DOSSIER ALTERNATIVES ÉNERGÉTIQUES: Portrait de précurseurs des Earthships québécois

0
Par Catherine Bernard
 
 
Photo de RONg – Flickr

Les habitations de type earthship*, que certains qualifieraient de maison de hobbits, sortent tout droit de l’imagination de Michael Reynolds. 

 
Concerné par l’environnement et sa préservation, l’architecte américain crée ce type de construction permettant l’autosuffisance vers le milieu des années 70 au Nouveau-Mexique, dans le sud des États-Unis. 
 
Les earthships se distinguent principalement par leurs murs arrondis composés de pneus recyclés et leur grande fenestration tournée vers le sud qui permet un ensoleillement adéquat aux plantes situées de l’autre côté des vitres, créant ainsi une serre solaire à l’intérieur de l’habitation. 
 
Matériaux recyclés, récupération de l’eau de pluie, électricité à partir du soleil et du vent, les earthships comportent tous les éléments d’une habitation autosuffisante. 
 
 
Par où commencer? Comment y arriver? Plusieurs questions surgissent fréquemment dans la tête des rêveurs de l’autoconstruction permettant un mode de vie plus simple dans le respect de l’environnement. 
 
Gaïapresse est allé à la rencontre du couple de l’Es-Cargo et des membres de la Ferme Morgan, des précurseurs de la construction écoénergétique au Québec qui ont tracé la voie aux prochains bâtisseurs de earthships. 
 
*Bien que le terme en français ne soit pas encore établi officiellement, certain le nomme « vaisseau terrestre ».
 
Crédit photo: Catherine Bernard
 

L’Es-Cargo

Au nord de Montréal, à la limite de la région de l’Outaouais, on découvre l’Es-Cargo, fièrement positionné sur le haut d’une colline. Le premier earthship construit au Québec n’est pas situé ainsi par hasard : c’est pour permettre une exposition maximale aux rayons du soleil durant la journée.
 
Hélène Dubé, propriétaire de l’Es-Cargo avec son mari Alain Neveu, nous accueille avec son nouveau chien, Frodo. Installés autour d’une petite table dans la cuisine, Hélène nous raconte son histoire de rêve de petite fille. Un courant d’air frais nous entoure, aucun chauffage au gaz ou autres ne fonctionne dans la maison, seulement un rocketstove qu’Hélène allumera plus tard pour se faire un diner. 
 
Crédit photo: Catherine Bernard

La Ferme Morgan

Un peu plus tard dans l’après-midi, nous prenons la direction de la Ferme Morgan, où Jesse Richman et Joël Saucier-Dupuis nous attendent, afin de nous faire découvrir leur nouvelle serre solaire passive de type earthship. 
 
Située à quelques mètres de la bâtisse principale, la serre solaire est à moitié enfoncée dans la terre et faite de bois clairs recyclés avec une fenestration semblable à celle de l’Es-Cargo donnant vers le soleil. 
 
La serre solaire intérieure de l’Es-Cargo située à l’avant-plan de la cuisine. Crédit photo : Catherine Bernard
 

Une réalité d’abord rêvée

Petite fille, Hélène rêvait d’avoir sa maison dans un arbre dans une belle forêt. Elle voulait la construire elle-même, comme elle l’avait vu dans le film Les Robinsons des mers du Sud. L’idée ne lui est jamais sortie de la tête. 
 
Il y a vingt ans, Hélène dessinait un plan de sa future demeure, avec plusieurs plantes à l’intérieur. Elle ne connaissait pas encore les earthships.
 
C’est un peu plus tard, lorsqu’Internet devient plus accessible, qu’Hélène découvre les travaux de Michael Reynolds. « J’ai trouvé l’idée brillante », explique-t-elle. 
 
Vu de l’extérieur, rien ne déterminait cette femme ambitieuse à se construire une cabane dans la forêt avec son compagnon. « Il faut rêver quand on construit sa maison. Rêver sans limites », affirme Hélène, d’un ton assuré. 
 
Le couple n’avait jamais pris de cours d’autoconstruction, excepté plusieurs rénovations, mais se connaissait débrouillard et autodidacte.
 
