Les terrains en gazon synthétique : bons ou mauvais pour la santé?

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Contexte

Depuis quelques années, les conséquences sur la santé humaine des changements climatiques dans les agglomérations urbaines font de plus en plus l’objet d’études scientifiques. On pensera notamment aux différents rapports émis par le GIEC[1]. Certaines pratiques typiquement urbaines y ont ainsi été remises en question, tant par leur impact sur l’environnement que sur la santé. Le recouvrement de terrains de sport par un revêtement de gazon synthétique est l’une de ces pratiques qui suscitent des interrogations en provenance des milieux politiques, scientifiques et citoyens.

Inventés en 1964 par l’entreprise américaine Astroturf, les revêtements en gazon artificiel ont révolutionné le monde du sport avec une promesse : il serait enfin possible de s’adonner au soccer, au rugby ou même à l’équitation sur une surface moins dépendante des conditions climatiques. Les sécheresses ont certainement contribué à l’intérêt porté à cette technologie. Avec les années, les terrains synthétiques ont évolué et sont aujourd’hui considérés comme une option sérieuse lors de la création ou de la réfection d’un terrain à vocations sportives ou récréatives.

Au Québec, le quartier Saint-Paul-Émard, dans le sud-ouest de Montréal, a récemment été le théâtre d’un débat politique à ce sujet. En effet, l’ancienne équipe municipale de l’Arrondissement avait prévu d’y faire installer un terrain en gazon synthétique en 2014-2015. Lors de sa présentation publique, le projet a toutefois mené un certain nombre de citoyens à se prononcer en défaveur de ce projet en invoquant la survenue de risques potentiels pour la santé humaine liés à l’amplification de l’effet d’îlot de chaleur urbain et, plus largement, à l’impact sur la pollution environnementale.

Ce débat soulève quelques questions de santé publique : que disent donc les études et les experts à ce propos?

 

Effets sur la santé

Le premier effet de l’installation de terrains en gazon artificiel – et également le plus notable – est l’augmentation significative des températures au sol et en surface. Les diverses études sur le sujet rapportent une élévation pouvant aller jusqu’à 10 degrés Celsius par rapport aux températures environnantes (Giguère, 2009; De Carolis, 2012; Gov. Of Western Australia, 2011; McNitt, Petrunak, and Serensits, 2007), et jusqu’à 16 °C par rapport au gazon naturel (Simon, 2010). Ce phénomène, baptisé « îlot de chaleur intra-urbain », a été reconnu et documenté au Québec par les principaux acteurs de santé publique. La présence d’îlots de chaleur peut en effet aggraver les effets nocifs de la chaleur élevée pendant la période estivale, notamment sur les joueurs. Et, comme un îlot de chaleur a des effets sur plusieurs dizaines de mètres en bordure et sous le vent, les résidants voisins y sont aussi potentiellement exposés. Ces îlots de chaleur exercent aussi une pression accrue sur l’environnement : contribution à la formation de smog, diminution de la qualité de l’air dans les endroits clos, besoins plus grands en climatisation des bâtiments à proximité, émanations de gaz à effet de serre (des climatiseurs) et hausse de la demande en eau potable (Giguère, 2009; De Carolis, 2012). Rappelons que les terrains constitués de gazon naturel, au contraire, contribuent par l’évaporation des eaux pluviales et aussi par l’évapotranspiration de la végétation, au rafraîchissement de l’air ambiant. Les images satellites suivantes du Parc Jeanne-Mance et de ses environs, prises en juillet 2008 à Montréal, montrent de manière claire la différence de température au sol entre les deux types de surfaces (Environnement Canada).

L'ilôt de chaleur inclut le terrain synthétique mais n'inclut pas les terrains naturels

Dans une lettre adressée à la Ville de Montréal, Pierre Gosselin, médecin-conseil à de l’Institut national de santé publique du Québec et responsable du volet santé pour le Plan d’action sur les changements climatiques, a exprimé son inquiétude face à l’installation de ce type de terrain dans le quartier Saint-Paul-Émard à Montréal. L’îlot de chaleur créé par le remplacement du gazon naturel par une surface synthétique est une raison amplement suffisante pour considérer une alternative au projet.   « Dans un contexte de changement climatique, où les températures moyennes ne cessent d’augmenter et où l’intensité et la durée des vagues de chaleur s’accentuent, ces quelques degrés supplémentaires présentent un risque important pour la santé de la population urbaine. De plus, cette chaleur locale vient ajouter au stress thermique de la pratique de sports intenses, comme le soccer, chez les joueurs. » (Gosselin, 2014). Dans un avis de santé publique diffusé en mars 2014, la Direction de santé publique de Montréal indiquait que : « les risques à la santé pour les joueurs qui utilisent les gazons synthétiques ne sont pas significatifs et qu’ils peuvent continuer à pratiquer leurs sports sur ce type de terrains extérieurs en toute sécurité ». Elle considère toutefois le risque de malaises associés à la chaleur pour les joueurs qui peuvent être contrés par des périodes de repos et une bonne hydratation. De plus, la DSP suggère de procéder à une végétalisation autour des terrains synthétiques pour limiter l’effet d’îlot de chaleur et créer des zones d’ombre pour que les joueurs puissent s’y reposer (Massé, 2014).

