Retour sur Anticosti et l’application des autorisations environnementales

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Contrairement aux opérations de fracturation hydraulique, prévues à l’été 2017, les sondages stratigraphiques réalisés précédemment sur l’Île d’Anticosti n’ont pas fait l’objet du processus d’autorisation environnementale prévu à la Loi sur la qualité de l’environnement [1] (LQE). Étudiantes au baccalauréat en droit, nous avons réalisé une recherche dans notre cours de droit de l’environnement sur cette question et, comme le sujet demeure d’actualité, nous souhaitons la partager avec le public.

D’abord, il est important de savoir que lorsqu’un projet est susceptible d’avoir des conséquences environnementales négatives, la LQE impose à son promoteur l’obligation d’obtenir au préalable une autorisation environnementale du ministère du Développement Durable, de l’Environnement et des Changements climatiques (Ministère de l’environnement) (art. 22 LQE). Toutefois, certaines activités identifiées dans le Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement (RALQE) sont exemptées de cette obligation.

La mobilisation sociale entourant le développement de l’industrie du gaz de schiste au Québec a permis à la population de constater certaines lacunes de la LQE dans les secteurs minier, pétrolier et gazier. Ainsi, les 29 puits forés et les 18 puits fracturés dans la province jusqu’en 2011 [2] ont été réalisés sans avoir été autorisés selon la LQE, et cela, en vertu de l’exemption accordée aux « travaux de forage autorisés en vertu de la Loi sur les mines » contenue dans le RALQE (art. 2 (6)). De plus, ces activités étaient expressément exclues de la procédure d’évaluation et d’examen des impacts de la LQE et n’ont donné lieu à aucune audience ou consultation publique. En juin 2011, une exception à l’exemption est introduite dans le RALQE pour les travaux de forage autorisés en vertu de la Loi sur les mines lorsqu’ils sont « destinés à rechercher ou à exploiter du pétrole ou du gaz naturel dans le shale » et pour « toute opération de fracturation destinée à rechercher ou à exploiter du pétrole ou du gaz naturel ». Dans le cas des opérations de fracturation, l’autorisation environnementale est obligatoire, peu importe la présence d’une formation de shale. Par conséquent, depuis juin 2011, tous les travaux de forage autorisés en vertu de la Loi sur les mines et qui sont destinés à rechercher des hydrocarbures dans le shale sont expressément assujettis à l’obligation d’obtenir une autorisation environnementale au préalable. De plus, les modifications de juin 2011 exigent également du promoteur de ces activités qu’il informe et consulte le public, de même que la municipalité, avant de demander son autorisation environnementale (art 7.1 et 7.2 RALQE).

En plus de respecter la LQE, une entreprise qui recherche des hydrocarbures doit également respecter la Loi sur les mines et être titulaire d’un permis de recherche de pétrole, de gaz naturel et de réservoir souterrain [3]. Hydrocarbures Anticosti, détentrice de la grande majorité des permis de recherche sur l’île émis en vertu de la Loi sur les mines [4], a réalisé des travaux dans la shale de la Formation de Macasty. À première vue, ces activités sont assujetties, depuis 2011, à l’obligation d’obtenir au préalable une autorisation environnementale. Par exemple, pendant l’été 2014-2015, la société a effectué des travaux qu’elle a qualifiés, non pas de forages, mais de « sondages stratigraphiques ». Ces travaux de recherche visaient àrecueillir des données sur les couches sédimentaires du shale de la Formation de Macasty afin de déterminer les meilleurs endroits pour entamer l’exploitation des hydrocarbures. De plus, de par la nature de ces travaux, une modification à la qualité de l’environnement était susceptible de survenir ou il pouvait en résulter l’émission, le dégagement, le dépôt ou le rejet de contaminants dans l’environnement. D’ailleurs, les sondages stratigraphiques sur l’île ont entraîné des rejets d’eau de forage et d’huile de ciment dans l’environnement [5]. Plusieurs ont souligné que ces activités de forage auraient dû faire l’objet d’une autorisation environnementale en vertu de la LQE et ont dénoncé le changement de vocabulaire des promoteurs après 2011 pour contourner la LQE [6].

Qu’est-ce qui explique alors l’absence d’autorisation environnementale pour les travaux de 2014-2015 ? En 2012, le Directeur régional de la Côte-Nord du Ministère de l’environnement précise que ce n’est que si ces opérations sont réalisées en milieu humide que l’autorisation environnementale est nécessaire. Dans le cas de tout autre sondage stratigraphique, le permis de recherche de la Loi sur les mines est suffisant [7]. Cette position est réitérée dans une note d’instruction émanant du Ministère de l’environnement en avril 2015 [8]. De même, selon le Règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection, entré en vigueur en 2014, les sondages stratigraphiques sont définis comme préliminaires aux forages destinés à l’exploitation ou à la recherche du pétrole. Suivant ce règlement, cette définition ne s’applique qu’à son chapitre V (art. 31). Elle n’a donc aucune incidence sur le processus d’autorisation environnementale qui relève du RALQE.