Crédit photo : Catherine Bernard
 

Un début à tout

De nouvelles pousses de roquette, d’épinards et autres sortes de laitue profitent des rayons de soleil en s’habituant peu à peu à leur nouvel environnement. Jesse explique que les gens de la ferme viennent tout juste de les déplacer dans la serre, car les semis ont grandi d’abord dans une salle chauffée afin d’assurer leur évolution. Ce sont les premiers à tester l’efficacité de la serre en plein hiver.
 
L’idée d’une serre solaire passive a pondu dans les esprits de Jesse et Félicia à l’automne 2013, alors qu’ils revenaient tous les deux d’une formation à la Earthship biotecture Academy au Nouveau-Mexique. 
 
Ayant grandi à la Ferme Morgan, Jesse connaissait déjà l’intérêt de la coopérative pour les constructions écoénergétiques. 
 
C’est en discutant avec l’une des membres permanentes que le projet s’est concrétisé. « On a accepté le projet avec la condition qu’on n’aurait pas le temps d’aider réellement », affirme Joël. 
 
L’un des murs arrondi et composé de pneu de l’Es-Cargo, dans la salle de bain. De petits miroirs reflètent la lumière provenant de l’extérieur. Crédit photo : Catherine Bernard


Une main-d’œuvre essentielle

S’embarquer dans de tels projets, tant individuellement que collectivement, demande une certaine préparation. 
 
Dans l’évolution des deux projets, la clé du succès a réellement été l’engouement de la main-d’œuvre bénévole. Tant la construction de l’Es-Cargo que celle de la serre solaire passive ont bénéficié de l’aide de plusieurs mains de bénévoles enthousiastes. « J’ai toujours pensé que l’argent était le problème », explique Hélène, « mais ça ne coûte rien, c’est plutôt beaucoup de temps et de la main-d’œuvre. » 
 
Elle se rappelle que beaucoup de gens de la ville sont venus aider la première année. « Encore aujourd’hui, je reçois des coups de fil de gens qui veulent remplir des pneus! » lance-t-elle en souriant.
 
En lançant une campagne de financement plusieurs mois avant le début de la construction, Jesse a permis à celle-ci de se propager afin de rejoindre le maximum de gens. 
 
La première fin de semaine de travaux, en mai 2014, de 60 à 70 personnes sont venues aider à remplir les pneus afin de construire la structure de la serre. Une soirée-bénéfice avec concert a de plus permis de rassembler 200 personnes à la Ferme Morgan.
 
Jesse et Joël discutent à l’intérieur de la serre solaire passive de type earthship, à l’abri du vent d’hiver. Crédit photo : Catherine Bernard
 

L’art d’être précurseur

Être précurseur d’un projet éveille peut-être la curiosité des gens prêts à mettre la main à la pâte, mais attire aussi les points d’interrogation des élus de la région. « Le pire était l’année que ça prit pour avoir le permis de construction. Ça pris du temps, car on était précurseurs, aujourd’hui, ce serait probablement beaucoup plus facile » explique la propriétaire de l’Es-Cargo. 
 
Réaction semblable du côté de la région où se trouve la Ferme Morgan. « Au début, les gens de la municipalité ne voulaient pas que l’on construise la serre avec des matériaux recyclés, car ils disaient que ce ne serait pas esthétique » explique Jesse. 
 
Lors de l’inauguration de la serre, la municipalité a cependant adopté le concept. Selon Jesse, les prochains projets de ce type risquent d’être plus faciles à construire puisque la serre a déjà montré l’exemple.
 
Un projet innovateur comme celui de la serre solaire passive permet des retombées économiques, culturelles et sociales pour la région. « La construction de la serre solaire passive a amené un plus d’achalandage à la ferme depuis cet été », acquiesce Joël. 
 
Le Centre local de développement des Laurentides (CLD) a saisi l’occasion de permettre une telle opportunité économique et a donné environ les deux tiers du budget nécessaire à la finalisation de la serre.
 
Le chien Frodo devant le rocketstove de l’Es-Cargo. Crédit photo : Catherine Bernard


Des coûts réduits

Le premier pneu de l’Es-Cargo a été posé le 25 juillet 2005. Hélène et Alain rentraient officiellement dans leur nouvelle habitation le 3 novembre de la même année. 
 
Le couple a calculé que les coûts des matériaux pour la construction s’élevaient à 41 000 $ après deux ans, comprenant le système photovoltaïque – panneaux solaires –, la fosse septique et l’excavation. 
 
« Il n’y a rien d’essentiel qui fonctionne à l’électricité », nous explique Hélène en nous faisant remarquer le silence complet de la maison. En effet, le buzz constant des maisons traditionnelles est ici totalement absent. 
 
