Clin d’œil à la bourse du carbone du Québec

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Par France Grenier 
Étudiante à la maîtrise ès sciences de la gestion, spécialisation en stratégie, responsabilité sociale et environnementale  à l’ÉSG de l’UQÀM

 
 

Que souhaiter de mieux à l’entrée de la nouvelle bourse du carbone du Québec? Son succès! En effet, le 1er janvier 2014 marquait le « lancement officiel de la Western Climate Initiative (WCI) »[1], soit la bourse du carbone du Québec arrimée à celle de la Californie.

 

Revenons en peu en arrière. Tout d’abord au Québec, il y a eu la bourse de Montréal, MCeX[2], basée sur la politique fédérale mise en vigueur au 4e trimestre de 2007. Cette bourse fut retirée du marché le 27 juin 2011 due au manque de volonté du gouvernement fédéral d’instaurer un cadre réglementaire à échéance. La négociation s’est donc limitée à la liquidation des titres dont le prix fut fixé par la Corporation canadienne de compensation de produits dérivés (CDCC) à 7.00 $ CA[3]. De même, le gouvernement canadien n’a pas donné suite au projet pilote sur « l’initiative de la réduction de la pollution en Ontario » (Turcotte et al, 2008).

 

À l’inverse, le Parti Québécois, au pouvoir provincial, prend une position claire : « le Québec doit viser l’objectif de réduire d’au moins 25 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES), par rapport à 1990, d’ici 2020 »[4]et fait suite aux démarches entreprises par le Parti Libéral du Québec avant son renversement aux élections de l’automne 2012. En effet, le gouvernement provincial, sous le Parti Libéral, avait avancé ce projet de bourse du carbone avec les partenaires de la WCI (regroupement de provinces canadiennes et d’états nord-américains).

 

En opposition au projet, l’économiste Joël Wood soutenait dans un texte paru dans la revue Perspectives à l’été 2012 que « le Québec risque d’être à la merci de la Californie en ce qui concerne les règles du marché des droits d’émission »[5]. Pour lui, la « mise en place d’un système de plafonnement et d’échanges aura probablement des conséquences négatives sur l’économie québécoise »[6]. Il avançait sa théorie basée sur « une analyse scientifique par les économistes Lawrence Goulder de l’Université Stanford et Ian Perry de l’organisme Resources for the Future »[7]et aussi sur le fait que les autres partenaires de la WCI[8] n’enclenchent pas le pas.

 

Comme l’explique le nouveau ministre de l'Environnement du Québec, Yves-François Blanchette : « Le système de plafonnement et d'échange de droits d'émission (SPEDE) est une avancée majeure dans la lutte contre les changements climatiques, […] Le Québec et la Californie font désormais figure de précurseurs »[9].

 

Parallèlement sous le modèle du marché capitaliste de la « main invisible », expression d’Adam Smith (1776), l’Europe tente de redresser sa bourse du carbone en chute libre depuis la crise économique suite au krach de l’automne 2008, sa valeur est à 4,7 euros (6,43 $ CA)[10] en juillet 2013 alors qu’elle était à 32 euros en 2006[11]. En comparaison au cours de la même période en juillet 2013, le prix de celle de la Californie était de 14.00 $ US[12].

 

Contrairement aux dires de l’économiste Wood (2012), le Québec a établi ses propres règles ou limites. Ainsi afin d’atteindre les objectifs de réduction d’émission du Québec plus élevés à ceux de la Californie, « les entreprises québécoises doivent acheter plus de crédits pour une quantité égale d'émission »[13]. Pour l’instant, le Québec se limite aux 80 entreprises les plus polluantes[14] pour lesquelles « leurs émissions dépassent 25 000 tonnes d’équivalents CO2 par année »[15]. En fait, cette bourse du carbone devrait inclure dès le départ l’ensemble des entreprises surtout dans les secteurs émetteurs de « pollutions locales, telles que le monoxyde de carbone, les oxydes d’azote, les hydrocarbures imbrûlés et les particules » (Dragicevic et  Sinclair-Desgagné, 2010, p. 21) et de les soumettre en fonction du taux de pollution de leur secteur d’activités. Le ministre Blanchet mentionne que cela s’appliquera « l’année suivante au secteur du transport, de la transformation et du pétrole afin de couvrir 85 % des émissions totales »[16].

