De l’entrepôt au frigo public, l’Allemagne traque le gaspillage

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Dans un hangar de Cologne, dans l’ouest de l’Allemagne, du sol au plafond, des déodorants et des gels douche rescapés d’une destruction programmée. A Berlin, dans les arrière-cours d’immeubles, des frigos en libre-accès pour déposer yaourts et légumes non consommés. Face aux errances de la société de consommation, des Allemands se retroussent les manches pour récupérer, redistribuer, partager.

Sur le coffret de la «Jogis Fan-Box», le visage de l’idolâtré entraîneur de l’équipe d’Allemagne de foot, Joachim Löw, convoque le regard. A l’intérieur une mousse à raser et une crème pour le visage, notamment.

Zéro défaut pour ce paquet parfaitement neuf mais qui fait partie d'»une édition limitée vendue avec le maillot de l’équipe» allemande à l’occasion de l’Euro 2016, indique le carton. Quand le coup de sifflet final de la compétition sportive a retenti, tous les supermarchés ont retiré les invendus de leurs rayons. Direction annoncée des stocks restants: l’usine d’incinération.

«Des palettes entières de cette offre promotionnelle devaient être tout simplement brûlées, nous les avons sauvées», explique Juliane Kronen, dirigeante d’Innatura.

Dans un entrepôt de la banlieue de Cologne, sa société récupère des produits de consommation courante qui ne peuvent plus être vendus et les redistribue dans toute l’Allemagne à des associations caritatives moyennant de modiques sommes, de 5% à 20% du prix de vente.

 313 kilos par seconde

Récupérer plutôt que gaspiller, c’est aussi avec cet objectif qu’à 600 km de là, la Berlinoise Fenja tire la porte d’un réfrigérateur fatigué, installé dans une cour d’immeuble du quartier de Prenzlauer Berg.

Elle y dépose blettes et roquette et le fait savoir sur la plateforme internet Foodsharing. Silvia annonce, elle, qu’elle a déposé un kilo d’oignons et deux bouquets de romarin. Tout le monde peut ensuite venir se servir et cuisiner ces aliments.

Depuis cinq ans, Foodsharing essaime ses plus de 300 frigos et «garde-manger» en libre-service dans toutes les grandes villes allemandes. «Nous avons contribué à sauver plus de 8.000 tonnes de nourriture», assure l’un des fondateurs, Frank Bowinkelmann.

Selon l’ONG Fonds mondial pour la nature (WWF), plus de 18 millions de tonnes de nourriture sont jetés tous les ans en Allemagne. Chaque seconde, 313 kilos de nourriture finissent au fond des poubelles.

Un départ en vacances qui s’annonce et des yaourts qui seront périmés au retour? Le boulanger du quartier qui se retrouve avec des petits pains et des croissants sur les bras une fois ses fourneaux éteints?

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AFP / PATRIK STOLLARZ La fondatrice d’Innatura, Juliane Kronen, à l’entrepôt de la coopérative à Cologne, le 16 mars 2017

Les frigos et étagères de Foodsharing acceptent toute cette nourriture promise à une fin sans gloire au fond des containeurs d’ordure.

Dans le hangar d’Innatura, partout où porte le regard s’empilent paquets de couches, cartons de gels douche, tubes de crèmes solaires mais aussi lessives, robots ménagers et autres chaussures de sport répudiées. Au total 1.500 produits différents.

«Ils sont tous parfaitement neufs», insiste Mme Kronen. Cette cinquantenaire poivre et sel, le verbe dynamique, la pensée carrée, extrait d’un carton des déodorants destinés au marché russe.

«Avec l’embargo lié au conflit ukrainien, l’étiquetage a dû être modifié, ils ne sont donc plus vendables», explique-t-elle.

L’inventaire se poursuit plus loin avec des tablettes pour lave-vaisselle. «Elles ont été mises sur le marché en taille XXL pour une offre de courte durée. La promotion s’est terminée, tout le stock restant est là», raconte Mme Kronen. Caverne d’Ali Baba, son hangar témoigne d’une société engluée dans le trop-plein de consommation.

Réglementation absurde

Mais pour le dirigeant de Foodsharing, «le consommateur n’est pas le seul responsable» de ce gigantesque gâchis. Et d’égrainer les paquets d’un kilo de farine quand on n’a besoin que d’une petite quantité pour une pâte à tarte, des pommes vendues par sac de deux kilos. «Combien d’entre elles finissent-elles à la poubelle? Les fabricants doivent aussi évoluer», prône-t-il.

Juliane Kronen s’en prend elle aux réglementations absurdes. «En Allemagne, cela revient moins cher à une entreprise de brûler des produits que d’en faire don à une œuvre caritative», s’indigne l’entrepreneuse.

AFP / PATRIK STOLLARZ Des produits d'entretien à l'entrepôt de la coopérative Innatura à Cologne, le 16 mars 2017

AFP / PATRIK STOLLARZ Des produits d’entretien à l’entrepôt de la coopérative Innatura à Cologne, le 16 mars 2017

De fait, lorsqu’elle donne des produits à une association d’aides, une société doit payer des taxes sur ses dons. Incinérer des couches, des shampoings ou des chaussures de sport lui coûte moins cher.

L’association Foodsharing est convaincue d’avoir avec son idée «touché un nœud sensible» dans la société, selon Frank Bowinkelmann. «Les gens sont de plus en plus conscients de ce vaste gaspillage».

Juliane Kronen assure avoir «sauvé» 580 tonnes de produits de consommation des usines d’incinération depuis qu’elle a fondé son entreprise il y a près de quatre ans.

Mais soupire-t-elle, la tâche demeure herculéenne. «Chaque année en Allemagne on brûle ou détruit pour sept milliards d’euros de produits de consommation courante».

Source : Agence France Presse

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