Vers une analyse de la 21ème conférence des parties et des enjeux relatifs à l’Accord de Paris

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Lors d’une conférence-panel proposée par l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal intitulée : « Forces et faiblesses de l’Accord de Paris : qu’en est-il de la lutte aux changements climatiques après la COP21 ? » ; quatre conférenciers ont partagé leurs expériences et leurs points de vue des dernières négociations environnementales internationales.

Ainsi, le directeur de l’Institut des sciences de l’environnement René Audet, le directeur de l’Institut Québécois du carbone Mark Prudon, le responsable de la campagne Climat-Énergie de Greenpeace Canada Patrick Bonin, et le directeur Climat-Énergie de l’Association Québécoise de Lutte contre la Pollution Atmosphérique Alain Brunel, ont analysé plusieurs points permettant de comprendre l’Accord de Paris, conclu le 12 décembre 2015.

 

« Il faut écarter les grands discours sur l’Accord de Paris – vu comme un sauveur de la planète – mais il ne faut pas non plus le discréditer.  »

(René Audet, directeur de l’Institut des sciences de l’environnement à l’UQAM)

Bien que la 21ème conférence des parties ait été présentée comme « la COP de la dernière chance », pour finalement établir « un acte majeur pour l’humanité » traduit par « l’accord pour une meilleure planète », comme l’ont respectivement prononcé François Hollande et Ban Ki-moon ; il est important, pour le sociologue du discours René Audet, de relativiser cet enthousiasme au ton plutôt glorieux. Si l’Accord de Paris prend comme objectif principal de s’adapter aux changements climatiques en atténuant le réchauffement planétaire de  2°C, il reconnaît aussi la nécessité de ne pas dépasser le seuil de 1.5°C, laissant ainsi des possibilités d’adaptation, voir de survie pour les pays les plus vulnérables. Ainsi, des « contributions prévues déterminées au niveau national » (INDC) seront remises tous les cinq ans afin de respecter un budget carbone de l’humanité, entendu comme la quantité d’émissions de gaz à effet de serre à considérer pour rester en deçà des seuils thermiques visés. A partir de 2020, un montant de 100 milliards de dollars US annuel, destiné aux pays en développement généralement très vulnérables, permettra d’optimiser les mécanismes d’atténuation et de développer des mesures d’adaptation avec, par exemple, du transfert de technologie. Dans une optique d’acclimatation plus globale, un projet de « chambre de compensation » comme dispositif assuranciel pour gérer les catastrophes, devrait être négocié dans les années à venir. La COP 21 est aussi initiatrice d’une reconnaissance du marché du carbone, instrument de politique publique pertinent en terme d’atténuation. L’Accord de Paris, pouvant être considéré comme un moteur de mécanismes institutionnels engendrant des nouvelles normes de gouvernance, laisse ainsi espérer une régulation des pratiques économiques, politiques et sociales, qu’elles soient internationales ou locales.

Pour légitimer la viabilité de ces engagements face aux changements climatiques, une analyse approfondie des forces et des faiblesses de l’Accord semble appropriée.

 

«  L’Accord de Paris est une confrontation du régime international des changements climatiques aux réalités politiques. »

(Mark Prudon, directeur de l’Institut Québécois du carbone)

Le politologue Mark Purdon remarque une réelle avancée en politique de développement environnemental international. Il souligne plusieurs points de correction significatifs d’une progression politique depuis 2009, année de la COP15 à Copenhague, qui fût sans réels résultats. Le premier changement s’inscrit par une évaluation plus réaliste des responsabilités. L’implication de 195 pays et la distinction de leurs rôles respectifs (INDC), pour améliorer le niveau d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, permet d’entrevoir une politique des changements climatique de meilleure qualité. Il en découle une approche « bottom up » (du bas vers le haut) ou « ce n’est pas les Nations Unies qui veulent diriger, c’est les états membres qui vont diriger ». La prise en compte des coûts pour s’adapter et atténuer les changements climatiques donne aussi l’espoir d’une modification des dépenses monétaires en faveur du climat, ce que devrait permettre le marché du carbone. Enfin, l’Accord de Paris peut être un facilitateur concernant les recherches sur les politiques intérieures de chaque Etat membre. Si l’élaboration d’une politique globale des changements climatiques – effectuée par les instances internationales – est très importante, il faut noter un réel manque de réflexion sur les politiques intérieures des parties. Une harmonisation politique ne peut se faire qu’avec l’inclusion de tous les Etats, basée sur une politique comparative.

Malgré ces avancements considérables, le directeur général de l’Institut Québécois du carbone admet toutefois l’insuffisance de l’Accord pour limiter les changements climatiques.

 

« Le réalisme aujourd’hui, c’est d’aller vers zéro émission le plus vite possible. »

(Alain Brunel, sociologue des organisations et directeur Climat-Énergie de l’AQLPA)

 

