Pierre Dansereau, la fibre de l’écocitoyen

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Par Éliane Brisebois

Journaliste indépendante et candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’UQAM

 

Crédit photo: UQAM

« La récente période (2000-2002) connaît des années noires. La fibre de l’éthique écologique s’est affaiblie. L’hystérie antiterroriste a obnubilé des urgences écologiques telles que la lutte à la pauvreté. » Malgré toutes les raisons d’espérer, c’est un cri du cœur que lançait Pierre Dansereau dans un texte publié en 2002 dans Le Devoir à l’aube du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesbourg, qui avait lieu la même année.

 

Mais de ce triste constat sur la situation globale fait par Dansereau à la fin de sa carrière, ressort ce qui l’a toujours préoccupé : l’humain faisant partie de la nature, il faut aborder chaque problématique dans son entièreté avec ses dimensions biophysiques et sociales, d’où le fait de considérer la lutte à la pauvreté comme une urgence écologique. Le constat est lourd, mais l’espoir pointe. Car il ressort aussi de ce texte de Dansereau un appel à l’action, à devenir des écocitoyens, à s’engager pour le changement.

 

C’est cette fibre d’écopédagogue et d’écocitoyen qui le poussait à dire que «la crise mondiale est aussi une crise de l’éducation». Lucie Sauvé, professeure au Département de didactique de l’UQAM et directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté, le soulignait dans sa conférence hommage du dernier jour de colloque de la Semaine Pierre-Dansereau en sciences de l’envrionnement qui s’est tenue du 5 au 8 mai dernier.

 

Pierre Dansereau (1911-2011) a été un pionnier de l’écologie, un scientifique chevronné, mais aussi un humaniste, qui a toujours considéré l’humain comme faisant partie intégrante des écosystèmes. En témoigne son fameux modèle de la « Boule-de-flèches » qui comprend les niveaux « Investissement » et « Contrôle » dont les humains en sont souvent les acteurs dans les écosystèmes. Son œuvre et l’homme exceptionnel qu’il a été ont été célébrés lors de la semaine qui lui a été consacrée à l’UQAM. L’événement, organisé par l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de l’UQAM, a surtout été l’occasion de pousser la réflexion sur l’orientation des sciences de l’environnement d’aujourd’hui à la lumière de sa pensée. La journée de colloque scientifique du vendredi 8 mai, riche en contenu, a permis d’entendre de nombreuses communications qui ont réactualisé l’œuvre de Dansereau.

 

En quête de questions

Pierre Dansereau a toujours été un homme de son temps, mais il importe de situer dans leur époque les différents morceaux de son œuvre qui est le fruit d’un parcours de près de 70 années de travail. C’est du moins ce que défend Nicolas Milot, professeur associé à l’ISE, qui, avec ses collègues Isabel Orellana et Tom Berryman, a décidé d’intégré l’œuvre de Dansereau au corpus du cours de tronc commun de la maîtrise en sciences de l’environnement dont ils sont les professeurs responsables. En quelque sorte, il répondentà une question posée par un étudiant de biologie lors du Colloque des étudiant-e-s des cycles supérieurs en sciences de l’environnement qui s’est tenu le 6 mai : pourquoi n’entendons-nous pas plus parler de Dansereau pendant nos études ?

 

La relecture de La terre des hommes et le paysage intérieur a permis à M. Milot de retenir une des dernières phrases de cette œuvre phare : «Ceux qui ont plus de talent pour les questions que pour les réponses ont grand besoin de travailler avec ceux qui sont immédiatement anxieux de trouver des solutions.» «Et si on utilisait Dansereau dans l’enseignement comme quelqu’un qui nous pose des questions sur un tas de sujets ?» en a finalement conclu Nicolas Milot. Les questionnements de Dansereau sur l’«objet» environnement, la complexité, l’éthique, entre autres, serviront d'introductionaux étudiants nouvellement arrivés à la maîtrise en sciences de l’environnement, soutient-il.

 

Intégrer le paysage intérieur

L’idée du «paysage intérieur», cette métaphore qu’utilisait Dansereau pour parler de l’intégration de l’humain à l’environnement, a été évoquée à de nombreuses reprises lors du colloque. Comme l’a résumé Pascal Galvani, directeur des programmes d’études supérieures en psychosociologie à l’Université du Québec à Rimouski, ne venant pas tous du même milieu, le paysage intérieur, c’est aussi «ce que nous avons intégré de l’environnement».

 

Les chercheurs Sebastian Weissenberger(ISE)et Mélinda Noblet(UQAR), dans leur présentation sur «la résilience climatique dans une perspective systémique»,ont affirmé que, bien que Dansereau n'ait pas abordé la notion clé de résilience, il leur fallait garder à l'esprit, en référence au «paysage intérieur», «les concepts pensés par Dansereau pour pousser la réflexion [en cette ère]de l’anthropocène, où l’humain modifie de manière jusqu’alors inconnue l'environnement, pour voir ce qu’on peut fairede tout ce pouvoir de transformation de l’environnement que l'onne maîtrise pas».

 

Ces deux chercheurs, tout comme Dansereau, préconisent le travail de recherche en interdisciplinarité et en intersectorialité. À ce sujet, Louise Vandelac, professeure à l'ISE et au Département de sociologie de l'UQAM, a voulu signaler l'influence des «travaux précurseurs marqués par l’interdisciplinarité et l’intersectorialité de Pierre Dansereau qui ont, encore aujourd'hui, des échos très largement partagés en termes de perspectives». Elle a alors présenté l'étendue des groupes de recherches interdisciplinaires dans plusieurs coins du globe. En tant que présidente de la Commission Sciences naturelles, humaines et sociales de la Commission canadienne pour l’UNESCO, elle a affirmé avoir proposé la création d'un groupe de travail sur l’intersectorialité,qui a une «valeur ajoutée pour appréhender les grands enjeux auxquels nous sommes confrontés».

 

Car comme l'exposait René Audet, directeur de l'ISE, dans la conférence d'ouverture de la journée du 7 mai, les problèmes complexes environnementaux sont de plus en complexes, voire «wicked», comme les qualifie la langue anglaise. Il faut ainsi que les chercheurs se tournent vers un nouveau mode de production de connaissances en phase avec la société dans laquelle elles sont produites.

 

Cela doit mener «de l’écodécision à l’écodéveloppement», comme s’intitulait le dernier bloc de communication du colloque. Un tel processus implique des enjeux éthiques, de responsabilité et d’engagement. Que cela concerne des controverses sociales entourant des projets à grands impacts sur l’environnement, comme des projets miniers, par exemple, du travail social en temps de crise écologique ou la recherche de réponses à la question «quelle économie pour quelle écologie?», Pierre Dansereau nous inviterait sûrement à poser un regard différent sur la nature et à adopter une volonté d’agir teintée d’«austérité joyeuse».

 

La Semaine Pierre-Dansereau s’est terminée dans la volupté de la musique de Bach et de Beethoven lors d’un récital hommage du pianiste et professeur retraité de l’UQAM Pierre Jasmin. Le récital fût magnifiquement accompagné d’une projection de photos prises lors des nombreux voyages autour du monde de Pierre Dansereau.

 

Source : GaïaPresse

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