Le second argument relève du champ de la toxicologie. Différentes inquiétudes sont fréquemment exprimées quant aux conséquences des composantes des fibres artificielles ainsi que des revêtements à base de pneus utilisés comme substrat du terrain. La majorité des études publiées à ce sujet n’ont cependant pu établir de liens significatifs entre ces composés (p. ex., HAP, zinc, chrome, etc.) et de quelconques problèmes de santé : les doses potentiellement absorbées par l’être humain sont, dans la plupart des cas, en deçà des seuils de toxicité tolérés (Cheng, Hu et Reinhard, 2014; Beausoleil, Price et Muller, 2008). Seules les fibres composées entièrement ou en partie de nylon présenteraient des concentrations trop élevées de plomb, mais cela ne concerne que les terrains de première génération (Cheng, Hu et Reinhard, 2014). Les mêmes résultats ont été obtenus en ce qui concerne la présence potentielle de ces éléments chimiques dans le sol et dans l’eau au pourtour du terrain.

Une troisième conséquence sanitaire des terrains synthétiques, dont il est également question dans plusieurs études, est la fréquence et l’intensité des blessures subies par les sportifs sur ce type de sol, notamment par traction rotationnelle accrue (Andersson, Ekblom et Krustrup, 2008; Fuller et al., 2007; Nedelec et al., 2012; Villwock et al., 2009; Poulos et al., 2011). En effet, à la suite des plaintes de joueurs, des comparaisons ont été faites entre l’occurrence de blessures se produisant sur du gazon naturel et leur occurrence sur du gazon artificiel. Les résultats de ces études doivent être interprétés avec prudence, car la perception et les préférences des joueurs pourraient en effet influencer grandement les tests. Guillaume Grégoire, analyste technique et scientifique à la Fédération interdisciplinaire d’horticulture ornementale du Québec (FIHOQ), rappelle d’ailleurs que « la littérature est très ambigüe à ce sujet, et pour cause : les échantillons ne sont jamais importants et les types de terrains synthétiques peuvent modifier les résultats » (Grégoire, communication personnelle). Un autre rapport fait mention d’un autre type de problèmes de santé associés à la stérilité des fibres artificielles. Cette stérilité contribuerait à la prolifération de bactéries de type staphylocoque. La combinaison de chaleur, d’humidité, de sueur, de salive et de sang en situation de jeu sur le terrain artificiel augmenterait fortement les probabilités d’infection en cas de blessures ouvertes. Le gazon naturel agirait plutôt comme un « autonettoyant » et limiterait ainsi ce risque (ESA, 2012).

 

Les questions à se poser

Pierre Gosselin et Guillaume Grégoire s’entendent sur le fait que dans ce type de débat, une approche globale est absolument essentielle; il importe de penser le développement dans la durée. Ainsi, pour les questions de ce genre, qui concernent à la fois les domaines de l’environnement et de la santé, l’analyse des cycles de vie (Life Cycle Analysis) des terrains artificiels comme des terrains naturels semble l’outil le plus approprié pour effectuer une recherche sérieuse et en tirer des conclusions concrètes.

Dans la littérature, les avis sont partagés sur la question. Quelques auteurs (Cheng, Hu et Reinhard, 2014; IRDS, 2011) se placent plutôt en faveur des terrains synthétiques dans le cadre d’une utilisation sportive. Ils rappellent que la science a fait des progrès dans ces domaines : la plus récente génération de gazon artificiel serait très efficace, tous points considérés. Pour ces auteurs, en effet, ces surfaces feraient économiser une grande quantité d’eau en irrigation, protègeraient l’environnement en général, ne présenteraient aucun risque toxicologique et coûteraient moins cher à long terme. Elles seraient également plus résistantes aux intempéries. Les gazons artificiels ont également beaucoup évolué. La troisième génération de terrains est aujourd’hui la seule à être vendue et installée, même s’il reste beaucoup de terrains de première et de seconde génération encore utilisés à ce jour.

