LETTRE OUVERTE: Qui mordra le premier?

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Photo de Haute-Vienne Tourisme – Flickr

Selon les dernières nouvelles en matière de biodiversité et d’espèces menacées, nos deux paliers de gouvernance provinciale et fédérale en matière environnementale semblent l’un comme l’autre incapables, voire réticents, d’appliquer les lois en vigueur pour colmater les déclins inexorables d’une liste d’espèces de plantes et d’animaux en péril qui s’allonge invariablement chaque année.

Or, il faut se rappeler que toutes ces espèces ne constituent en fait qu’un contingent de tristes ambassadeurs biologiques de leurs habitats respectifs, soit leurs propres milieux de vie naturels, qui eux-mêmes ne profitent d’aucune forme de protection légale en dehors des divers parcs provinciaux, refuges fauniques et autres terres publiques.

La plupart de ces types de milieux nous fournit des avantages économiques aujourd’hui clairement reconnus par la communauté internationale, les « biens et services écologiques » : réduction de la pollution de l’air et de l’eau, fosse à carbone, filtration des eaux de surface, contrôle des niveaux de crues, et plusieurs autres bénéfices. Mais il s’avère que la majorité de ces milieux menacés par l’étalement urbain et l’exploitation des ressources naturelles se retrouve plutôt sur des terres privées, qui sont bien à l’abri des lois courantes, déjà peu appliquées sur les terres publiques. Cette situation est d’autant plus courante dans le sud de la province, où incidemment la biodiversité y atteint son apogée.

Des dossiers municipaux très médiatisés comme le Boisé des Hirondelles à Saint-Bruno, l’Ile-aux-foins à Carignan, les boisés de Léry, et surtout, le parc de conservation de la rainette faux-grillon à La Prairie font fréquemment état des dilemmes qu’engendrent les lacunes légales concernant ces milieux naturels sans protection en terre privée.

Notre gouvernement provincial vient d’émettre en toute discrétion ses nouvelles orientations en matière de diversité biologique au cours de l’été dernier. Ce document d’ambitions pieuses, prêche haut et fort les Objectifs d’Aichi du plan stratégique pour la Biodiversité 2011-2020 de la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies. Le deuxième des trois enjeux fondamentaux de ce document stipule le « développement sans préjudice irrémédiable à la biodiversité biologique et aux services écologiques » et prône la « révision des règlements » pour atteindre ce but.

Parallèlement, Environnement Canada, qui depuis quelques années s’est vu bâillonné, amputé et sévèrement désarmé par la gouvernance d’Ottawa, fait également piètre figure malgré sa meilleure volonté. Sans grande surprise, le gouvernement Harper vient d’essuyer un rapport désastreux de son vérificateur général en environnement en ce qui concerne la protection des espèces en péril.

Les lois fédérales ayant préséance sur la juridiction provinciale en matière d’espèces en péril, Nature Québec a, le printemps dernier, sommé ce ministère d’intervenir d’urgence dans le dossier de la rainette faux-grillon sur le territoire de la Ville de La Prairie. Cette demande d’intervention faisait suite à une déclaration de l’équipe intergouvernementale du Plan de Rétablissement de l’espèce à l’effet que le Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs avait failli à ses obligations dans ce dossier. Devant l’inertie du gouvernement canadien, Nature Québec a renforcé son intervention en septembre dernier en envoyant une mise en demeure à Environnement Canada dans l’espérance de relancer le dossier!

C’est donc depuis plusieurs mois que ces deux ministères se regardent dans les yeux, l’un espérant qu’il n’aura pas à forcer l’autre à refaire ses devoirs, et l’autre que l’un ne l’y forcera pas. Deux opposants tout aussi réticents à remplir leurs obligations respectives, et tout aussi réfractaires d’être contraints à monter dans la même arène pour régler leurs différends.

Il est grand temps que nos gouvernements se dotent de lois qui donneront à leurs fonctionnaires les armes légales nécessaires pour intervenir efficacement en intendance privée. Car actuellement, il est impossible d’espérer enrayer la disparition continuelle de nos milieux naturels et par le fait même, les services précieux qu’ils rendent gratuitement à notre société.

A ce jour, la plupart des municipalités considèrent les réglementations et contraintes des deux ministères comme des irritants mineurs  à contourner au lieu de les traiter avec le respect qu’ils devraient théoriquement inspirer.

Alors qui, de ces deux soi-disant chiens de garde de notre biodiversité, sera le premier à oser se doter d’une corde plus longue, d’un poids plus imposant, et surtout de crocs plus acérés? 

 

Source: Dr. Philippe Blais MD, B.Sc., président du CRE Montérégie 

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