Quelle stratégie de réduction des gaz à effet de serre dans le transport routier au Québec?

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Le nouveau gouvernement de Philippe Couillard prend au sérieux, apparemment, la question des changements climatiques. Le nouveau nom du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) en est un indice. Le gouvernement Libéral majoritaire dispose d’ailleurs des marges de manœuvre nécessaires pour engager des politiques rigoureuses de réduction des gaz à effet de serre (GES) afin d’atteindre l’objectif de moins 20% d’ici 2020 par rapport au niveau de référence de 1990. Les décisions à l’égard du sort des hydrocarbures en sol québécois détermineront toutefois si le gouvernement est sincère dans sa volonté de réduire les GES à hauteur de l’urgence écologique soulignée par les experts du climat. Rappelons que le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) annonce qu’il faut viser zéro émission de GES dans la deuxième moitié du siècle si nous voulons limiter la hausse moyenne de température au seuil critique de 2 degrés Celsius. Il faut donc clairement sortir de l’ère du pétrole.

Quoiqu’il en soit à cet égard, cibler le secteur des transports restera incontournable dans toute stratégie de réduction des GES au Québec. Quelque 42,5% des émissions de GES du Québec proviennent du secteur des transports, dont 33% du transport routier, lequel produit à lui seul des émissions équivalentes à celles de tout le secteur industriel. Au 1er janvier 2015, les distributeurs de produits pétroliers seront soumis aux enchères de la bourse du carbone. Cela va renchérir le coût du litre de quelques sous chaque année et inciter à des changements de comportement. Mais le gouvernement peut faire beaucoup plus pour accélérer le mouvement.

 

Transports en commun, électrification des transports et urbanisme

Il n’y a pas de fluidité possible du trafic routier sans un système performant de transport en commun. Cela exige des actes forts et structurants. Pourquoi se déplacer en transport en commun entre la capitale nationale et la métropole, entre l’aéroport et le centre-ville de Montréal ou de banlieue à banlieue donne l’impression de reculer dans le temps? Les hésitations du gouvernement à l’endroit du SLR sur le pont Champlain montrent bien que rien n’est gagné dans ce qui devrait pourtant être une évidence. Point positif : le gouvernement entend poursuivre le programme d’électrification des transports qui offre aux automobilistes la possibilité de s’émanciper radicalement de la dépendance au pétrole. C’est bien le but qu’il faut viser à moyen terme.

La densification et un aménagement de l’espace urbain qui priorise les transports collectifs et actifs sont une nécessité pour diminuer les GES. La commission sur les enjeux énergétiques du Québec a d’ailleurs proposé plusieurs mesures pour que le coût de l’étalement urbain soit davantage pris en charge par ses promoteurs et bénéficiaires. L’initiative annoncée par le maire de l’arrondissement Rosemont Petite Patrie d’investir dans des aménagements qui faciliteront la cohabitation des autos et des humains, d’abaisser les limites de vitesse dans les rues résidentielles et de moduler le prix des vignettes de stationnement en fonction des émissions polluantes des véhicules va dans le bon sens. 

 

Un programme d’inspection obligatoire des véhicules

L’AQLPA fait la promotion d’un système d’inspection obligatoire des véhicules depuis des années. Au-delà des arguments écologiques mis de l’avant par l’AQLPA, il y a de très bonnes raisons économiques d’agir enfin dans cette direction. Les travaux majeurs à venir autour du pont Champlain et de l’échangeur Turcot, le réinvestissement dans les infrastructures vétustes de Montréal, annoncent des années épiques de congestion aux automobilistes de la région, avec perte de temps et de productivité, gaspillage d’essence et pollution inutile. Il y aurait lieu d’agir au moins sur ce qu’il est possible de maîtriser. Il s’écoule rarement un jour sans que des voitures et des camions en panne paralysent la circulation de la région. La mise en place d’un programme d’inspection et d’entretien obligatoire, incluant vérification mécanique, des véhicules légers et lourds permettrait d’éviter un grand nombre de pannes.

