Le Québec sous-vert?

0

Par Caroline Larouche

 

L’actualité québécoise n’a jamais autant couvert l’environnement. Les Québécois entrent en guerre contre de puissants industriels pour la protection de leur santé et celle de leurs ressources naturelles. Pendant ce temps, des organismes écologistes se battent pour survivre. Ils doivent solliciter l’appui financier de la population pour continuer à supporter cette mobilisation citoyenne croissante. En parcourant la politique gouvernementale de 2001,L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement du Québec, et en compilant les batailles remportées par les groupes de citoyens, les organismes environnementaux revêtent pourtant une importance cruciale pour l’avenir de la société (contribuables) québécoise. Depuis l’entrée en vigueur de cette politique, le financement de l’ensemble du milieu communautaire s’est amélioré. Il existe une exception : le secteur environnemental.

Bruno Massé

« Depuis le 31 mars 2014, les organismes environnementaux retiennent leur souffle pour que les programmes de financement public soient reconduits, mais il n’y a aucune date butoir officielle et aucun engagement formel de la part du gouvernement. »,

dénonce Bruno Massé, coordonnateur du Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE). Il fait référence au programme de soutien à la mission globale des groupes nationaux du Ministère du Développement durable, Environnement, et lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) et au programme de transfert de crédit au Secrétaire à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales (SACAIS) pour les organismes de défense collective des droits.

 

Sous-financement persistant

Avec l’arrivée d’Harper au pouvoir, la problématique s’aggrave pour devenir un désengagement total. La vis se resserre sur des groupes de défense collective des droits via les numéros de bienfaisance. En théorie, les organismes possédant ce numéro ont droit de remettre des reçus d’impôts pour don si la mobilisation de leurs ressources à des activités politiques ne dépasse pas 10 %. Sans ces reçus d’impôts, il en va de la survie de plusieurs organismes à but non lucratif. L’octroi de numéro de bienfaisance se fait de plus en plus rare. Parmi les organismes visés, 7 groupes environnementaux reçoivent la visite de fonctionnaires fédéraux pour vérifier les états fiscaux de leurs activités politiques. Même le réputé modéré Équiterre goûte à cette sauce, depuis qu’il milite contre le projet d’oléoduc d’Enbridge.

Au Québec, la situation ne s’améliore pas. De 420 000 $ en 2008-2009, les subventions du SACAIS au secteur de l’environnement passent à 298 000 $ en 2009-2010. Pour 2014-2015, seulement 3 groupes se partagent 76 000 $. De par la définition de leur mission, les organismes de défense collective des droits interviennent notamment sur l’application ou non des politiques gouvernementales. Certains d’entre eux affirment se sentir muselés par le refus du gouvernement à leur accorder du financement. Le directeur du Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), Michel Bélanger, confirme cette réalité.

Chez les plus petits organismes, survivre sans un financement sur la mission globale tient du miracle. Les programmes privilégient le financement par projets. « Des 300 groupes écologistes au Québec, il en reste une centaine, dont plusieurs sont inactifs. Faute de financement, ils cessent leurs activités de façon saisonnière ou de durée indéterminée, selon M. Massé. Sur ce nombre, environ dix groupes se qualifient pour recevoir une subvention à la mission globale, les autres agissant à l’échelle locale et régionale ».« Lors de l’explication des raisons du premier refus à notre demande de financement au SACAIS, le fonctionnaire affirme que notre organisme n’est pas représentatif des régions. Pourtant, nous sommes impliqués dans des dossiers de l’Abitibi jusqu’à la Gaspésie. Le fonctionnaire avoue finalement que le CQDE est aussi trop menaçant pour le gouvernement. Alors que tous les groupes environnementaux s’entendent pour dire que s’il y a un seul organisme à choisir pour recevoir du financement public pour la promotion de la défense des droits, c’est le CQDE! »

 

Front commun environnemental

Le financement public divise le mouvement environnemental. Certains avancent que le faible financement des organismes et le choix de privilégier un nombre très restreint correspondent à une stratégie gouvernementale pour scinder le mouvement. À en croire le CQDE, il s’agit d’un moyen pour taire l’opposition de groupes dérangeants.

À l’automne 2012, le milieu environnemental québécois se mobilise pour demander une meilleure reconnaissance et un plus grand soutien de l’État. Près de cent groupes s’allient au sein du Front commun pour une meilleure reconnaissance des organismes communautaires environnementaux du Québec. La proposition s’adresse au ministre du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), au ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN), au ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), ministre des Transports du Québec (MTQ) et au ministre des Affaires municipales, des régions et de l’occupation du territoire (MAMROT). Trois ministères concernés ne contribuent pas à l’action communautaire concernant la mission globale. Pourtant, les champs d’intervention du MERN, du MAPAQ et du MTQ affectent l’environnement. Mettant leurs différends de côté, le mouvement environnemental ressent alors le besoin de rappeler aux ministères leurs obligations. Il se base sur le contenu de la politique gouvernementale de l’action communautaire de 2001.