D’autres études (Gov. Of Western Australia, 2011; Meil et Bushi, 2009; Yaghoobian, Kleissl et Krayenhoff, 2009) livrent plutôt des conclusions contraires. Ces auteurs ne nient pas les avantages clairs des terrains artificiels : ceux-ci permettent un plus grand nombre d’heures de jeu par semaine, prolongent la saison de quelques semaines et favorisent un jeu plus équitable au plan sportif en offrant des conditions semblables d’utilisation en utilisation. Les analyses des cycles de vie révèlent toutefois que le gazon naturel reste le meilleur choix environnemental, sanitaire et financier. L’article de Meil et Bushi (2009) est éclairant à cet égard. Meil et Bushi rapportent notamment que pour compenser l’installation d’un seul terrain synthétique, il faudrait planter 1 861 arbres (± 23 %), qu’on laisserait pousser pendant une dizaine d’années. Cet exemple illustre bien, selon ses auteurs, la capacité du gazon naturel à séquestrer le gaz carbonique présent dans l’air.

Guillaume Grégoire est également plus réticent à l’idée d’installer des surfaces artificielles. Pour lui, elles peuvent effectivement devenir une option envisageable en ce qui concerne les terrains de sports professionnels, mais il est clairement à proscrire d’en installer dans des parcs municipaux. Il souligne d’ailleurs que, dans les faits, la presque totalité des terrains sportifs extérieurs au Québec n’est ni irriguée ni entretenue. Les arguments de gaspillage en eau et de pollution par les engrais ne tiendraient donc pas la route.

Si la question demeure matière à débat dans les zones municipales, certaines villes québécoises (Boucherville et Repentigny, notamment) ont interdit totalement ou en partie la pose de gazon artificiel dans les secteurs résidentiels. Aux États-Unis, plus de 120 villes ont rejeté l’option du synthétique (SynTurf, 2014). Selon ces municipalités, rien ne pourrait justifier une telle chose sur les terrains privés. Les citoyens, quant à eux, procèdent à un tel changement pour des raisons d’entretien ou parce que le gazon ne pousse pas bien à l’ombre. Selon Pierre Gosselin, la formation d’îlots de chaleur serait une nuisance à la santé dans ces secteurs alors qu’existent des types d’herbes naturelles poussant très bien en zone ombragée. Ici encore, il faut privilégier un type d’approche plus globale.

 

Conclusion et pistes de réflexion

Les études sont généralement équivoques quant aux risques sur la santé causés par les terrains en gazon artificiel : la température y grimpe systématiquement, mais les risques toxicologiques ne sont pas élevés et le risque de blessures n’est pas plus important. Ces études n’ont toutefois traité, la plupart du temps, que d’un seul de ces risques à la fois. Celles qui se sont plutôt intéressées aux cycles de vie des deux types de terrain arrivent toutefois à des conclusions bien différentes, notamment en ce qui a trait aux coûts qui leur sont associés. On comprend mieux pourquoi il est parfois difficile de prendre une décision.

Même si la « bonne » décision relève peut-être d’abord du contexte de chacun des cas, Pierre Gosselin et Guillaume Grégoire signifient tout de même leur préférence pour les terrains naturels, en particulier lorsqu’il s’agit de parcs municipaux multi-usagers. Pour le docteur Gosselin, c’est souvent un manque de recul et de connaissances qui mène à de mauvaises décisions sur le plan environnemental. Avec les changements climatiques, la compréhension des impacts de chacune de nos actions devient effectivement de plus en plus essentielle.

En attendant, les citoyens du quartier Saint-Paul-Émard ont obtenu gain de cause : le terrain synthétique ne sera pas installé. On parle plutôt d’un déplacement du projet…


 

 

Références

Andersson H., Ekblom B. et Krustrup P. (2008). « Elite football on artificial turf versus natural grass: Movement patterns, technical standards, and player impressions ». Journal of Sports Sciences, 26:2, 113-122.

Beausoleil M., Price K. et Muller C. (2008). « Les substances chimiques des gazons synthétiques extérieurs : un risque pour la santé des utilisateurs? ». Accessible au : http://www.inspq.qc.ca/bise/post/2008/09/01/Les-substances-chimiques-des-gazons-synthetiques-exterieurs-un-risque-pour-la-sante-des-utilisateurs.aspx. Consulté le 15 avril 2014.