En France, le contrôle technique périodique des véhicules légers de plus de 4 ans est obligatoire depuis 1992. Selon l’Organisme technique central, il y avait encore en 2013 près de 20% des véhicules ayant passé le contrôle technique qui présentaient des défauts critiques requérant corrections et contre-visite de vérification selon la réglementation française. Précisons qu’il s’agit d’effectuer un contrôle après 4 ans de la première immatriculation du véhicule, renouvelé ensuite tous les deux ans, portant sur 10 fonctions et 124 points de contrôle. Les défauts les plus souvent relevés en 2013 concernaient des fonctions essentielles telles que : liaison au sol, éclairage et signalisation, freinage, pollution (air et bruit) et direction.

En 2011, le parc automobile et de camions légers de Montréal, Laval et des régions limitrophes (Montérégie, Laurentides, Lanaudière) était composé de plus 3 millions de véhicules, soit environ la moitié du parc de véhicules légers du Québec. Et la même année, 20% des véhicules et camions légers sur les routes du Québec avaient 11 ans et plus.

Il n’y a pas de statistiques officielles de nombre de pannes recensées mais le site de Transports Québec mentionne que 45 000 remorquages, toutes causes confondues, sont effectués annuellement sur le seul réseau supérieur de la grande région de Montréal, soit 123 par jour en moyenne ! L’expérience française et ces chiffres montrent qu’il est plausible qu’environ 10% du parc de la grande région métropolitaine, soit 300 000 véhicules, présentent aujourd’hui des défauts qui nécessiteraient corrections et contre-visite sous le régime du contrôle technique français, c’est-à-dire des défauts susceptibles de causer pannes et accidents. Un beau gisement d’économies, de productivité et de réduction des GES en perspective !

 

Excès de vitesse sous le radar ! 

Les accidents représentent évidemment une cause importante de congestion. La vitesse excessive est un facteur bien connu d’accidents en plus de gaspiller l’énergie pour des gains de temps minimes à l’arrivée. Le gouvernement devrait installer davantage de radars dans les zones dangereuses ou de vitesse excessive chronique. L’investissement dans ces radars serait rapidement amorti par les amendes aux contrevenants.

Des radars seraient aussi extrêmement efficaces en milieux urbains pour ralentir le trafic dans les zones dangereuses, notamment sous les viaducs … Il y a là aussi de belles économies pour le système de santé et la préservation de la qualité de vie et la santé de centaines de citoyens chaque année.

 

Bonus, malus et loi zéro émission

La diminution des GES du parc automobile passe par la valorisation des véhicules peu polluants et la dévalorisation des véhicules plus polluants. L’instauration d’un système de bonus sur les véhicules éco-énergétiques et de malus sur les véhicules les plus polluants, système qui s’autofinancerait, complété d’une loi zéro émission obligeant les fabricants à offrir des véhicules à zéro ou faibles émissions, aurait le potentiel d’infléchir la courbe des ventes de véhicules des dernières années qui penche nettement en faveur de camions légers à l’empreinte écologique lourde…

 

Péage régional ou taxe kilométrique?

Enfin, une décision s’imposera pendant le mandat Libéral à propos de l’instauration d’une contribution plus importante des usagers de la route à l’entretien des routes et au transport en commun. Les routes, en particulier du réseau secondaire de Montréal, sont dans un état déplorable. Le réseau de transport en commun crie famine et il manque des milliards aux projets envisagés. Les gouvernements sont à sec. Les usagers du transport en commun payent une partie du service qu’ils utilisent, alors que les automobilistes ne payent qu’une portion infime de l’entretien des routes qu’ils empruntent et dégradent, et aussi des infrastructures de transport en commun qui soulagent le trafic routier. Le CIRANO a étudié les différentes options de contribution des usagers de la route pour financer le transport en commun dont différents types de péage régionaux ou de taxe au kilomètre parcouru.[1] Il a finalement proposé à la Communauté Métropolitaine de Montréal (CMM) d’instaurer à terme une taxe kilométrique régionale modulable. D’après l’étude du CIRANO, ce serait l’alternative la plus avantageuse collectivement et la moins coûteuse pour l’usager.

Il est désormais incontournable d’infléchir nos comportements dans le sens d’un usage rationnel et écologique des ressources nécessaires à la production de ce bien commun qu’est le transport individuel et collectif. Cela exige des décisions courageuses concernant le veau d’or de la société.

 

Source: Par Alain Brunel, directeur climat-énergie, AQLPA

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