Alain Brunel se montre très insistant sur l’ampleur et l’urgence du réchauffement climatique. Le niveau de concentration des gaz à effet de serre devrait atteindre le seuil des 400 ppm en 2016, ce qui confronte la Terre à une situation méconnue depuis « au moins 800 000 ans et probablement 2,6 millions d’années » (le Pliocène). Le constat scientifique actuel de l’accélération de la fonte des glaciers et de la déforestation, des pertes de biodiversité irréversibles, de l’acidification des océans ou encore de l’augmentation des événements climatiques extrêmes (ouragans, pluies diluviennes, sécheresses intenses, tempêtes tropicales, etc.) avec à peine 1°C  de réchauffement, rend perplexe sur le seuil de 2°C visé. Pour le sociologue, « la limite des 2°C à ne pas dépasser est déjà le seuil entre dangereux et très dangereux » ; c’est d’ailleurs la raison de la mise en avant du 1.5°C, lors de la COP 21. De plus, il faut noter une faiblesse majeure de l’Accord de Paris : dans le texte, l’idée d’un budget carbone chiffré à laissé place à un plafonnement des émissions à atteindre dans les meilleurs délais. Pour Alain Brunel cette absence n’est pas anodine, le budget étant déjà en voie de dépassement. En effet, selon les scénarii scientifiques de 2011, il restait environ 21 ans de budget carbone pour stagner sous le seuil de 2°C de réchauffement, et cinq ans et demi pour respecter la barre des 1.5°C. En réactualisant les calculs en 2016,  les sociétés humaines émettrices seraient déjà en dette d’une dizaine d’année pour le scénario le plus viable, tout en sachant que ce déficit de temps reste approximatif, la fonte du pergélisol n’étant par exemple pas pris en compte dans les calculs. Il faut aussi noter un manque de conscience notoire des excès d’énergie issus de la pollution humaine (plus de 400 000 bombes atomiques de type Hiroshima par jour selon James E. Hansen), ces derniers se stockant essentiellement dans les océans. Il convient donc de redoubler d’efforts en matière d’atténuation et de captation. En exemple, ce n’est pas en excluant de l’Accord l’aviation et le transport maritime (en croissance et responsables de 6% des émissions mondiales) que les objectifs de cette entente seront respectés.

 

« Ce n’est pas suffisant, mais ce que nous avons obtenu est plus ambitieux que ce que l’ont pensait pouvoir obtenir !  »

(Patrick Bonin, responsable de campagne climat-énergie, Greenpeace Canada)

 

L’organisation non gouvernementale Greenpeace – représenté ici par Patrick Bonin – s’intéresse depuis de nombreuses années aux négociations internationales consacrées au climat. Aux vues de la complexité des négociations lors des conférences intersessions (préalables à la COP 21), ne présageant pas l’aboutissement à un consensus, l’Accord obtenu semble vraisemblablement être « un pas en avant ». Egalement, dans un contexte ou l’issue de l’entente devient une condition de survie pour les pays les plus fragiles, l’inscription de la limite de 1.5°C dans le texte final apparaît être une force majeure pour la suite des négociations. La dynamique engendrée par le Climate Vulnerable Forum (coalition des 43 pays les plus vulnérables de la planète), qui réclame un objectif de 100% d’énergies renouvelables d’ici 2050 (programme proposé par l’ONG), et souligne la problématique des réfugiés climatiques entrainant des déplacements de populations massifs, a été le principal moteur de cette prise de décision. En effet, malgré « l’ absence de prévisibilité pour l’entrée des fonds », les pays les plus vulnérables ont tout de même décidé d’approuver l’Accord de Paris, ce qui laisse penser que leurs identités culturelles, menacées par les changements climatiques – tels que la montée des océans – sont plus importantes que l’argent. Grâce au mécanisme de retour sur les contributions nationales tous les cinq ans (permettant de soumettre de nouvelles cibles de réduction) et à la notion de perte et dommage présent dans l’Accord, des pressions supplémentaire sur les pays manquant de responsabilité pourront êtres effectuées. Il faut rappeler qu’actuellement, l’ensemble des INDC amorce une trajectoire vers + 3°C, ce qui rend les cinq prochaines années déterminantes pour faire face aux changements climatiques. De plus, « le problème est loin d’être réglé », en témoigne l’absence de contraintes légales sur les cibles déterminées.

Les climatosceptiques, décrédibilisés, n’étant plus sur la scène publique, et le consensus positif parmi tous les pays à la fin de la COP 21, éloignent l’inquiétude de la non entrée en vigueur (55 pays représentant 55% des émissions totales de GES) de l’Accord de Paris ce mois-ci à New York. Toutefois, les négociations pour changer les perspectives d’avenir, compromises par une augmentation de la température moyenne de 3 °C, mais viables si le seuil d’élévation tend vers 1.5°C, sont loin d’êtres terminées.

Cette quadruple analyse permet d’entrevoir de multiples avancées sur les questions environnementales, incontournables en terme de responsabilité vis à vis des générations futures. Les différents mécanismes d’atténuation et d’adaptation négociés pour établir l’Accord de Paris, donne l’espoir d’une réelle restructuration du rapport indissociable Humain/Nature, et des représentations de notre milieu de vie pour faciliter notre adaptation aux changements climatiques. Il ne s’agit pas de compter uniquement sur de la technologie et du financement pour faire face aux perturbations de la dynamique et des équilibres complexes de la Terre ;  ce sont aussi les modes de vie, extrêmement inégalitaires, qui doivent être repensés. Les changements climatiques confrontent l’humanité à réagir rapidement et au mieux de ses connaissances car « la nature nous contient, nous et nos œuvres, et c’est bien pourquoi nous continuons d’exister. La culture n’est qu’une nature cultivée, dont ce produit de la nature qu’est l’homme prend soin : que la nature meure, alors la culture, et tous ses artefacts, mourront aussi ».

(Catherine et Raphaël Larrère. (2009) Du bon usage de la nature ; Pour une philosophie de l’environnement.)

Jonathan Rouzé
Étudiant à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’Institut des Sciences de l’Environnement (UQAM) et candidat à la maîtrise de sociologie spécialisée dans la gouvernance des risques et de l’environnement de l’Université de Caen (France)Jonathan Rouzé détient un bac en sociologie de l’Université de Grenoble II (France) et s’intéresse particulièrement aux alternatives de gouvernance sociales, communautaires et individuelles face à la multiplication des risques, caractéristiques du «développement» et du «progrès» contemporain.
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