Cheng H., Hu Y. et Reinhard M. (2014). « Environmental and Health Impacts of Artificial Turf: A Review ». Accessible au : http://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/es4044193. Consulté le 15 avril 2014.

De Carolis L. (2012). « The Urban Heat Island Effect in Windsor, ON: An Assessment of Vulnerability and Mitigation Strategies, Report Prepared for the City of Windsor ». Accessible au :http://www.citywindsor.ca/residents/environment/environmental-master-plan/documents/urban%20heat%20island%20report%20(2012).pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Environnement Canada. « Température de surface de terrains synthétiques, Exemple centré sur le parc Jeanne Mance». Landsat 5 TM – 30 m (satellite), 5 juillet 2008 (10 h).

European Seed Association (ESA). (2012). « Le gazon naturel : pourquoi il reste le choix naturel pour les terrains de football, de sports et les aires de jeux. » Accessible au : http://www.topgreen.com/iso_album/plaquette-gazonnaturel-.pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Fuller C., Dick R.,Corlette J., Schmalz R. Comparison of the incidence, nature and cause of injuries sustained on grass and new generation artificial turf by male and female football players. British Journal of Sports Medicine (BJSM). Accessible au : http://bjsm.bmj.com/content/41/suppl_1/i20.short. Consulté le 19 mai 2014.

Giguère M. (2009). « Mesures de lutte aux îlots de chaleur urbains ». Institut National de santé publique du Québec (INSPQ). Accessible au : http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/988_MesuresIlotsChaleur.pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Governement Of Western Australia, Department of Sport and Recreation. (2011). « Natural Grass vs Synthetic Turf : Study Report ». Accessible au : http://www.turfgrasssod.org/files/file/0dec5d5c-71e0-40d3-91ef-255dc258ce61. Consulté le 15 avril 2014.

Gosselin P. (2014). « Installation de terrains synthétiques – Arrondissement du Sud-Ouest ». Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Accessible au : http://projetmontreal.org/wp-content/uploads/documents/document/Lettre_Gosselin_Terrains_syntheetiques.pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Institut régional de développement du sport (IRDS). (2011). « Bilan environnemental comparatif des terrains synthétiques de football et des terrains en gazon naturel ». [En ligne] http://www.irds-idf.fr/fileadmin/user_upload/themes_de_travail/terrains_grands_jeux/bilan_environnemental_terrains_synthe_dec2011.pdf

Massé R. (2014). « Avis de santé publique sur les terrains synthétiques ». Direction de la santé publique, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Accessible au :  http://www.dsp.santemontreal.qc.ca/fileadmin/documents/4_Espace_media/avis_memoires/Avis_05032014_DSP_Terrains_synthetiques.pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Meil J. et Bushi L. (2009). « Estimating the Required Global Warming Offsets to Achieve a Carbon Neutral Synthetic Field Turf System Installation ». Athena Institute. Accessible au :http://www.athenasmi.org/projects/docs/UCC_project_ATHENA_technical_paper.pdf.

McNitt A.S., Petrunak D.M., and Serensits T.J. (2007). « Temperature Amelioration of Synthetic Turf Surfaces Through Irrigation ». Accessible au : http://plantscience.psu.edu/research/centers/ssrc/documents/temperature-irrigation.pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Nedelec M. et al. (2013). « Physical performance and subjective ratings after a soccer-specific exercise simulation: Comparison of natural grass versus artificial turf ». Journal of Sports Sciences, Vol. 31, No. 5, 529-536.

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Simon, R. (2010). « Review of the impacts of crumb rubber in artificial turf applications »Accessible au : http://www.cmtirerecyclingequipment.com/Public/12844/Crumb%20Rubber%20 Study_Feb_2010.pdf. Consulté le 15 avril 2014.

Synturf (2014). « www.synturf.org – Say no ». Accessible au : http://www.synturf.org/sayno.html. Consulté le 15 avril 2014.

Villwock M.R. et al. (2009). « Football Playing Surface and Shoe Design Affect Rotational Traction ». The American Journal of Sports Medicine, Vol. 37, No. 3, 518-524.

Yaghoobian N., Kleissl J. et Krayenhoff E.S. (2009). « Modeling the Thermal Effects of Artificial Turf on the Urban Environment ». Journal of Applied Meteorology and Climatology, Vol. 49, 332-345.


[1] Le Groupe international d’experts sur le climat est, en général, reconnu comme l’autorité scientifique mondiale en la matière.

 

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