 

De plus, l’économiste Wood (2012) déplore le fait qu’il n’y ait pas de contrepartie prévue au Québec, il « avance que les conséquences négatives de l’initiative pourraient être évitées en partie en distribuant les permis d’émissions par le biais d’un système d’enchères et en utilisant les recettes [tirées de la vente des permis] pour réduire les impôts des particuliers et des sociétés »[17]. Dragicevic et Sinclair-Desgagné (2010) vont dans le même sens avec le redéploiement fiscal comme l’une des options du « double dividende » (p. 14-18). Par exemple, « le régulateur (gouvernement) peut redéployer le produit de la vente des permis en baissant la fiscalité générale » (p. 17). Une autre forme pour éviter le déséquilibre lié à la « compétitivité » (p. 15) étant donné que les autres provinces canadiennes et états nord-américains n’embarquent pas dans ce projet, les auteurs donnent aussi l’exemple du « succès aux États-Unis des permis négociables dû au fait que la distribution des permis s’est faite de façon gratuite. Ainsi les coûts directs n’ont pas été augmentés »(p. 17).

 

En fait, la même chose s’applique pour les écotaxes comme l'expriment Dragicevic et Sinclair-Desgagné (2010) sur le double dividende pour éviter de surtaxer et, par le fait même, de nuire à la croissance économique : « Il est nécessaire de restituer aux pollueurs une partie des recettes, sous forme forfaitaire, pour conserver les vertus incitatives des écotaxes et les rendre politiquement acceptables » (p. 16).

 

Faisant suite aux deux enchères de crédits de carbones enclenchées par la Californie, le « Québec a tenu le jeudi 11 avril 2013 une première enchère pilote qui a permis aux participants de se familiariser avec les processus. Le gouvernement du Québec a aussi confirmé à La Presse Affaires qu'une première distribution gratuite de crédits de carbone sera effectuée le 1er mai prochain »[18]. Ce qui est prévu est qu’à « chaque année, des unités d’émission sont allouées gratuitement à certains émetteurs dans une proportion qui correspond à la réduction des émissions de GES visée. Si les unités d’émission allouées gratuitement ne sont pas suffisantes, les émetteurs peuvent participer aux enchères ou acheter des unités d’émission sur le marché »[19]. Par ailleurs, il fut aussi annoncé que « la première vente officielle se fera en décembre 2013 »[20].

 

D’un point de vue optimiste, la nouvelle bourse du carbone du Québec, arrimée à celle de la Californie, entrée en vigueur officiellement depuis le 1er janvier 2014[21], aura plus de succès pour au moins trois bonnes raisons. En premier lieu, l’engagement et l’appui du Parti Québécois actuellement au pouvoir provincial. Comme le soutiennent Dragicevic et Sinclair-Desgagné (2010), le gouvernement détient un rôle primordial comme « régulateur pour surmonter le passage vers une économie qui englobe le développement durable » (p. 2). En second lieu, un marché élargi avec la Californie, conséquemment, plus de joueurs supposent plus d’interactions. M. Roger Fournier, vérificateur spécialisé en gaz à effet de serre (GES) à la tête de Carbon Quantum, souligne que « le marché du Québec est trop petit pour fonctionner en vase clos. La liaison avec la Californie est donc essentielle à sa survie »[22]. Et en dernier lieu, malgré ce qu’en pense l’économiste Wood (2012), la fixation d’un prix plancher et celle d’un plafond de droit d’émissions. Ainsi, il est prévu qu’à « chaque année, le prix plancher augmente graduellement et le plafond des émissions baisse l’établissement »[23].

 

Il ne reste qu’à espérer que cette bourse du carbone du Québec prenne son envol et soit des plus prometteuses tout en suscitant l’adhésion des autres provinces canadiennes et états nord-américains qui n’ont pas suivi initialement ce projet de la WCI.

 

Sites et sources journalistiques :

Canoe, Groupe TVA : http://argent.canoe.ca/

Gowlings, cabinets juridiques : http://www.gowlings.com/

La Presse : http://www.lapresse.ca/

Le Devoir : http://www.ledevoir.com/

Pieuvre : http://www.pieuvre.ca/

Marché climatique de Montréal : http://www.mcex.ca/index_fr

Parti Québécois : http://pq.org/vert-et-bleu/

 

Références scientifiques :

Dragicevic, Arnaud et Bernard Sinclair-Desgagné. 2010. Éco-fiscalité et réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Partenaires du CIRANO, 31 p.

Smith, Adam. 1776. « Nature and Caufes of the Wealth of Nations ». W. Strahan and T. Cadell, Londres.

Turcotte, Marie-France et al. 2008. Power and learning in managing a multistakeholder organization: an initiative to reduce air pollution in Ontario, Canada, through trading carbon credits. Journal of Power, vol. 1, no. 3, p. 317-337.

Wood, Joël. 2012. Réduction des émissions de GES : le Québec ne devrait pas se joindre au système californien. Perspectives de l’Institut Fraser, vol. 5, no. 2, été 2012, p. 7-11.

