LETTRE OUVERTE: Au nom de la démocratie, prolongez votre délai de consultation !

0
Photo de Andrée1 – Flickr

Monsieur le ministre,

Nous ne nous connaissons pas personnellement. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, puisque vous avez toujours refusé de le faire, malgré le fait que 185 éluEs provenant de 57 municipalités québécoises et de 23 MRC m’aient mandaté à cette fin et que de multiples demandes vous aient été adressées dans le passé.

Mais malgré le mépris hautain que vous avez toujours affiché à l’égard des représentants de nos communautés locales, je vous écris aujourd’hui dans l’espoir que cet appel public puisse recevoir de votre part quelque écho.

 

Monsieur le ministre,

Aujourd’hui, le 27 juin 2013, se termine la période légale de consultation que vous avez octroyée aux citoyens et citoyennes du Québec pour vous faire part de leurs commentaires et suggestions en regard de votre projet de Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection.

En fait, pour demeurer au plus près de la réalité, il faut sans doute rappeler que ce n’est pas vous qui avez décidé de cette période de consultation, mais vos collègues du Conseil des ministres qui, sans doute apeurés des conséquences politiques de la décision que vous aviez prise de promulguer ce projet de règlement sans aucune période de consultation, ont imposé cette demi-mesure d’une période réduite de 30 jours, cette mascarade cynique et politicienne, cette perversion de toute règle démocratique conséquente qui veut qu’une politique publique ayant des conséquences majeures sur la qualité de vie de  vos concitoyens et concitoyennes soit largement débattue avant d’être mise en vigueur.

Certes, monsieur le ministre, vous avez invoqué l’urgence d’agir pour ne pas respecter la loi qui impose pourtant un délai minimum de 60 jours de consultation pour la promulgation de tout règlement qui découle de la Loi sur la qualité de l’environnement.

Mais il est bien difficile de vous croire lorsqu’on songe que depuis cette annonce, vous n’avez eu de cesse d’indiquer qu’aucune demande de permis de forage exploratoire n’avait été déposée sur votre bureau. Et madame la Première ministre n’a-t-elle pas promis aux éluEs de la ville de Gaspé qu’aucune exploration n’aurait lieu au puits Haldemand 4 sans que, d’abord, des études hydrogéologiques faites par et pour le gouvernement du Québec n’aient été réalisées ? Alors, où est votre urgence, monsieur le ministre ?

 

Monsieur le ministre,

Vos fonctionnaires ne vous ont-ils pas prévenu que pour faire de l’exploration dans le shale ou pour utiliser la fracturation hydraulique, toute société gazière ou pétrolière doit d’abord obtenir un permis valide du ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs, comme le prévoit le Règlement d’application de la Loi sur la qualité de l’environnement (et pas seulement un permis du ministère des Ressources naturelles), ce qui vous permet de régir entièrement toute situation dite d’urgence, si tant est qu’il faille  qualifier ainsi toute demande présentée par une société pétrolière ou gazière aux seules fins de satisfaire ses intérêts corporatifs ?

Et n’est-il pas purement démagogique de votre part d’affirmer que si vous agissez ainsi, c’est que vous répondez aux demandes des éluEs municipaux qui vous ont pressé d’agir, alors que depuis votre nomination vous avez toujours refusé de les rencontrer pour discuter des amendements souhaités à votre projet et que, très largement, ils rejettent votre projet actuel ?

 

Monsieur le ministre,

Ne serait-il pas temps que vous jetiez les masques et que vous informiez avec exactitude la population ? Que savez-vous que nous ignorons et que vous ne voulez pas divulguer ? Quels sont ces projets qui requièrent que notre démocratie  soit ainsi bafouée, que les éluEs des communautés locales soient dépouillés de toute possibilité de faire valoir les demandes et préoccupations des citoyens et citoyennes qu’ils représentent ?

 

Monsieur le ministre,

Vous vous permettez de parler de « vos maires » pour désigner les représentants et représentantes de nos communautés locales, comme si votre statut de ministre ou votre capacité de dispenser des faveurs de l’État vous autorisait à présumer de leur passivité devant vos violations injustifiées de toute règle démocratique, de vos tentatives de les museler quand il s’agit d’exprimer les préoccupations de leurs commettants.

Pire, vous affirmez qu’ils sont mal informés sinon désinformés lorsqu’ils se permettent de mettre en doute la sagesse de votre politique de protection des sources d’eau.

C’est bien mal connaître les éluEs municipaux de votre comté et des comtés avoisinants qui, depuis plus de deux ans maintenant, ont travaillé d’arrache-pied pour étudier les conséquences de la fracturation hydraulique sur nos sources d’eau,  et qui, les uns après les autres, ont ajouté des maillons à cette grande chaine de solidarité municipale en faveur de la protection des sources d’eau en adoptant le Règlement dit de Saint-Bonaventure.

