Les inutiles menaces de Strateco par rapport au BAPE

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Par Jean Baril 
Avocat et docteur en droit, auteur du livre Le BAPE devant les citoyens

 

Ressources Strateco inc. a mis en demeure le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de récuser le président de la commission d’enquête sur les enjeux de la filière uranifère, M. Louis-Gilles Francoeur, qui est aussi le vice-président de l’organisme. Si le BAPE refuse d’obtempérer, l’entreprise dit vouloir s’adresser à la Cour supérieure pour obtenir cette récusation. De même, Strateco demande au gouvernement « de mettre immédiatement un terme à cette commission en raison de son inutilité et du fait que le mandat de celle-ci comprend le territoire conventionné de la Baie-James ».

 

Tout cela ressemble plus à une opération de relations publiques malhabile qu’à un réel enjeu juridique. M. Francoeur a été nommé vice-président du BAPE par un décret du gouvernement, conformément à la Loi sur la qualité de l’environnement. Cette loi prévoit que le président du BAPE nomme ensuite, parmi les membres du BAPE, ceux qui devront agir comme commissaires dans les différentes commissions d’enquête, lorsque l’organisme reçoit un tel mandat du ministre. C’est ainsi que le président du BAPE, M. Pierre Baril (aucun lien de parenté avec l’auteur de ces lignes), a nommé M. Francoeur président de la Commission d’enquête sur les enjeux de la filière uranifère au Québec. M. Francoeur y est accompagné par deux autres commissaires nommés de la même façon, dont un, M. Joseph Zayed, a siégé à 19 commissions d’enquête, dont 12 à titre de président.

 

Tous les membres du BAPE sont régis par un code de déontologie qui complète les règles générales prévues par le Règlement sur l’éthique et la déontologie des administrateurs publics. En outre, le BAPE a adopté une Déclaration des valeurs éthiques reposant sur le respect, l’impartialité, l’équité et la vigilance. Tout ce processus est entièrement conforme à la loi, totalement transparent, et on voit mal ce qu’un juge pourrait y trouver à redire. En outre, les rapports du BAPE ne sont pas décisionnels et le gouvernement conserve l’entière discrétion quant aux décisions à prendre. Il ne s’agit pas d’un processus judiciaire et on ne peut demander la « récusation » d’un commissaire comme on pourrait le faire pour un juge appelé à rendre une décision. D’ailleurs, cela ne s’est jamais produit.

 

Strateco erre aussi concernant le territoire de la Baie-James. Il est vrai que, pour les projets de développement précis, d’autres mécanismes de consultation que le BAPE sont prévus sur le territoire conventionné de la Baie-James. Cependant, il s’agit ici d’une audience « générique » sur la filière de l’uranium qui ne porte pas sur un projet précis. De telles audiences peuvent tout à fait couvrir l’ensemble du territoire québécois. Par exemple, en 2000, concernant la gestion de l’eau, le BAPE a tenu des consultations conjointes sur ces territoires, comme il le fera pour l’uranium. Les « inquiétudes » de Strateco sont beaucoup plus politiques que juridiques. Le passé de journaliste spécialisé en environnement de M. Francoeur le rendrait « inapte » à diriger des audiences publiques de façon impartiale et rigoureuse. Ce qu’il a pourtant fait depuis sa nomination en novembre 2012. Strateco s’égare en personnalisant ainsi ce débat, de la même façon que le font certaines organisations écologistes lorsqu’elles accusent de « partialité » certains commissaires ayant travaillé au sein d’organismes privés auparavant. Au moins, ces dernières ne menacent pas de se servir des tribunaux…

 

Le BAPE est une des rares institutions publiques québécoises ayant conservé une grande crédibilité au fil du temps, et ce, même au niveau international. Ses rapports ont profondément contribué à façonner le visage actuel du Québec et à sensibiliser tous les secteurs de la société québécoise aux questions environnementales. En s’opposant à une commission d’enquête sur leur filière industrielle et à celui qui fut légalement nommé pour la présider, en menaçant le BAPE sans fondement juridique, les dirigeants de Strateco ne respectent pas nos mécanismes de démocratie participative ni ne démontrent la responsabilité sociale attendue d’une entreprise voulant exploiter des ressources non renouvelables au Québec.

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