Activisme environnemental : Le rôle de la passion dans le choix de nos actions

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Par Anne-Sophie Gousse-Lessard
Doctorante (Ph.D) en psychologie, Laboratoire de Recherche sur le Comportement Social de l'UQAM

 

« Sans passion, le changement n’est pas possible »

(David Suzuki, 2002, p.3; traduction libre)

 

Certaines personnes choisissent de s’engager corps et âme dans une cause qui leur est chère. À l’heure où les problèmes liés à l’environnement se font plus pressants, plusieurs personnes s’engagent activement dans la cause environnementale afin d’améliorer la situation et sensibiliser la population. Alors que certains activistes optent pour une approche modérée, d’autres utilisent des moyens plus radicaux pour atteindre leurs buts. Pourquoi? Qu’est-ce qui pousse certains individus à franchir les normes sociales ou législatives? La passion pourrait bien être la réponse.

 

La passion

La passion est-elle une source d’énergie positive et d’inspiration ou conduit-elle à certaines obsessions? Platon (429-347 BC) avait une vision plutôt négative de la passion qui, croyait-il, est reliée à la perte de la raison. Passif et soumis à sa passion, l’individu perdrait le contrôle de lui-même. Ainsi privé de raison, l’humain serait rabaissé à ses instincts animaux et primitifs. À l’opposé, d’autres penseurs tels Rousseau (1712-1778) et Hegel (1770-1831) affirmaient que la passion est non seulement utile mais nécessaire puisqu’elle peut mener à la connaissance et la vérité. Elle aurait un pouvoir énergisant permettant d’atteindre de hauts niveaux de performance et de réussite.

Plus récemment, Vallerand et ses collègues (2003) ont élaboré le Modèle dualiste de la passion qui intègre cette vision contrastée. Selon eux, la passion est une vive inclination envers une activité (ou une cause) qui nous définit, que l’on aime, que l’on valorise, et dans laquelle on investit régulièrement temps et énergie. La passion est donc une puissante force motivationnelle. Bien intégrée dans notre identité, l’activité passionnante ou la cause qui nous tient à coeur en vient à faire partie de nous, de qui nous sommes. Selon ce modèle, il existe deux types distincts de passion, soit la passion harmonieuse (PH) et la passion obsessive (PO). Comme son nom l’indique, la PH est en harmonie avec les diverses sphères de vie (travail, famille, loisirs). L’activité passionnante prend une place importante, mais pas disproportionnée dans la vie de l’individu qui demeure en contrôle de son engagement dans l’activité. À l’opposé, la PO est une passion « carnivore ». Elle prend une place démesurée dans la vie (et dans les pensées) de l’individu. Il en découle un besoin incontrôlable et urgent de s’engager dans l’activité passionnante, ce qui amène souvent des conflits entre les différents domaines de vie. La PO est typiquement liée à des conséquences moins adaptatives que la PH, notamment sur le plan émotionnel (e.g., colère, angoisse, culpabilité) et comportemental (e.g., tricherie, agressivité). Il faut toutefois souligner que ceci représente de grandes tendances. En réalité, nous portons en nous un peu des deux types de passion.

 

Passion et activisme environnemental

Dans le cadre de ma thèse doctorale, je me suis demandé si les individus activement impliqués envers la cause environnementale étaient passionnés et quel était l’impact de leur passion sur leurs comportements. La passion pourrait-elle expliquer, du moins en partie, que certains individus soient prêts à agir de façon plus radicale pour améliorer la cause qui leur est chère? Il est important de noter que selon notre perspective, le radicalisme n’est ni bon ou mauvais, ni acceptable ou inacceptable. Loin d’un jugement moral, nous tenions à définir un comportement radical comme étant tout simplement un comportement «hors norme», dont la majeure partie de la population ne serait pas prête à faire. Ainsi, un comportement radical n’est pas nécessairement violent ou illégal, mais seulement perçu en moyenne comme allant au-delà des normes sociales partagées.

 

Nous avons conduit trois études auprès de 400 individus fortement impliqués envers la cause environnementale (Gousse-Lessard et al., 2013). De façon intéressante, les résultats ont démontré une grande prévalence de la passion chez ces individus. 93% d’entre eux affichaient une passion au moins modérée envers la cause environnementale! La passion semble donc être une composante importante de l’engagement en matière d’environnement. Aussi, les résultats ont fait ressortir deux profils distincts d’activisme. Les participants qui affichaient une PH prépondérante voulaient agir de façon concrète pour aider la cause, mais pas à n’importe quel prix. En moyenne, ils n’étaient pas prêts à effectuer des comportements pouvant être perçus comme radicaux, préférant se concentrer davantage sur une approche de type modérée (e.g., signer une pétition). Les individus ayant une PO prédominante, quant à eux, semblaient être prêts à tout pour faire avancer la cause, comportements modérés et radicaux inclus (e.g., sermonner sévèrement un inconnu qui pollue). Selon les résultats, les émotions semblent aussi jouer un rôle important, surtout chez les individus ayant une forte PO. Lorsqu’ils vivent des émotions positives (e.g., joie, satisfaction, fierté), ces individus tendent à privilégier une approche plus modérée alors que les émotions négatives (e.g., nervosité, colère, hostilité) les poussent à opter pour une approche plus radicale.

 

Réflexions

Très présente chez les militants, la passion jouerait donc un rôle clé en matière d’engagement. Globalement, les deux types de passion permettent de prédire le type d’approche privilégiée. Soumis à leurs émotions, les militants ayant une PO prépondérante semblent être prêts à agir de façon plus radicale. Une telle conduite est-elle efficace? Difficile de se prononcer. Se brouiller avec sa propre famille au nom de ses convictions ou bloquer la circulation sur un pont pour attirer l’attention sur la cause pourrait ne pas toujours avoir l’effet escompter. La population, loin d’être convaincue, pourrait en effet plutôt vouloir se distancier de ces actions (et de ces activistes). Pourtant, du point de vue de l’histoire des mouvements sociaux, certaines formes de radicalisme ont fait leurs preuves. Pensons seulement à la lutte des noirs, des homosexuelles ou des femmes qui ont tous été perçus, à un moment ou un autre, comme étant radicaux avant de devenir la norme. Plusieurs questions tant qu’à l’activisme demeurent donc en suspens. Nos résultats, nous l’espérons, peuvent toutefois éclairer certains programmes d’éducation relative à l’environnement quant à l’importance de la transmission de la passion afin de susciter l’engagement citoyen.

 


Références

  • Gousse-Lessard, A-S., Vallerand, R.J., Carbonneau, N. & Lafrenière, M.-A., K. (2013). The Role        of Passion in Mainstream and Radical Behaviors: A Look at Environmental Activism.     Journal of Environmental Psychology, 35,18-29.
  • Suzuki, D. (2002). Message from the chair. In David Suzuki Fondation (Éds.), Annual report   2001 (p.3). http://www.davidsuzuki.org/publications/downloads/2001/DSF%3DARfinal11.pdf
     
  • Vallerand, R.J., Blanchard, C., Mageau, G.A., Koestner, R., Ratelle, C.F., Léonard, M., Gagné, M., & Marsolais, J. (2003). Les passions de l’âme: On obsessive and harmonious passion. Journal of Personality and Social Psychology, 85,756-767
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