La consigne sur les contenants de boissons à l’heure des élections municipales

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Par Pierre Batellier
Chargé de cours en responsabilité sociale des entreprises à HEC Montréal, doctorant à l’UQAM et président du conseil d’administration de la Coopérative de solidarité les valoristes 

 

Au-delà de l’environnement un enjeu socio-économique majeur.

En juin 2012, M. Arcand, alors ministre libéral du développement durable, de l'environnement et des parcs, annonçait l’augmentation de la consigne de 5 sous à 10 sous au 1er janvier 2013. Une décision importante qui venait enfin actualiser une consigne dont le montant était gelé depuis sa création en 1984. Cependant, le nouveau gouvernement péquiste a annulé cette décision en décembre 2012 et a annoncé une étude comparative sur l’efficacité des systèmes de récupération des contenants de boisson que sont la consigne et la collecte sélective. Cette volte-face tient probablement à la pression de plusieurs acteurs influents : les centres de tri qui veulent récupérer certaines matières de la consigne, les embouteilleurs d'eau, jus et autres boissons sucrées, la SAQ « menacées » par une consigne élargie ainsi que certains détaillants qui ne veulent plus gérer le retour de la consigne sur des contenants qu’ils vendent pourtant par millions.

 

Ces derniers mettent notamment de l’avant la supposée efficacité supérieure de la collecte sélective en termes de quantité de manière collectée, de simplicité pour l’usager et de coût total de gestion. Cependant, se limiter à ces critères relève d’une vision très étroite des enjeux et ne peut servir de base à une saine prise de décision des pouvoirs publics tant provinciaux que municipaux. Plusieurs éléments doivent être considérés afin de bien appréhender et comprendre cet enjeu :

Tout d'abord, la consigne continue, malgré la baisse de l’incitatif du 5 ou 10 sous jamais indexé, à présenter des taux de récupération élevés. De plus, la consigne couvre les contenants consommés hors du foyer souvent non comptabilisés dans la performance de la collecte sélective (restreinte à la collecte sélective résidentielle). Par ailleurs, en refusant l’augmentation de la consigne, on compare un système non actualisé avec une collecte sélective ayant reçu des investissements publics massifs au cours des dernières années. Or l’expérience des autres provinces – qui ont majoritairement augmenté et élargi la consigne aux autres contenants de boisson – montre que, plus le montant de la consigne et si la consigne est élargie, le taux de récupération augmente.

 

Un deuxième critère est la qualité et l’utilisation finale de la matière recyclée. Des tonnes de matières recyclables ramassées par collecte sélective sont mélangées et se contaminent mutuellement. Aussi, ces matières, papier et plastiques notamment, ont une plus faible valeur, moins de débouchés voire sont envoyées en Chine quand des besoins locaux sont comblés par des matières importées. Au contraire, la consigne fournit une matière peu contaminée car triée à la source et recyclée à presque 100% avec des utilisations de plus grande valeur ajoutée.

 

Une autre vertu de la consigne est la réduction à la source et la sensibilisation du consommateur liée à l’augmentation du déboursé à l’achat et au fait d’associer concrètement un coût à notre (sur)consommation.

La consigne est un système juste et cohérent avec les principes du « pollueur payeur » et de « responsabilité élargie du producteur ». En effet, grâce au retour élevé des contenants consignés, un contribuable non consommateur de boissons gazeuses ou de bièrepaiera unfaible pourcentage des coûts de gestion des matières résiduelles générées par ces contenants, ceux-ci étant assumés essentiellement par la consigne du consommateur. Par contre, pour les contenants d'eau ou de jus non consignés, c’est le contribuable, via ses taxes municipales, qui paie l’essentiel de ces mêmes coûts même s’il n’a pas consommé ces boissons. En effet, malgré la compensation depuis janvier 2013 des coûts de collecte résidentielle des municipalités par les producteurs de biens utilisant des contenants et emballages, le contribuable – même s’il ne consomme pas d’eau embouteillée ou de jus de fruits – paie la majeure partie des frais de recyclage sur la voie publique, la totalité des poubelles et le nettoyage des espaces publics où l’on retrouve la plupart de ces contenants largement consommés hors foyer et faiblement recyclés.

 

Enfin, dimension sociale majeure de la consigne trop souvent oubliée : la consigne sert à générer des revenus pour des organismes communautaires et pour les « valoristes » qui glanent ces contenants dans la ville. Ces derniers, parties prenantes « muettes » faute de voix sur la place publique, sont des centaines, fort probablement des milliers à Montréal et au Québec qui ramassent des contenants consignés dans les poubelles, bacs verts, sur la voie publique ou via des accords informels avec des citoyens, institutions et commerces et les retournent pour récupérer l’argent de la consigne. Une consigne dont, malheureusement, ils ne reçoivent souvent pas l’entière valeur, pénalité du pauvre qui, quand l’accès au point de retour chez le détaillant ne lui est pas refusé, se voit souvent imposer des conditions illégales pour son retour de consigne (quantité limitée, contenants non acceptés, obligation d’achat, etc.). Malgré ces difficultés et des conditions de travail exigeantes (coupures, lourdes charges à transporter, longues distances à marcher), ces personnes – qui contribuent à la propreté de nos espaces publics et à l’efficacité de la consigne – vont chercher grâce à ce travail de glanage flexible et autonome un revenu d'appoint important souvent une dernière barrière à l'itinérance et à une plus grande marginalisation sociale en les maintenant dans une activité honnête et en relative interaction avec la société. Aussi, « par la bande », toute décision sur la consigne a des impacts socio-économiques majeurs sur l'itinérance, la lutte à la pauvreté, la réinsertion, la santé et la sécurité publiques.

 

En conclusion, la décision sur l’augmentation de la consigne doit s’appuyer sur l’ensemble de ces éléments afin de tenir compte de cette réalité socio-économique complexe et ne pas s’arrêter à quelques données quantitatives de coûts et de tonnages de matières collectées. La nature des enjeux mais aussi notre capacité d’innovation sociale au Québec nous exigent cette analyse rigoureuse de nos deux systèmes de recyclage hautement complémentaires : la collecte sélective mais aussi cette si importante consigne.

 

Il sera important que les candidats et élus municipaux qui auront une voix importante dans ce dossier clarifient leur position sur ce dossier lors de la campagne électorale et, au début de leur mandat, pour les candidats élus !

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