Protection de l’environnement et partis politiques. Plus ça change…

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Par Jean Baril
Avocat et docteur en droit, auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

 


 

 

Un récent article du journal Le Devoir intitulé « Quand la politique pollue l’environnement » portait sur le sort réservé au projet de loi 43 sur les mines ainsi qu’à celui concernant un « moratoire » sur les gaz de schiste[1]. Je veux donner d’autres exemples de cette situation concernant nos mécanismes d’évaluation environnementale.

 

La saga du gaz de schiste…et du pétrole

On se souvient des liens étroits liant l’industrie du gaz de schiste au parti Libéral lorsqu’éclate la controverse face à l’arrivée de cette industrie. À ce moment, aucune autorisation environnementale n’est nécessaire pour de telles opérations approuvées en vertu d’une Loi sur les mines jugée vieillotte, mais increvable… Le gouvernement Charest résiste alors farouchement, tout comme l’industrie, à l’idée d’une évaluation environnementale menée par l’organisme québécois le plus crédible en cette matière, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Devant le fouillis entourant les autorisations et la pression populaire, le gouvernement annonce, en août 2010, qu’il donne mandat au BAPE d’étudier cette filière. Cependant, ce mandat est vite dénoncé tant il va à l’encontre de plusieurs principes liés à une évaluation environnementale conséquente. Nul ne croit, sauf les libéraux, qu’il est possible au BAPE de livrer la marchandise en moins de 6 mois, alors que l’état de nos connaissances est pratiquement nul. La crédibilité de l’organisme est alors en jeu.

Heureusement, le BAPE recommandera de procéder à une évaluation environnementale stratégique afin de compléter nos connaissances et de prendre ensuite des décisions mieux éclairées sur ce sujet. Le comité responsable de cette évaluation rendra public son rapport à la fin novembre, après 30 mois de travail et 80 études en tout genre réalisées. Outre la controverse entourant son mode de nomination, l’existence de ce comité a été ponctuée d’interférences du politique dans un processus d’évaluation qui devrait être impartial et indépendant. Ainsi, devant les forages pétroliers en Gaspésie et les projets de fracturation annoncés sur Anticosti, l’ancien ministre Arcand avait timidement annoncé que le mandat de l’ÉES était « élargi » au pétrole. Intention louable et tout à fait logique puisque les technologies ainsi que les impacts environnementaux et sociaux sont les mêmes. En pratique toutefois, les études commandées, les régions concernées, le temps et le budget alloué permettaient difficilement d’atteindre un tel objectif.

Quand le Parti Québécois prend le pouvoir, il s’empresse de modifier le mandat de l’ÉES pour le ramener au seul gaz de schiste des Basses Terres du Saint-Laurent. De plus, il annonce qu’il transfère au BAPE le mandat de consulter la population sur les études réalisées et le rapport final du comité ÉES. Exit la consultation des gens de Gaspésie ou d’Anticosti.

 

Quand on court-circuite une évaluation en cours

Puis, fleurant le « bonbon politique » le gouvernement Marois dépose, en mai 2013, un projet de loi devant instaurer un supposé moratoire sur le gaz de schiste. J’écris supposé parce que le projet de loi prévoit un terme MAXIMUM de 5 ans à ce moratoire OU jusqu’à l’adoption d’une nouvelle Loi sur les hydrocarbures, loi promise par les Libéraux en 2010 et annoncée par le gouvernement péquiste pour le printemps 2014. On est très loin de l’hypothèse « Aucun développement » analysée et documentée par les travaux de l’ÉES en cours et sur laquelle nous serons consultés. Ce mauvais projet de loi court-circuite donc un processus public d’évaluation et comporte des dérives sémantiques visant à faciliter l’exploration pétrolière sur Anticosti et en Gaspésie qui, comble d’ironie, semblent passer sous le radar de ceux obnubilés par le mot « moratoire » dans le titre…

Par ailleurs, certaines études relevant de l’ÉES en cours concernent la question de la protection de l’eau et traitent des distances séparatrices à éventuellement adopter pour protéger cette précieuse ressource. Là aussi le gouvernement a déjà fait son lit et annoncéun nouveau Règlement sur ce sujet, dont le contenu est bien en deçà de ce que plusieurs municipalités ont adopté en prévision de l’arrivée des foreuses gazières ou pétrolières (le principe de subsidiarité dans notre Loi sur le développement durable ne semble pas exister). En 2014 on nous consultera sur le contenu des études sur le sujet, réalisées dans le cadre de l’ÉES, et le BAPE devra ensuite faire des recommandations. D’ici là cependant, le règlement risque d’être adopté…

 

L’évaluation québécoise des projets pétroliers pancanadiens

Et que dire du mode d’évaluation en commission parlementaire retenu pour le projet d’inversion de l’oléoduc d’Enbridge? Laisse-t-il présager l’évaluation qui prévaudra pour le projet de construction du pipeline Énergie Est par TransCanada? Une « gouvernance souverainiste » exigerait minimalement d’assujettir ce type de projet à notre procédure d’évaluation et d’examen plutôt que de laisser l’Office national de l’énergie de M. Harper nous dicter les conditions d’utilisation du territoire québécois. Même minoritaire, cela est parfaitement faisable! Mais, un gouvernement qui ne parvient pas à modifier ce règlement pour y assujettir les projets miniers relevant de sa seule compétence peut difficilement se lancer dans l’aventure constitutionnelle sur le partage des compétences en matière d’évaluation environnementale! Surtout que, au plus haut niveau, tant à Ottawa qu’à Québec, ces projets pétroliers semblent bienvenus. Alors, une petite commission parlementaire entre « gens qui savent » fera l’affaire. Et après avoir lui-même tergiversé durant un an sur le type de consultation à tenir concernant le projet d’Enbridge, le gouvernement donne moins de deux semaines d’avis aux groupes et aux citoyens pour se préparer et présenter un mémoire à cette commission. Beau déséquilibre…

Pour contrer cet arbitraire politique, il faut une modification profonde de nos mécanismes d’évaluation permettant l’information et la consultation du public, entre autres en encadrant légalement la tenue d’une évaluation environnementale stratégique pour tout nouveau plan, politique ou programme, comme avancé par le droit international de l’environnement. Durant son bref passage comme ministre, M. Daniel Breton avait mis sur pied un comité indépendant devant faire des recommandations quant à la modernisation de nos mécanismes d’évaluation environnementale. On ne sait pas le sort qui lui fut réservé par son successeur… Cependant, l’Assemblée nationale vient d’adopter une résolution qui « presse le ministre de l’Environnement, du Développement durable, de la Faune et des Parcs de faire preuve de transparence et de diligence dans la nécessaire réforme du cadre d’évaluation environnementale québécois.» Belles paroles, mais le comportement de nos principaux partis politiques ne laisse guère d’espoir à ce sujet…



[1]
Alexandre Shields, Le Devoir, 9 novembre 2013.

 
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