L’investissement responsable, ça ne change pas le monde, sauf que…

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Par Eugénie Emond


Mots clefs : PRI, ISR, Desjardins, Rosalie Vendette, GRI, Allison Marchildon, ESG, Olivier Gamache

 

Rosalie Vendette, conseillère principale en ISR chez Desjardins

L’investissement socialement responsable (ISR) exerce-t-il une réelle influence sur les pratiques environnementales, sociales et de gouvernance des entreprises?

C’est qu’il faut avoir une volonté de fer pour proposer à de grandes corporations de tenir compte des valeurs autres que la seule recherche de profit. Mais petit train va loin, comme dit l’adage.

Par contre, les résultats connus sont encourageants. Les investissements socialement responsables représentaient 20% des actifs sous gestion de l’industrie financière canadienne, selon la Revue 2012 de l’investissement socialement responsable au Canada, publiée par l’Association pour l’investissement responsable (AIR). Lors de la publication de ce rapport, 89% des fonds appartenaient à des régimes de retraite.

Des balbutiements de l’ISR initiés par les communautés religieuses au 18ième siècle qui souhaitaient intégrer des valeurs morales au sein des pratiques financières, aux Principes pour l’investissement responsable (PRI) établis par l’ONU en 2006, l’ISR a évolué pour répondre aux préoccupations du présent siècle.

Un des obstacles de ISR, c’est que de nombreux mythes perdurent à son sujet.

 

Un actionnariat engagé

Définissons d’abord le terme.  L’Association  pour l’investissement responsable propose  que « l’Investissement socialement responsable prend en compte des considérations sociales, environnementales et de gouvernance (ESG) dans le choix et la gestion des placements».

Et ça peut prendre la forme de l’actionnariat engagé.

Ce qui veut dire, qu’«on va avoir des discussions avec Métro à propos de leur politique d’approvisionnement responsable, ou avec la chaîne Tim Hortons concernant le dossier de la foresterie, notamment sur leur utilisation de papier, de carton et d’huile de palme», illustre Rosalie Vendette, conseillère principale en ISR chez Desjardins, un chef de file dans le domaine au Québec.

Le Mouvement Desjardins a été la première institution financière à créer un Fonds Desjardins Environnement en 1990.

«C’est très puissant le mécanisme de dialogue qu’on a. Nous interpelons les conseils d’administration et c’est avec eux ou leurs représentants de la haute direction que l’on discute», poursuit Mme Vendette.

Cette façon de faire prend plusieurs mois à établir.

Si certains dirigeants se montrent réfractaires aux pourparlers, des propositions d’actionnaires peuvent être soumises aux assemblées générales annuelles pour emmener l’ensemble des détenteurs d’actions à se prononcer sur un enjeu donné.

 

L’investisseur réintègre son rôle

Pour Olivier Gamache, président-directeur général du Groupe investissement responsable, la seule entreprise québécoise à offrir, entre autres, des services de recommandations de droit de vote pour les investisseurs, cette façon de faire est un juste retour du balancier.

«Pendant trop longtemps les investisseurs ont laissé aux gestionnaires le choix de gérer leur argent».

Pressions des actionnaires ou pas, plusieurs joueurs n’ont tout simplement plus le choix de considérer les enjeux ESG. C’est le cas des compagnies d’assurance qui doivent maintenant composer avec les conséquences des changements climatiques.

«Ça joue beaucoup sur les réclamations, ça affecte leur modèle d’affaires à son cœur», ajoute Gamache.

 

Quels rendements ?

Des études provenant à la fois des milieux financiers et académiques démontrent que les rendements à moyen terme des fonds ISR sont comparables à ceux des placements traditionnels, avec un peu moins de risques. Et ISR ou pas, c’est le court terme qui offre parfois de faibles résultats.

Denis Dion, chef des produits sociétaires chez Desjardins donne l’exemple du secteur des énergies propres.

En 2010-2011, la Chine avait envahi le marché des panneaux solaires, faisant chuter dramatiquement les prix et le cours des actions. «Ce sont de courtes périodes, mais souvent les gens vont focaliser sur un petit segment du marché plutôt que de regarder le contexte général», estime Denis Dion.

 

Qui en sont les consommateurs?

Desjardins  a développé des produits financiers accessibles à tous les types de clientèle. Ils sont d’ailleurs aujourd’hui des milliers de détenteurs à opter pour de l’ISR, qui touche 13% de sa clientèle.

«Si on regarde l’ensemble de nos clients, on peut dire que ceux qui choisissent l’ ISR semblent être un peu plus jeunes que la moyenne, dans des catégories un peu plus éduquées et un peu plus urbaines, mais ça bouge beaucoup ces choses-là», précise Rosalie Vendette.

Faut-il éviter d’investir dans certains secteurs contentieux?

«La notion de secteur à éviter, c’est une stratégie qui est utilisée par très peu d’investisseurs, majoritairement des investisseurs du type des communautés religieuses qui pratiquent de l’investissement éthique vraiment basé sur leurs valeurs personnelles», note Olivier Gamache.

Avec une économie canadienne qui s’appuie fortement sur le secteur des ressources naturelles, plusieurs préfèrent d’ailleurs influencer les décisions de l’intérieur plutôt que de quitter la table.

« Un joueur comme Suncor est démonisé dans les médias, mais quand vous regardez les pratiques qu’ils mettent de l’avant pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et leurs rejets, ils démontrent une très bonne efficacité», assure  Rosalie Vendette.

 

Élargir la portée de l’ISR

Il n’existe toujours pas de normes au Québec pour baliser l’ISR. Chaque investisseur ou institution financière choisit les critères ESG à la pièce et les applique selon son bon vouloir.

Mais l’ISR ne pourrait-il pas avoir une portée plus grande que de se limiter à la simple administration de principes? Une question que soulève  Allison Marchildon, professeure au département de philosophie et d’éthique appliquée de  l’Université de Sherbrooke et coauteure du livre Quelle éthique pour la finance? Portrait et analyse de la finance socialement responsable paru cette année aux Presses de l’Université du Québec.

Marchildon reconnait «les aspects positifs d’un mouvement qui a emmené dans l’espace public des questionnements qu’on n’avait pas avant», mais souhaiterait que la réflexion aille plus loin.

« Ce n’est pas parce qu’on pratique de l’ISR qu’on peut éviter une crise financière, il faut emmener une morale supplémentaire, un supplément d’âme à ce qui est fait et avoir une discussion de société, c’est un dialogue démocratique que ça prend sur ces questions-là», avance-t-elle.

En attendant un remaniement de fond des pratiques financières actuelles, l’ISR ouvre la voie au changement, un vote à la fois.

 

Source: GaïaPresse

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