 



[1]
Pieuvre.ca, « Québec donne le feu vert au marché du carbone » : http://www.pieuvre.ca/2012/12/14/environnement-quebec-californie-carbone/, consulté le 23 janvier 2014.

[2]Marché climatique de Montréal, juin 2011 : http://www.mcex.ca/index_fr, consulté le 24 novembre 2013.

[3]TMX Bourse de Montréal, le 22 juin 2011, « Contrat à terme sur unités d’équivalent en dioxyde de carbone (CO2e) du Canada (MCX) » : http://www.mcex.ca/f_circulaires_fr/113-11_fr.pdf, consulté le 24 novembre 2013.

[4]Parti québécois, « Un Québec vert bleu » : http://pq.org/vert-et-bleu/, consulté le 24 novembre 2013.

[5]Le Devoir, le 28 juin 2012 : « Bourse du carbone : le Québec pourrait être à la merci de la Californie » : http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/353467/bourse-du-carbone-le-quebec-pourrait-etre-a-la-merci-de-la-californie, consulté le 5 décembre 2013.

[6]Ibidem.

[7]Ibidem.

[8]Ibidem.

[9]Canoe, Argent, Groupe TVA « Le Québec donne le feu vert au marché du carbone, 13 décembre 2012 : http://argent.canoe.ca/nouvelles/affaires/quebec-donne-feu-vert-marche-carbone-13122012, consulté le 23 janvier 2014.

[10]Le Devoir, par Éric Desrosiers, le 4 juillet 2013 : « L’Europe vole au secours de sa Bourse du carbone » par Éric Desrosiers, le 4 juillet 2013 : http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/382127/l-europe-vole-au-secours-de-sa-bourse-du-carbone, consulté le 5 décembre 2013.

[11]Ibidem.

[12]Ibidem.

[13]La Presse, « Feu vert au marché carbone Québec-Californie » par Paul Journet, le 3 octobre 2013 : http://www.lapresse.ca/environnement/politique-verte/201310/03/01-4695924-feu-vert-au-marche-du-carbone-quebec-californie.php, consulté le 5 décembre 2013.

[14]Ibidem.

[15]Gowlings, « Composants du marché du carbone et aspects fiscaux liés à l’attribution et l’échange de crédits carbone », août 2013 : http://www.gowlings.com/KnowledgeCentre/article.asp?pubID=2991&lang=1, consulté le 2 février 2014.

[16]La Presse, « Feu vert au marché carbone Québec-Californie » par Paul Journet, le 3 octobre 2013 : http://www.lapresse.ca/environnement/politique-verte/201310/03/01-4695924-feu-vert-au-marche-du-carbone-quebec-californie.php, consulté le 5 décembre 2013.

[17]Le Devoir, « Bourse du carbone : le Québec pourrait être à la merci de la Californie », le 28 juin 2012 : http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/353467/bourse-du-carbone-le-quebec-pourrait-etre-a-la-merci-de-la-californie, consulté le 5 décembre 2013.

[18]La Presse, « Marché du Carbone : la Californie et le Québec enfin liés », 13 avril 2013 : http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201304/12/01-4640479-marche-du-carbone-la-californie-et-le-quebec-enfin-lies.php, consulté le 2 février 2014.

[19]Gowlings, « Composants du marché du carbone et aspects fiscaux liés à l’attribution et l’échange de crédits carbone », août 2013 : http://www.gowlings.com/KnowledgeCentre/article.asp?pubID=2991&lang=1, consulté le 2 février 2014.

[20]La Presse, « Feu vert au marché carbone Québec-Californie » par Paul Journet, le 3 octobre 2013 : http://www.lapresse.ca/environnement/politique-verte/201310/03/01-4695924-feu-vert-au-marche-du-carbone-quebec-californie.php, consulté le 5 décembre 2013.

[21]La Presse, « Feu vert au marché carbone Québec-Californie » par Paul Journet, le 3 octobre 2013 : http://www.lapresse.ca/environnement/politique-verte/201310/03/01-4695924-feu-vert-au-marche-du-carbone-quebec-californie.php, consulté le 5 décembre 2013.

[22]La Presse, « Marché du Carbone : la Californie et le Québec enfin liés », 13 avril 2013 : http://affaires.lapresse.ca/economie/international/201304/12/01-4640479-marche-du-carbone-la-californie-et-le-quebec-enfin-lies.php, consulté le 2 février 2014.

[23]La Presse, « Feu vert au marché carbone Québec-Californie » par Paul Journet, le 3 octobre 2013 : http://www.lapresse.ca/environnement/politique-verte/201310/03/01-4695924-feu-vert-au-marche-du-carbone-quebec-californie.php, consulté le 5 décembre 2013.

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