 

Un fonds invisible

Parmi les solutions proposées par le front commun se retrouve le Fonds vert. Dans son rapport annuel 2010-2011, le MDDEP annonce un surplus de 37 millions à l’enveloppe du Fonds vert pour le volet changement climatique. Sa création en 2006, suite à l’adoption de la Loi sur le développement durable, suscite l’espoir que la situation financière du secteur environnemental ne peut que s’améliorer. La conclusion est tout autre dans le rapport du commissaire au développement durable du printemps dernier (ainsi que celui de 2012). Le Fonds vert souffre d’une mauvaise gestion et d’un manque de transparence. Le site internet du Fonds vert se montre bien avare d’informations et demeure silencieux quant aux montants reçus et dépensés. En fait, le Québec représente de loin la province offrant le moins d’information diffusée sur leur site pour un fonds lié au développement durable. Le commissaire dévoile également une absence d’appel d’offres et d’objectifs précis et mesurables dans plusieurs cas. Il met en lumière un constat décourageant : le gouvernement et ses organismes n’intègrent toujours pas dans sa gestion les principes de développement durable.

Il devient alors légitime de se questionner sur les dépenses reliées au montant accumulé de 2.1 milliards dans le Fonds vert. Bien que le MDDELCC en soit le gestionnaire, d’autres ministères pigent dans le Fonds vert. Selon le rapport, neuf ministères et organismes gouvernementaux dépensent 1.1 milliard pour la période entre 2006 et 2013 pour des activités reliées aux changements climatiques. Au 31 mars 2013, près de 75 % des revenus sont utilisés. Le seul moyen pour découvrir le détail des dépenses réside dans une demande d’accès à l’information.

 

États des subventions versées

Le Fonds vert prévoit recevoir 3 milliards de dollars pour le prochain exercice financier. Il mise fort sur les matières résiduelles avec des programmes totalisants de 81.9 millions. Recyc-Québec remporte gros avec des subventions de l’ordre de 10 millions.

Le MDDEFP dépense dans les changements climatiques plus de 8 millions pour 2006-2012, et plus de 7 millions pour la période de 2013-2020. Pour 2006-2012, un montant figure en négatif pour le MTQ sur le total de 17.5 millions. Le programme d’aide à l’amélioration de services en transport en commun se voit amputé de près de 18.5 millions pour disparaître au prochain exercice. Par contre, un important changement en faveur des transports en commun s’opère pour 2013-2020 avec le retour du programme à hauteur cette fois de plus de 119 millions sur un total de plus de 132 millions.

Le MAPAQ, le Ministère de la Santé et des Services sociaux, le Ministère des Finances et de l’Économie et le Ministère de la Sécurité publique ne présentent aucun programme pour 2013-2020. Le montant dépensé par le MERN subit une diminution en passant de 31 à 11 millions. Le programme aux véhicules électriques en récolte la majorité, alors que le programme d’équipements solaires disparaît en même temps que le programme de démonstrations des technologies vertes. Le secteur éolien n’y figure pas depuis la création du fonds.

Dans la lutte aux changements climatiques, un des moyens évoqués consiste à sauver l’énergie au lieu de continuer à accroître sa consommation. Le programme de financement visant l’efficacité énergétique prend ici toute son importance. Le MERN ne voit pas cela du même œil en abolissant ce programme (25.5 millions).

 

Des moyens réalistes

L’environnement figurant comme une des victimes de l’austérité, le RQGE réitère la reconnaissance et le soutien de l’État via un tout récent communiqué de presse. Outre le Fonds vert, une autre solution se tourne vers la fiscalité environnementale. Cette voie possède comme avantage de forcer les fabricants à devenir plus « verts ». Le chercheur de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, Bertrand Schepper, évoque dans son blogue la taxe sur les pollueuses bouteilles d’eau des États-Unis. Le Québec peut voir plus loin et décider de taxer toutes les bouteilles de plastique.

Comme pour la santé des humains, il en coûte moins cher à la société de prévenir les « blessures » faites à l’environnement que de les guérir. Les organismes environnementaux possèdent l’expertise pour jouer le rôle du médecin de la terre. Il suffit que nous leur donnions les moyens pour prodiguer leurs soins.

 

Source: GaïaPresse

Partager.

Répondre