Par ailleurs, l’interprétation gouvernementale ne fait pas l’unanimité. En 2013, le Centre québécois du droit de l’environnement dépose une requête en jugement déclaratoire. Contrairement à la position gouvernementale,l’organisme allègue, entre autres, que l’autorisation environnementale était nécessaire pour les sondages stratigraphiques. Rejetée en première instance sur un moyen d’irrecevabilité, puis cassé par la Cour d’appel qui « estime que les appelants ont démontré l’existence d’une difficulté réelle justifiant le recours » (para 8), notamment parce que « les pièces produites par les appelants au soutien de leur requête rendent plausible l’allégation selon laquelle les intimées auraient fait des travaux susceptibles de tomber sous la portée du paragraphe 6 de l’article 2 du Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement »(para 4) et qu’ « [i]I en est de même au regard de l’allégation voulant que le MDDEFP ait fait savoir par des porte-paroles que ces travaux n’étaient pas assujettis à l’obtention d’un certificat » (para 5).

Bien que les juges de la Cour d’appel ne se prononcent pas sur le fond, ilressort de leurs motifs un principe important en matière d’interprétation des lois et des règlements. La Cour d’appel a rappelé que la détermination du champ d’application d’un règlement est du ressort des tribunaux judiciaires (para 17 à 25).La discrétion dont jouit le ministre d’émettre ou non une autorisation ne va pas jusqu’à décider dans quels cas une demande doit lui être présentée, et cela en ajoutant des distinctions. C’est le RALQE qui tranche la question. Le Ministre de l’environnement n’a droit à aucune déférence lorsqu’il en interprète les termes. Par contre, aucune instance juridique n’a jusqu’à maintenant été appelé à déterminer si les sondages stratigraphiques sont des forages soumis à l’autorisation environnementale.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? L’interprétation de la LQE ne devrait-elle pas reconnaître que son champ d’application est de prévenir toute atteinte à l’environnement ? La distinction opérée entre des travaux de sondage et des travaux de forage n’est-elle pas inadaptée à l’objectif de la loi elle-même ? En effet, la LQE limite toute activité susceptible de polluer sans l’obtention d’une autorisation environnementale, donc il existe bien une volonté du législateur de contrôler le plus de projets possibles. Certes, les sondages stratigraphiques ne sont pas mentionnés dans la LQE ou dans son règlement d’application. Cependant, si l’on s’attache à l’esprit de la loi, soit celui de protéger l’environnement contre les atteintes que peuvent lui porter les activités humaines, il est difficile d’admettre que les sondages stratigraphiques seraient exclus de l’obligation d’obtenir un certificat d’autorisation. Objectivement, les sondages stratigraphiques sont des forages qui permettent de déterminer où se trouve les meilleurs sites d’exploitation d’hydrocarbures. Si le gouvernement avait voulu donner un sens plus technique au terme « rechercher », il pouvait le faire en modifiant le RALQE.

En définitive, encadrés par un permis obtenu en vertu de la Loi sur les mines, les sondages stratigraphiques auraient dû, à notre avis, être autorisés par la LQE. Du ressort des travaux de recherche et effectués dans le shale de Macasty [9], ces opérations étaient visées par l’exigence d’obtenir une autorisation environnementale depuis 2011. Constatant ses possibles erreurs dans le processus, ou réagissant aux études démontrant que le sol d’Anticosti regorge plus de gaz naturel que de pétrole, le gouvernement s’est montré de moins en moins enthousiasme devant le projet. Selon le premier ministre Couillard, l’exploration avec fracturation n’aurait jamais dû être lancée sans une évaluation environnementale. Alors, la reconnaissance de l’île d’Anticosti comme milieu naturel sensible découle-t-elle du respect de la législation environnementale ou simplement de la volonté du gouvernement de le protéger suivant la prise en compte de facteurs économiques ?

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Auteures: Oxana KGAEVSKI et Rachel NADEAU

Sources :

[1] Loi sur la qualité de l’environnement, RLRQ, c. Q-2, art. 22

[2]  Bibliothèque du Parlement, Ottawa, Canada, 2015, Le gaz de schiste au Canada – Risques environnementaux et réglementation (Étude générale), Publication no 2015-18-F http://www.bdp.parl.gc.ca/content/lop/ResearchPublications/2015-18-f.html

[3] Loi sur les mines, RLRQ, c. M-13.1, art. 165

[4] http://hydrocarbures.gouv.qc.ca/faq.asp

[5] Hugo TREMBLAY, « Le pouvoir de délimiter le domaine de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement », (2014) 55 C. de D. 713-773. 718

[6] Voir, par exemple, Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste, Cycle de conférences 2014 : Marc Durand – Implications concrètes du RPEP pour Anticosti, https://www.youtube.com/watch?v=MpCkciKraW4

[7] Direction régionale de l’analyse et de l’expertise de la Côte-Nord, Certificat d’autorisation Anticosti – Projet de la compagnie Pétrolia sur l’Île d’Anticosti (courriel), en ligne

[8] MDDELCC, Encadrement des travaux d’exploration gazière et pétrolière et application des Lignes directrices provisoires sur l’exploration gazière et pétrolière (notes d’instructions), en ligne, ˂  http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/publications/note-instructions/15-02.htm

[9] http://ici.radio-canada.ca/regions/est-quebec/2014/08/05/001-ile-anticosti-forage-petrolia.shtml

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