Ligne 9 d'Enbridge : un business case qui ne tient pas la route

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Par Karel Mayrand
Directeur pour le Québec, Fondation David Suzuki

Une coalition de gens d'affaires en faveur de l'inversion de la ligne 9 a été lancée le 29 mai dernier. Ce regroupement prétend que ce projet « adhère au principe d'un développement responsable et durable ». Ces propos rappellent ceux du ministre de l'Industrie Joe Oliver qui allait jusqu'à qualifier le pétrole de « ressource renouvelable ». On voit mal comment un projet qui permet l'expansion de la production de pétrole serait responsable et durable alors que la planète vient de dépasser une concentration de 400 parties par millions de CO2 dans l'atmosphère. Ce discours est une vaine tentative de greenwashing d'un projet qui n'a rien de durable.

À la décharge de la nouvelle coalition, il faut saluer le fait que ses représentants ont rappelé l'importance pour le Québec de diminuer sa consommation de pétrole. On aimerait voir les associations d'affaires déployer des efforts aussi considérables pour soutenir cet objectif que pour inverser la ligne 9. Mais pour l'instant, le projet de pipeline est soutenu à grand renfort de publicités et de relations publiques. La réduction de la dépendance au pétrole et la lutte aux changements climatiques attendront.

 

Ce qui frappe dans l'ensemble de l'argumentaire déployé pour soutenir l'inversion de la ligne 9, c'est la faiblesse du business case proposé et des hypothèses qui la soutiennent. Une série d'arguments sont avancés pour justifier le projet d'inversion, mais au final, l'argumentaire est truffé de désinformation volontaire ou involontaire, en plus d'être incohérent. Reprenons un à un les principaux arguments :

L'inversion de la ligne 9 vise à assurer la sécurité énergétique du Québec. Cet argument a été contredit par Enbridge qui a déjà indiqué son intention de poursuivre l'inversion jusqu'à Portland, Maine. Le travail préparatoire est déjà en cours du côté américain. Quant à Transcanada, elle ne cache pas son intention de construire un nouveau pipeline qui traversera le Québec pour se rendre à Saint John, Nouveau-Brunswick. Des municipalités du Bas-Saint-Laurent ont déjà été avisées de ce projet. L'objectif premier de ces projets est d'exporter le pétrole des sables bitumineux vers le marché mondial.

L'inversion de la ligne 9 permettra d'approvisionner le Québec à moindre coût. Il est connu que le pétrole des sables bitumineux coûte présentement vingt dollars de moins le baril que le Brent de la Mer du Nord en raison de son manque d'accès à la mer. Tous les spécialistes s'entendent sur le fait que ce pétrole se transigera au pris du Brent dès lors qu'il touchera la mer. Ainsi les raffineries du Québec ne pourront s'approvisionner à moindre coût que dans l'éventualité improbable où Enbridge et Transcanada décidaient de se priver de la prime à l'exportation obtenue en acheminant le pétrole vers Saint John et Portland.

À ce stade, on comprend aisément que le pétrole ne fera que transiter par le Québec et qu'il sera vendu au plus offrant. Les raffineries québécoises devront donc s'approvisionner au prix du marché mondial.

L'inversion de la ligne 9 va diminuer le trafic de pétroliers sur le Saint-Laurent. La logique même veut que si les raffineries québécoises s'approvisionnent par pipeline, elles cesseront l'approvisionnement par tanker. Mais tout n'est pas si simple. Valero, la compagnie qui détient la raffinerie d'Ultramar à Saint-Romuald, a annoncé son intention d'acheminer le pétrole par navire de Montréal à Québec. Ainsi, on va remplacer un trafic de pétrolier dans le golfe et l'estuaire du Saint-Laurent par le même trafic dans la portion en eau douce du fleuve. Rien pour nous rassurer sur notre approvisionnement en eau potable. À cela s'ajoutent les projets du Port de Montréal et de Transcanada, qui veut bâtir un terminal portuaire près de Québec, de développer le transport du pétrole par le fleuve. Le Saint-Laurent deviendra-t-il la voie d'exportation du pétrole albertain?

Le transport par pipeline est plus sécuritaire et plus écologique que le transport maritime. On peut douter fortement de cet argument à la lumière des déversements catastrophiques d'Enbridge à Kalamazoo, pour laquelle elle a été sévèrement blâmée, et d'Exxon Mobil en Arkansas en mars 2013. En outre les déversements de pipelines sont fréquents en Amérique du Nord, et les entreprises qui les gèrent sont régulièrement critiquées pour leur mauvaise gestion des risques, et leur incapacité d'intervenir efficacement en cas de déversement. La fréquence des déversements de pipelines est trop grande pour que les risques soient significativement réduits en comparaison au trafic maritime. L'argument invoqué par l'un des porte-paroles de la coalition en faveur du renversement de la ligne 9 vaut la peine d'être mentionné ici : « On peut aller sur la lune, on est sûrement capable de faire des pipelines qui ne coulent pas ». Malheureusement non. Et les faits le démontrent.

L'inversion de la ligne 9 va créer des emplois au Québec. C'est ici que l'ensemble du business case montre ses plus grandes faiblesses. D'abord on admet que l'inversion ne créera pratiquement pas d'emplois directs. Ensuite on fait miroiter la création de nouveaux emplois hypothétiques dans la pétrochimie, sans pouvoir mentionner un seul projet concret. Puis on fait l'hypothèse que les raffineries québécoises pourront s'approvisionner en priorité et à moindre coût, ce qui est fortement questionnable. Finalement, s'il s'avérait que ce scénario improbable se matérialise, le pétrole albertain viendrait concurrencer à plus faible prix le pétrole que le Québec veut exploiter à Anticosti ou dans le golfe Saint-Laurent, et que les mêmes associations d'affaires souhaitent voir se développer. On ne peut s'empêcher de se gratter la tête… Où est le business case pour le Québec?

L'argumentaire en faveur de l'inversion de la ligne 9 est truffé d'hypothèses sans fondement, de sophismes, d'incohérences et de tentatives délibérées ou involontaires de désinformer le public. Tout indique que la coalition en question souhaite ouvrir le passage en sol québécois de pipelines albertains, sans aucune garantie de retombées ou de contrepartie, et en acceptant d'en assumer tous les risques. Même la Colombie-Britannique a refusé un tel marché de dupe. Nous sommes tous en faveur du développement économique, mais encore faut-il présenter un business case qui se tienne. Celui-ci, malheureusement, ne tient pas la route.

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