Économie écologique (tertio) : le rêve

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Par Harvey L. Mead
Commissaire au développement durable 2007-2008
Auteur, L'indice de progrès véritable: Quand l'économie dépasse l'écologie (MultiMondes, 2011)

 

 

J’ai récemment lu Vivement 2050!, ayant choisi le livre en fonction de ses auteurs [1]. En effet, le livre est l’oeuvre d’un collectif d’économistes écologiques de renom publiée en 2012 (en anglais) et en 2013 (en français). Il n’y a même pas d’identification d’auteurs pour les différents chapitres, l’ensemble signant l’ensemble, avec une note à la fin indiquant qu’il peut y avoir quelques différends sur les détails; il reste un mystère comment la rédaction s’est faite, même si différentes parties du livre sont tirées plus ou moins directement de différentes publications antérieures des différents auteurs.

Formellement, le document a été produit dans le cadre du Projet de développement soutenable pour le XXIe  siècle de l’Agenda 21 des Nations Unies, plus spécifiquement, sous les auspices de la Division du développement durable du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies. Le titre de la publication originale, en anglais, était Building a Sustainable and Desirable Economy-in-Society-in-Nature. La Communauté européenne aurait contribué à sa réalisation.

Je ne m’attendais pas à d’importantes découvertes dans la présentation. En effet, il s’agit plutôt de la présentation de l’ensemble du portrait de la civilisation que l’économie écologique est capable de concevoir comme résultat d’une transformation radicale de celle que nous connaissons depuis la Deuxième Guerre mondiale. C’est une vision de ce qui doit suivre celle qui dépend, entre autres, d’une exploitation de la planète qui dépasse la capacité de celle-ci de la soutenir.

Clé dans l’ouvrage, et mise en évidence dès le début, est la distinction entre le modèle économique actuel, le modèle de l’économie verte et le modèle de l’économie écologique. Les deux premiers modèles ont explicitement et fondamentalement la croissance économique comme objectif. Le modèle de l’économie écologique, tout au long du livre, s’en distingue en répudiant la croissance comme incompatible avec la survie de la civilisation que nous connaissons. La première partie de son Tableau 1 en donne les balises.

Vivement 2050

Pour des gens qui cherchent un guide pour des orientations en matière d’économie écologique, je crois que nous avons ici la synthèse du travail de personnes parmi les plus actives dans la recherche de l’alternative qui s’impose en ce sens. Le chapitre 1 fournit le contexte historique entre le «monde vide» de l’après-guerre et le «monde plein» d’aujourd’hui. Ce changement radical de situation amène le rejet de la croissance économique – qui se comprenait dans un monde vide – comme insoutenable et non désirable. Le rejet se fait en reconnaissant certaines limites que les auteurs présentent comme aujourd’hui évidentes. Le chapitre 2 présente la vision qu’ont les auteurs du monde en 2050, avec son capital bâti, son capital humain, son capital social et son capital naturel. Le chapitre 3 poursuit avec la présentation des politiques et des réformes nécessaires pour passer outre les crises qui sévissent pour arriver à la société décrite pour 2050: un respect des limites écologiques; une protection des capacités d’épanouissement des personnes et des communautés; la création d’une macro-économie soutenable. Le chapitre 4 rend plus explicites les implications du chapitre précédent, en ciblant une inversion des tendances en matière de consommation, l’extension du secteur des biens communs, l’incidence de quotas sur l’utilisation des ressources naturelles, et le partage du temps de travail. Un dernier chapitre 5 cherche à montrer que cette vision de l’économie écologique est cohérente et faisable.

Ouf! Autant les auteurs condamnent l’économie actuelle comme une désastre et l’économie verte comme une illusion, autant ils fournissent une multitude de raisons qui nous font comprendre que la vision de l’économie écologique est un rêve. Comme l’ensemble des militants des mouvements sociaux et environnementaux des dernières décennies le savent, tout est raisonnable dans les propositions, les politiques, les orientations et les arguments. Le livre répond, en ce sens, à la demande de nombre de mes propres contacts qui demandent ce que je propose comme alternative quand je critique les fondements mêmes de notre société actuelle. Les réformes et les changements – la révolution – que les auteurs proposent pour notre civilisation entière sont nécessaires et urgents, et ils insistent là-dessus. Aux lecteurs de décider s’ils pensent que cela arrivera.

La contrepartie, finalement une question non seulement de ton mais de conviction, sera exemplifiée par l’ouvrage du collectif avec lequel je travaille pour formuler le portrait d’un Québec, non de 2050, mais plutôt de 2030, résultant de transitions forcées dans l’ensemble de nos activités face à des effondrements qui s’enclenchent. J’ai retenu plusieurs passages de Vivement 2050! qui suggèrent que ses auteurs, possédant énormément d’expérience et d’expertise, voient même leur propre travail comme l’esquisse d’un rêve – comme moi; c’est le terme que j’utilise pour la vision de la Commission Brundtland, par ailleurs. Parmi ces passages: «Si elle n’est pas minutieusement planifiée, la transition vers une économie à croissance faible et réduite en temps de travail provoquera un nombre de perturbations incroyables au niveau des sociétés, des localités et des individus… Aussi, une nouvelle infrastructure capable d’envisager des alternatives par secteur, par zone géographique et par période sera indispensable pour que nos choix de société dépassent le stade du simple scénario et deviennent de vraies politiques» (150-151). La transition qu’ils décrivent «risque de provoquer un effondrement économique» (175), même s’il y a des «réponses efficaces» (178) aux perturbations. Le chapitre 5 débute avec le rappel que il y aura une société soutenable à relativement court terme, ou il y aura effondrement (189).


[1] Robert CostanzaGar AlperovitzHerman E. DalyJoshua FarleyCarol FrancoTim JacksonIda KubiszewskiJuliet SchorPeter Victor

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