A-t-on besoin de traiter les semences aux insecticides néonicotinoïdes ?

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Alors que les agriculteurs sont en pleine saison d’achats des semences pour la prochaine saison agricole, le Conseil régional de l’environnement de l’Estrie lance un appel à la vigilance face aux semences de maïs et de soya traitées avec des insecticides néonicotinoïdes. La chercheure Madeleine Chagnon est co-auteure d’une méta-analyse de 800 publications sur le sujet. Elle est venue en présenter les faits saillants. Le constat est là : l’application de ces insecticides contribue au déclin des populations d’abeilles et autres pollinisateurs, mais est aussi associé à d’autres ravages environnementaux. Qui plus est, des études ont démontré que le rendement des cultures non traitées n’est aucunement inférieur au rendement des cultures traitées aux néonicotinoïdes, même au niveau économique.

Au Québec, on utilise les néonicotinoïdes (néonics) en grande culture depuis les années 1990, principalement pour les semences de maïs et de soya. Ils forment une classe d’insecticide qui agit sur le système nerveux central des insectes. Parce qu’ils sont utilisés à grande échelle (+ de 500 000 hectares au Québec), ces insecticides dits « systémiques » sont connus pour être impliqués dans le déclin des populations d’abeilles. Persistants dans l’environnement (jusqu’à 3 ans dans le sol), leur impact ne se limite pas aux plantes ciblées; les néonics affectent également les invertébrés terrestres et aquatiques par le sol, l’eau (par ruissellement) et l’air (par les poussières des semences traitées). Les oiseaux, poissons et amphibiens à proximité des champs sont également exposés continuellement à des doses importantes de l’insecticide présent dans l’eau ou dans leur nourriture. Les impacts des néonics peuvent être sournois : comme l’insecticide agit de façon chronique (longue exposition) et s’attaque au système immunitaire, il peut devenir compliqué de faire un lien de cause à effet entre l’insecticide et d’éventuelles maladies. Même si on a constaté des cas de Parkinson (« hand trimmer ») sur des personnes fortement exposées au Japon, les études sur les vertébrés doivent être poursuivies.

Des études menées à divers endroits dans le monde, dont au Québec (en Montérégie), en Ontario et aux États-Unis ne révèlent pas de différence significative entre les rendements des cultures de maïs et de soya traitées ou non traitées aux néonics. Les chercheurs et les agronomes proposent plutôt des méthodes plus ciblées qu’une application mur à mur d’insecticides pour protéger les champs contre les ravageurs. Par exemple, un dépistage dans le champ peut permettre de réduire considérablement l’usage de pesticides.


Les réactions de nos invités

Les conférenciers invités font appel à la vigilance des producteurs agricoles : « le problème majeur de ces insecticides, c’est leur application mur-à-mur, commente Sylvain Laroche, conseiller au Club agro-environnemental de l’Estrie. Les néonicotinoïdes peuvent être utiles pour régler des cas précis; c’est l’impact de leur utilisation en prévention sur d’aussi grandes surfaces qui n’est pas justifiable. » Même son de cloche de la part d’Isabelle Guay, de la Coop des Cantons : « les agriculteurs doivent être mieux informés sur les impacts environnementaux et sur le rendement attendu des semences traitées aux néonics. Pour les rassurer dans leurs choix de semences non traitées, on doit également leur rappeler les méthodes de dépistage des problèmes, ainsi que l’importance du travail du sol et de la lutte intégrée ». Alors qu’il y a deux ans seulement deux hybrides de semences de maïs non traité étaient disponibles à la coop, il y en a maintenant une vingtaine. L’apiculteur Jean-Francois Regalbuto, supporté par le naturopathe Michael Bernardin, croit que c’est à la source du problème qu’il faut agir : « les producteurs agricoles ne sont pas à blâmer pour le déclin des colonies d’abeilles suite à l’usage abusif des semences traitées aux néonicotinoïdes; ce sont les autorités gouvernementales qui autorisent cet usage à grande échelle qui doivent rectifier le tir. »

Le producteur agricole Michel Brien, qui a choisi des semences non traitées, n’a pas constaté de problèmes particuliers vis-à-vis sa récolte; au contraire, ses rendements se situent au-delà de la moyenne estrienne. Il s’inquiète de l’impact de cet insecticide sur les humains : « les producteurs oublient souvent que les néonics sont poison et que la manipulation des semences traitées nécessitent des précautions. Ces insecticides posent un risque même pour la santé humaine. Il est préoccupant d’épandre en aussi grande quantité des produits persistants dans notre environnement, et qui se peuvent se rendre jusque dans les sources d’eau souterraines et dans les aliments ».


La position de l’UPA

L’UPA est également inquiète des risques associés à une utilisation abusive des néonicotinoïdes. Dans une résolution votée en décembre dernier, l’UPA appelle à la prudence et à la sensibilisation des producteurs agricoles dans leurs choix de semences. L’UPA demande notamment que les résultats d’analyses et de recherche sur les risques associés aux néonics soient accélérés et divulgués rapidement aux agriculteurs, que ceux-ci soient soutenus financièrement dans leurs activités de dépistage au champs e qu’ils puissent avoir accès, en tout temps, à l’ensemble des variétés de semences sans traitement aux néonicotinoïdes. L’UPA apporte un point important en demandant à l’Association des marchands de semences du Québec que les semences sans néonicotinoïdes soient offertes en priorité et non l’inverse.

 

Source: CRE Estrie

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