Que vous tentiez aujourd’hui de faire accroire qu’ils sont mal informés relève de la malhonnêteté intellectuelle la plus évidente. Ces éluEs de la population savent que sans la protection accordée par les standards minimums imposés par le Règlement dit de Saint-Bonaventure l’intégrité de nos sources d’eau potable ne pourra être assurée, que le méthane envahira nos puits artésiens et de surface compromettant ainsi la santé de la population et tout développement futur de nos communautés.

 

Monsieur le ministre,

Ne serait-il pas temps que vous cessiez ces pantalonnades ridicules et ces exercices futiles de rhétorique lorsque que vous affirmez que votre projet est le plus sévère en Amérique du Nord, alors que nos voisins ontariens, avant ceux du Vermont, ont imposé un moratoire complet sur l’usage de cette technique dévastatrice pour notre environnement, que nos voisins du Nouveau-Brunswick ont imposé des distances séparatrices de 500 mètres des sources d’eau potable publiques (alors que votre projet ne suggère qu’une distance séparatrice de 300 mètres), que la plupart des États américains sont en train de revoir leur réglementation et s’apprêtent à en augmenter les normes protectrices ?

 

Monsieur le ministre,

Il est encore temps de laisser du temps à la consultation publique. Il est encore possible de permettre aux éluEs municipaux et à tous les intéressés d’étudier votre projet de règlement, comme l’ont fait la quarantaine d’éluEs municipaux qui en ont discuté pour le rejeter, lors de la Conférence de Saint-Bonaventure du 15 juin dernier.

 

Monsieur le ministre,

Pourquoi mettre la charrue devant les bœufs, pourquoi autoriser la fracturation alors que votre gouvernement a permis la poursuite des travaux de l’Étude environnementale stratégique (ÉES) décidée par le gouvernement précédent pour faire la lumière sur tous les aspects de cette technique d’extraction controversée et alors que votre gouvernement a décidé de confier au BAPE le soin d’étudier toute cette question ?

Pourquoi la fracturation serait-elle interdite pour l’extraction du gaz de schiste dans une partie de la vallée du Saint-Laurent, compte-tenu des dangers qu’elle représente pour notre environnement (selon votre projet de loi 37), alors que la même technique pourrait être utilisée pour l’extraction du gaz de schiste ou de tout autre formation rocheuse en dehors de cette zone ou pour l’extraction du pétrole de schiste ou de toute autre formation rocheuse, partout au Québec ?

 

Monsieur le ministre,

Le collectif scientifique dont j’ai l’honneur de faire partie en compagnie de Marc Brullemans, biophysicien, Marc Durand, ingénieur-géologue, Céline Marier, biologiste et Chantal Savaria, ingénieur-géologue et spécialiste des contaminations par hydrocarbure a déjà rencontré vos fonctionnaires pour leur faire part de ses préoccupations. Malheureusement, vos subordonnés ont refusé de discuter sérieusement des projets gouvernementaux alors en chantier, laissant perfidement entendre que seule l’extraction conventionnelle du pétrole était alors à l’étude.

Ce jeu de cache-cache avec des experts dont la seule ambition est de préserver l’intérêt public et de servir le bien commun est indigne d’un gouvernement responsable et d’un ministère dont la fonction est de préserver la qualité de l’environnement, et non de se faire les complices de sociétés industrielles qui s’apprêtent à saccager nos ressources hydriques.

 

Monsieur le ministre,

Je vous tends encore aujourd’hui la main et suis disposé, ainsi que mes collègues du collectif des experts indépendants, à vous rencontrer pour discuter de votre projet aussi improvisé qu’incohérent et incapable de préserver l’intégrité de nos sources d’eau potable.

Mais ne croyez-vous pas que les 250,000 citoyens et citoyennes du Québec dont les sources d’eau potable sont actuellement protégées par le Règlement dit de Saint-Bonaventure que vous vous apprêtez à jeter au rebus, dont ceux de la ville de Gaspé, ne devraient-ils pas pouvoir aussi se faire entendre par le biais de leurs représentantEs éluEs ? Que les organismes, unions, syndicats et autres ne devraient-ils pas pouvoir participer à ce débat qui engage, au premier titre, notre avenir collectif ?

Une seule solution s’impose, monsieur le ministre : vous devez prolonger la période de consultation publique pour qu’elle permette à tous les intéressés de se faire entendre. Notre démocratie l’impose et l’exige.

Recevez, monsieur le ministre, mes salutations respectueuses.

 

Source: Richard Langelier, Docteur en droit (LL.D.), Doctorant en sociologie, Mandataire de la Conférence des éluEs municipaux et des experts scientifiques, tenue à Saint-Bonaventure

Partager.

Répondre