TEXTE D’OPINION: Trains, climat et victoires à venir

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Photo de Spedona – Wikipedia commons

C’est sans tambour ni trompette qu’un grand pétrolier a pris son départ ce dimanche du port de Sorel-Tracy, chargé de sa noire et gluante marchandise. Transcanada a profité lâchement de la marche mondiale pour le climat pour lâcher son premier vaisseau sur le St-Laurent. Pendant ce temps, nous étions plusieurs centaines de milliers à manifester à New-York, Montréal, Londres, Québec, Tadoussac, Rome, Gaspé, Drummondville, New-Delhi et même à St-Mathieu de Rioux où nous avons participé cette semaine au Forum Social du Bas-St-Laurent, où nous avons pu nous lier avec des dizaines d’autres militant(e)s.

Nous, c'est Bombe sur Rail, une initiative citoyenne de cyclomobilisation. Le 13 septembre dernier, nous avons enfourché nos vélos à Québec pour rallier Belledune au Nouveau-Brunswick d'ici la mi-octobre. Nous sensibilisons les gens à l'enjeu des trains pétroliers, les mêmes que celui qui a déraillé  l'an passé à Lac-Mégantic. Cette année le transport ferroviaire de pétrole au Québec a augmenté de 2000%, et Transcanada veut en rajouter. D'ici 2015, chaque jour, 240 wagons traverseront notre territoire pour acheminer le pétrole bitumineux de l'Alberta jusqu'aux rivages de l'Atlantique. 

Alors qu’un sentiment d’impuissance a fait se retrancher une partie de la population dans une indifférence coupante, le sentiment de lutter donne aux milliers de citoyens impliqués dans la longue bataille pour un monde sans pétrole une confiance de bagarreurs.Comme cela s’est passé il y a un mois à Ottawa à l’occasion du forum pan-canadien, les forces progressistes se sont unies lors de la vaste opération de réseautage que constitue un Forum Social comme celui auquel nous avons pu assister à Saint-Mathieu de Rioux.

De partout, des voix s’élèvent pour réclamer des engagements clairs de la part des gouvernements en matière d’environnement. Malgré l’absence honteuse de monsieur Harper au sommet sur le climat, 73 pays et de nombreuses entreprises réclament maintenant une taxe sur les émissions de Co2. Alors que l’exploitation du pétrole devient de moins en moins rentable et ses impacts de plus en plus visibles, l’opposition d’une croissance économique infinie basée sur la création ex nihilo d’argent théorique par les banques avec un éco-socialisme fondé sur des données réelles devient de plus en plus palpable.

Pour une poignée d’emplois permanents au salaire minimum, on met en péril non seulement l’environnement et la sécurité de tous, mais aussi l’industrie touristique de la baleine qui rapporte près de 100 millions par année au Québec. Des centaines de propriétaires terriens verront la valeur de leur propriété diminuée par la présence de l’oléoduc. La circulation sera ralentie significativement par l’achalandage ferroviaire accru dû aux trains pétroliers. Enfin, le coût d’un seul déversement dépassera le total des retombées économique de tous les projets de Transcanada au Québec, des retombées essentiellement crées par les montants offerts par la compagnie aux municipalité en compensation partielle… des futurs déversements. La compagnie affirme elle-même que ces déversements seraient inévitables :

 

Le transport du pétrole bitumineux n’est pas rentable économiquement.

Il est impératif de redonner aux gens un sentiment d’appartenance face à leur territoire et à leurs ressources. Tous les arguments du monde ne valent pas la simple conscience que le fleuve, la Terre et la vie humaine sont sacrés.

Partout dans le monde, des changements structuraux importants sont en cours sur les plans économiques, sociaux et politiques. Le capitalisme arrive au terme d’un long cycle de consomption des ressources et se heurte à ses propres innovations technologiques. Notre démocratie de dupes, fondée sur l’apathie d’une majorité aux prises avec des représentants qui n’existent qu’en tant qu’intermédiaires des multinationales auprès de la population, cette démocratie-là s’effrite en même temps qu’elle se concrétise: dans un monde où la surabondance des biens n’a jamais été aussi prégnante, il devient difficile de faire payer toujours plus cher des outils de plus en plus accessibles. Malgré l’agenda des corporations qui commercialisent au compte-gouttes des voitures électriques dont elles ont acquis les brevets de gré ou de force, les technologies se retrouvent de plus en plus à disposition de tous dans l’espace public.

Les accords commerciaux qui lient nos gouvernements aux corporations en permettant à ces dernières des les poursuivre en ignorant tous les tribunaux Canadiens existants sous prétexte que l’état légifère en fonction du bon-vouloir des multinationales plutôt que de l’intérêt des gens ne valent rien face à une authentique mobilisation et à une vraie prise en main du territoire.

Prenons modèle sur le peuple Attikamekw qui a déclaré il y a peu l’indépendance sur un pays de 80 000km carrés. Nous n’avons pas à nous embarrasser d’une responsabilité relativement à l’indolence de la majorité concernant son devenir et celui des terres qu’elle occupe. Les indifférents se rangeront du côté des événements quels qu’ils soient, sauf s’ils sont très personnellement touchés, c’est ce qui permet aux instances politiques en place de se garantir leur ”appui”. Or, il faut se rappeler que les têtes dirigeantes de cette campagne pétro-promotionnelle représentent comme nous une minorité de la population, une minorité beaucoup plus restreinte que la nôtre et qui n’est pas vraiment intéressée à la transformation qu’elle s’apprête à imposer au territoire et la perpètre non pas par envie de détruire, mais par un strict appât du gain. En d’autres termes, nous sommes les seuls acteurs réellement motivés dans cette lutte. Ceux qui nous font face ne sont pas des ennemis dignes de ce nom mais bien des salariés insoucieux de la réalisation concrète des projets pétroliers.

Soyons conscients de la portée de notre détermination: Notre volonté effective et notre ténacité seront garantes du succès. Nos adversaires chercheront un autre os à ronger si la bataille se prolonge, car toute attente est coûteuse et les marges de profit à dégager de l’or noir ne sont plus ce qu’elles furent. Nous, nous aurons des voix inusables à jeter comme la houle à la coque des pétroliers, on a tellement gueulé qu’on peut gueuler encore, on a tellement marché qu’on peut marcher plus loin, on mourra peut-être cent-dix fois et cent-onze-fois on se relèvera, avec l’amour au poing, l’espoir au ventre et le cœur droit debout,  comme une marguerite à travers l’asphalte, comme un oiseau à l’épreuve des vitres, on aura tellement aimé qu’on aura appris à mordre et nous serons devenus

Des bêtes féroces de l’espoir.

 

Source: Émile Vigneault, Bombe sur Rail

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