Vibrio parahaemolyticus.

Une équipe de chercheurs de l'Université de l'Arizona est parvenue à isoler la souche et à s'en servir pour inoculer la maladie à des crevettes saines, méthode scientifique dite du postulat de Koch.

«Nous avons réussi à isoler une culture pure de la souche V. parahaemolyticus et à reproduire l'EMS/AHPNS en laboratoire», explique le professeur Donald V. Lightner du Laboratoire de pathologie aquacole de l'Université de l'Arizona. «La forte virulence de cet agent pour les crevettes s'explique peut-être par un phage qui s'attaque à cette souche particulière de V. parahaemolyticus», précise-t-il.

Les efforts réalisés pour étudier l'EMS, identifier sa pathologie et y faire face ont été soutenus par un ensemble de partenaires comprenant l'Université de l'Arizona; le Département des pêches et de l'aquaculture, le Centre de gestion des crises – santé animale et le Programme de coopération technique de la FAO; l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE); la Banque mondiale; le Réseau des centres d'aquaculture d'Asie et du Pacifique (NACA); l'Alliance mondiale pour l'aquaculture (GAA); le ministère de l'Agriculture et du Développement rural du Viet Nam; CP Foods; Minh Phu Seafood Corporation; Grobest Inc., enfin, le groupe agroalimentaire Uni-President.

Cette découverte de l'Université de l'Arizona est une première étape décisive pour combattre l'EMS.

Le syndrome EMS/AHPNS est apparu en 2009. En 2010, l'épizootie est devenue grave. En Chine en 2011, les élevages de crevette de Hainan, du Guangdong, du Fujian et du Guangxi enregistraient des pertes de près de 80 pour cent. En Thaïlande, la production de crevette devrait chuter de 30 pour cent en 2013 par rapport à l'année dernière sous l'effet de la maladie. Dans certains élevages crevetticoles à l'est du pays, la production a reculé de 60 pour cent.

La FAO a d'abord envoyé une mission d'étude au Viet Nam, en 2011, via le CMC-AH. Celle-ci a mis en évidence un agent infectieux et depuis 2012 déploie un projet d'assistance technique d'urgence dans le pays.
 

 

Pas de risque pour la santé humaine

Quelques rares souches de V. parahaemolyticus provoquent des problèmes gastriques chez l'homme – causés par la consommation de crevettes ou d'huîtres crues ou peu cuites -, mais seules les souches porteuses de deux gènes spécifiques peuvent entraîner une maladie humaine.

Or seulement 1 à 2 pour cent des souches sauvages de V. parahaemolyticus dans le monde contiennent ces deux gènes; la souche identifiée par M. Lightner et son équipe comme étant responsable de l'EMS n'en fait pas partie.

«La souche de V. parahaemolyticus que nous avons isolée s'avère ne pas être porteuse des gènes qui rendent la bactérie virulente pour les humains», explique M. Lightner.

«Aucune maladie humaine n'a été constatée en association avec l'EMS et ces nouveaux éléments tendent à confirmer que les crevettes infectées par l'EMS ne sont pas dangereuses pour la santé humaine», confirme Iddya Karunasagar, spécialiste de la sécurité des aliments d'origine marine à la FAO.
 

Seules les crevettes sont vulnérables

L'EMS touche deux espèces de crevette d'élevage très communes: la crevette géante tigrée Penaeus monodon et la crevette à pattes blanches Penaeus vannamei.

Parmi les signes cliniques de la maladie figurent léthargie, croissance lente, estomac et intestin moyen vides, hépatopancréas (organe digestif servant de foie) pâle et atrophié et, souvent, des stries noires. La mortalité massive débute dans les 30 jours après l'infestation du bassin.

Jusqu'à présent, les pays officiellement concernés par l'EMS sont la Chine, la Malaisie, la Thaïlande et le Viet Nam.

Mais toutes les régions pratiquant l'élevage de P. monodon et P. vannamei peuvent être touchées. C'est le cas de l'essentiel de l'Asie et d'une grande partie de l'Amérique latine, où l'élevage de crevette est également important, mais aussi de certains pays d'Afrique (Madagascar, Égypte, Mozambique et Tanzanie).

La maladie semble se répandre à proximité des élevages déjà infectés ou lors du transport de crevettes malades, généralement des juvéniles utilisés pour l'alevinage.

L'équipe de M. Lightner n'a pas pu reproduire l'EMS à partir d'échantillons de crevettes congelées puis décongelées, ce qui suggère que le froid tue la bactérie. Or, l'essentiel des échanges internationaux de crevettes concerne des produits congelés, qui présenteraient donc un risque de transmission faible, voire nul.
 

Traiter l'EMS

À présent que l'agent responsable de l'EMS est connu, de plus amples recherches doivent être menées d'urgence pour mieux comprendre la diffusion de la maladie d'un élevage à l'autre et définir les mesures qui s'imposent.

Parallèlement, la FAO et ses partenaires amorcent un effort régional concerté de lutte contre la maladie.

Pour les crevetticulteurs, la prévention des problèmes liés à l'EMS sera facilitée si elle s'appuie sur les bonnes pratiques existantes en matière d'aquaculture et de biosécurité.Les recommandations sont les suivantes:

  • Les crevettes post-larves servant à l'alevinage doivent être achetées auprès de vendeurs jouissant d'une bonne réputation et faire l'objet d'une certification par les autorités de santé animale avant leur introduction dans l'exploitation aquacole, puis subir une période de quarantaine avant l'alevinage.
  • Il convient d'utiliser une alimentation de qualité et d'éviter aux crevettes les stress environnementaux, pour préserver leur bonne santé.
  • La sécurité sanitaire des bassins doit être maintenue avec soin et les juvéniles doivent faire l'objet d'une surveillance étroite. Toute maladie doit immédiatement être signalée aux autorités compétentes.
  • Le suivi régulier des bassins aquacoles doit faire partie des mesures de routine de surveillance de la santé des animaux aquatiques à l'échelle de l'exploitation, puisqu'il est avéré que cette pratique rompt le cycle de vie des pathogènes.

Hors de l'exploitation, le transport de crevettes vivantes ou congelées doit également respecter les bonnes pratiques établies.

 

Source: FAO

 

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