La gouvernance urbaine endogène comme modalité d’encadrement des villes durables

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Au-delà des pratiques ou activités urbaines qui peuvent contribuer ou non à la promotion du développement durable, il est très pertinent de tenir compte du type de gouvernance qui encadre la ville et lui donne son enveloppe légale et légitime. Parler de gouvernance, c’est évoquer la perspective plurielle des organes impliqués dans les processus des dynamiques urbaines, il pourrait s’agir des élus municipaux, des communautés urbaines, de tout groupe ou acteur citadin. C’est également faire état des politiques et des instruments mis en œuvre pour orienter les potentielles actions qui promeuvent l’idée de la ville durable. Nous nous interrogeons sur la pertinence et les effets des outils développés pour garantir, favoriser ou stimuler les perspectives de développement durable dans des contextes où certaines pratiques s’y opposent.

Nous posons dans la présente réflexion que la gouvernance urbaine qui constitue, non seulement une modalité d’encadrement de la ville durable, mais aussi une dynamique d’action, ne suffit plus si elle ne tient pas compte des perspectives endogènes. La gouvernance urbaine représente un système de gestion capable de dynamiser les pratiques en les orientant vers des buts spécifiques favorables au développement durable des villes. Cependant cette gouvernance se trouve limitée si elle n’intègre pas les visions locales de la durabilité, les cultures des peuples, leurs modes d’être au monde, bref leur participation aux projets urbains.

Gouvernance urbaine : acteurs, outils et stratégies

La gouvernance urbaine se présente comme cette responsabilisation de la société civile qui se traduit par son empowerment, son contrôle sur les décisions et les ressources. Elle s’accompagne de réformes institutionnelles : lutte contre la corruption, démocratisation, libéralisation des services. Elle peut également avoir pour effet de faire prendre en charge le développement social, économique et les besoins collectifs des groupes sociaux les plus fragilisés, en lieu et place des administrations nationales et locales (1 p.2).

Loin de tout laisser entre les mains des institutions ou des administrations publiques, la gouvernance urbaine se pense comme un carrefour d’actions concertées, d’initiatives plurielles provenant en plus des acteurs publics, des acteurs privés, populaires ou même individuels. Il s’agit de susciter la participation de différents acteurs à des responsabilités communes. Selon Jouve (1), « Gouvernance rime dans ce cas avec transparence dans la gestion interne, retour à certaines règles éthiques et rééquilibrage des pouvoirs entre ces deux pôles ». Ainsi, la gouvernance urbaine représente l’ensemble des acteurs ou groupes d’acteurs citadins rassemblés pour œuvrer autour d’un projet de gestion de la ville. Devant les questions de développement durable, les stratégies et les techniques qui encadrent cette gestion peuvent se décliner en : politiques d’assainissement, éco-responsabilité, activités communautaires, etc.

Cependant, il faut reconnaître que les mesures et politiques durables qui apparaissent devant la croissance vertigineuse des villes bouleversent les habitudes des citadins en posant des limitations – ou mieux des conditions – à leurs développements. De même, ces politiques n’intègrent pas forcément une pratique de la gouvernance urbaine qui respecte les garanties de participation démocratique et communautaires.

La ville entre développement économique et développement durable

Parler de ville durable, c’est élaborer sur une culture citadine de la durabilité. Nous estimons que chaque culture porte les gènes de la durabilité. L’on peut citer ici les exemples des communautés Bamilékés à l’ouest du Camerounet leur gestion des ordures, ou celui de la plupart des peuples sédentaires Bantous d’Afrique subsaharienne qui connaissent à travers l’usage des greniers,une forme d’économie qui empêche le gaspillage et favorise une saine exploitation des ressources. L’on citera également les modes de vie des Pygmées Bedzang qui sont basés sur les valeurs du respect de l’habitat et de la nature. Or, la gouvernance urbaine s’est très souvent attaquée aux villes dans l’optique de proposer un modèle unique et hégémonique de participation citoyenne. L’aide publique au développement, les fonds de l’agence française de développement, les campagnes de développement de la Banque mondiale ou du Fond Monétaire International pour les pays en voie de développement, proposent tous aux villes du Sud, des modèles d’actions durables qui ne tiennent pas compte des savoirs locaux.Pourtant, chaque nation porte ses propres germes d’une perspective de la ville durable.

Dans le cas des villes du nord, au Canada notamment, le développement durable a souvent influencé puis orienté les modes de production. A titre d’exemple, les politiques de «virage au vert» et le passage à la facturation électronique de la Compagnie Bell, ou encore la maximisation des énergies renouvelable et l’usage de l’énergie solaire dans la consommation énergétique de l’Université Laval au Québec. Une gouvernance efficace devrait s’opérationnaliser en articulant la participation des représentants locaux et les outils que proposent les développeurs urbains. La participation représente une modalité d’action qui rend les communautés parties prenantes des projets urbains. Nous parlons de cette fédération d’idées de sorte qu’on puisse aboutir à une vision commune de la ville. Dès lors,tant que les campagnes et les projets de recyclage ou les programmes d’éco-quartiers de la ville de Montréal ne rencontrent pas les consciences des communautés, l’idée de préservation d’un environnement sain reste et demeure une projection des spécialistes de la gouvernance urbaine, une vision extérieure aux habitants. La gouvernance urbaine a le mérite de poser la question non plus seulement de la commune responsabilité ou du bien commun, mais de la copropriété, de sorte que chacun se sente tributaire du devenir de la ville.

Si le type de production et de consommation représentent des facteurs indispensables au projet de ville durable,  elles expriment le mode d’être de l’habitant. C’est pourquoi toutes les politiques ou initiatives qui ne rencontrentpas les modes d’être des communautés ou leurs cultures, n’ont pas d’écho favorable. De même, les activités des organismes communautaires, si elles ne s’arriment pas aux pratiques des communautés des quartiers, n’auront pas de résultats efficaces.

Nous pensons clairement que bâtir la ville durable, c’est penser un mode de gouvernance urbaine endogène de sorte que les acteurs ne travaillent pas pour répondre à des exigences ou des idéologies, mais qu’ils construisent la ville durable à partir de leurs modes d’être au monde.

 


Référence

(1) Bernard Jouve, 2007. La gouvernance urbaine : vers l’émergence d’un nouvel instrument des

politiques ?, Revue internationale des sciences sociales, 3 : 387-402.


Crédit photo : Edmund Garman et CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=229761

Pierre Boris N’Nde
Chercheur au Doctorat en anthropologie au département d’anthropologie de l’Université Laval

Pierre Boris N’Nde a fait des études en sciences sociales (Bac) et en anthropologie appliquée au développement et management des projets (maîtrise). Anciennement vice-président aux études et à la recherche de l’AELIES, la plus importante association des étudiants des cycles supérieurs du Québec avec plus de 11000 membres, ses recherches se focalisent sur les dynamiques urbaines reliées aux enjeux culturels et de gouvernance locale. Il réfléchit non seulement sur les conditions de possibilité d’une ville durable, mais aussi sur l’environnement de sécurité des biens et des personnes dans les villes du Sud. Ceci inclut les thématiques attachées à l’informalité, la pauvreté ou l’exclusion sociale en contexte urbain.

La publication de cette analyse est rendue possible grâce au partenariat avec le Journal L’intErDiSciplinaire de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société de l’Université Laval. Elle a initialement été publiée dans le numéro 10 du Journal.

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