Les panneaux solaires sont un choix écologique qui comporte cependant quelques conséquences minimes. Par exemple, le couple doit parfois attendre une journée bien ensoleillée pour faire leur lavage ou passer la balayeuse. 
 
Cependant, on s’habitue facilement à ces détails lorsqu’on voit la petite facture mensuelle des coûts de la maison. « Ce que ça me coûte par mois ce sont les taxes municipales [assez élevées, car Hélène et Alain possèdent un énorme terrain], les coûts du téléphone et d’Internet, la nourriture, l’essence pour la voiture… et c’est tout! » lance-t-elle avec un sourire.
 
Le thermomètre à l’intérieur de la serre solaire passive de la Ferme Morgan indiquait 37 °C lors de notre visite. Grâce au soleil, la chaleur est constante toute la journée et peut redescendre jusqu’à 0 °C le soir. Crédit photo : Catherine Bernard
 

Une saison de plus à leur avantage

La serre solaire passive que Jesse et Félicia ont construit le printemps passé se base sur le principe des earthship. Grande fenestration tournée vers le soleil, matériaux recyclés, la façade opposée n’est constituée que de pneus. 
 
Alors qu’une serre conventionnelle est habituellement chauffée au gaz, celle de la Ferme Morgan aura un chauffage écologique. « Probablement à l’hiver prochain », affirme Jesse. 
 
Pour l’instant, la serre utilise beaucoup moins d’énergie pour chauffer, voir quasiment pas, grâce à la chaleur du soleil durant le jour. 
 
Le grand avantage d’une serre solaire passive pour la Ferme Morgan est le gain d’une saison de plus pour faire pousser des légumes, surtout des légumes feuilles, car il n’y a pas assez de soleil l’hiver pour faire pousser des tomates, par exemple. 
 
La serre solaire construite par Jesse et Félicia permet donc à la ferme d’avoir des légumes frais sur quatre saisons, au lieu des trois saisons que rend possibles une serre conventionnelle. 
 
Rien de mieux pour attirer les habitants de la région qui souhaitent avoir des légumes biologiques et locaux en plein hiver. « On a déjà des clients qui attendent qu’on produise des légumes pour eux l’hiver », affirme fièrement Joël.
 
(À gauche) Un vitrail collectif – confectionné par plusieurs pendant la Fête des récoltes à la Ferme Morgan – colore l’entrée de la serre solaire passive. (À droite) Un jardin de plantes tropicales occupe une partie d’un deuxième étage de l’Es-Cargo. Crédits photo : Catherine Bernard
 

Une philosophie derrière tout projet

Lorsqu’on lui demande si elle n’est pas fatiguée de travailler sur sa maison, Hélène répond avec un clin d’œil que les projets font partis du plaisir : « Rappelez-vous, quand on est jeunes, on adore construire des forts, mais ça devient toujours plate quand le fort est terminé! » explique-t-elle. 
 
Cependant, si elle a un conseil à donner aux futurs autoconstructeurs, c’est de prendre son temps et de ne surtout pas construire un earthship pour le revendre, car ce ne serait pas avantageux.
 
La Ferme Morgan acquiesce sur ce point : « Ce n’est pas tout le monde qui a le temps et le réseau pour bien mener un tel projet », affirme Joël, en parlant des caractéristiques spécifiques à la ferme qui permet un projet d’une telle envergure. 
 
À la Ferme Morgan, une coopérative de solidarité où les membres se partagent tous les profits, la construction d’une serre solaire passive était possible, car la ferme accueille souvent des bénévoles (WWOOFers et autres) qui étaient enthousiastes à aider Jesse et Félicia durant la dernière année. 
 
« En même temps, tu peux très bien construire un earthship sur plusieurs années et prendre ton temps », ajoute Jesse avec un haussement d’épaules.
 
  (À gauche) La baignoire située dans la salle de bain à aire ouverte de l’Es-Cargo. (À droite) La toilette sèche située à l’extérieur de la maison. On y accède par un petit sentier et l’intérieur est éclairé par la lumière extérieure qui y entre par des bouteilles de vitres colorées encastrées dans les murs. Crédits photo : Catherine Bernard
 
Photo de Catherine Bernard

 

Consultez notre dossier spécial sur les alternatives énergétiques

Partager.

Répondre