Triste anniversaire : le Centenaire de la disparition du pigeon migrateur

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Il est très rare qu’on puisse déterminer le moment exact de l’extinction d’une espèce vivante. C’est pourtant le cas du pigeon migrateur, la fameuse tourte voyageuse. Il y a cent ans, le 1er septembre 1914 vers 13h00, Martha, ultime représentante de son espèce,  rendait l’âme dans sa volière du Jardin zoologique de Cincinnati. Un oiseau considéré au 19e siècle comme l’un des plus abondants avec une population estimée entre 3 et 5 milliards d’individus venait tout bêtement de disparaître. Comment expliquer ce gâchis? Considéré nuisible par les agriculteurs, le pigeon migrateur a fait l’objet d’une chasse sans merci tant aux États-Unis qu’au Canada et fut exterminé en quelques décennies.  Malgré tous les efforts d’élevage en captivité on ne put sauvegarder cette espèce autrefois si nombreuse. Qu’avons-nous appris de cette triste histoire?

Le pigeon migrateur n’est malheureusement qu’une des nombreuses espèces vivantes exterminées par les humains au cours des derniers siècles en Amérique du Nord. Le vison de mer, le grand pingouin, le courlis esquimau, le pic à bec d’ivoire, le canard du Labrador sont tous disparus depuis le milieu du 19e siècle. Outre la chasse et la récolte abusives, la destruction des habitats naturels, la pollution, l’introduction d’espèces envahissantes et les changements climatiques sont responsables de la diminution de plusieurs populations animales et végétales et de la disparition accélérée de multiples espèces. À l’échelle mondiale, l’érosion de la biodiversité se traduit par une diminution dramatique des populations de nombreux poissons, d’oiseaux insectivores, des grenouilles, des insectes pollinisateurs, des papillons et même des vers de terre. Dans nos régions, le papillon monarque, le béluga du Saint-Laurent, le caribou de la Gaspésie, le carcajou et plusieurs chauves-souris sont menacés de disparaître sans compter des dizaines d’espèces végétales comme le ginseng à cinq folioles et le pin rigide.

L’extinction d’une espèce est un phénomène graduel souvent insidieux qui débute par son élimination de certaines localités spécifiques. Le marécage qu’on assèche, le cours d’eau qu’on remblaie, la forêt qu’on déboise, le champ qu’on arrose d’insecticides, le lac qu’on pollue sont autant d’affronts qui nuisent aux espèces sauvages et appauvrissent les écosystèmes. La disparition d’une espèce n’est ni plus ni moins qu’un signal d’alarme, le symptôme de notre incapacité à  protéger la nature et les services qu’elle nous rend.

En dépit des lois qui protègent les espèces en péril, on tarde à élaborer et mettre en place les plans de rétablissement nécessaires à leur survie, on néglige de tenir compte des impacts cumulatifs des divers projets de développement, de protéger les zones marécageuses et les terrains boisés. On hésite à réduire la pollution, à restreindre la pêche commerciale. On place les intérêts économiques au-dessus de la protection de l’environnement sans tenir compte de la valeur monétaire des services écosystémiques. On se dit que  la nature saura bien s’adapter, qu’elle a horreur du vide. En fait, les espaces dégradés par nos activités et notre négligence sont souvent envahis par des plantes et des animaux opportunistes (pissenlits, rats, souris, goélands, mouches, cafards) qui n’ont rien à voir avec les occupants d’origine. Est-ce le patrimoine que nous voulons léguer?

Il y cent ans, on n’a pas su empêcher l’extinction du pigeon migrateur. Saurons-nous faire mieux?

 

Source: Jacques Prescott, biologiste et professeur associé à la chaire en éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi

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