Agriculture urbaine: à Berlin, on cultive le goût des plantes

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Au Prinzessinnengarten, la bourse d'échange des plantes bat son plein. Dans le monde, Berlin est la ville où l'on trouve le plus de jardins urbains. Photo: RFI/Marc Verney

Au Prinzessinnengarten, la bourse d’échange des plantes bat son plein. Dans le monde, Berlin est la ville où l’on trouve le plus de jardins urbains.
Photo: RFI/Marc Verney

Par Marc Verney

L’idée est dans l’air de nos villes de ce XXIe siècle… ou plutôt dans les sols et terrains reconquis par la végétation, voire oubliés des promoteurs ! Tomates, courgettes et petits pois peuvent-ils pousser au beau milieu de nos cités toujours plus encombrées – désormais peuplées par les trois quarts des humains de la planète – et ainsi contribuer à améliorer la vie de tous au cœur des tours en béton et du flot métallique des voitures ? L’idée perce à Paris, qui a inauguré fin mars 2017, le premier de ses 33 sites « Parisculteurs ». A Berlin, le travail de la terre est depuis longtemps une vraie culture. Alors, mode ou nouvelle réalité ? Gros plan sur une ville et une région à la démarche résolument « éco-logique ».

Il est midi ce samedi 6 mai. Sur la Moritzplatz, dans le quartier populaire de Kreuzberg à Berlin, une foule bigarrée dépose ses vélos et se presse à l’intérieur du Prinzessingartenpour une bourse d’échange et de vente de plantes nutritives. On y trouve aussi plusieurs stands d’associations de défense de l’environnement (1). Le jardin apparaît, derrière les grillages, comme une oasis de vert au milieu des bâtiments gris de ce pâté de maisons situé à deux pas du tracé de l’ancien mur séparant Berlin-Ouest de Berlin-Est. Les plantes poussent dans des containers, des bacs, des sacs de récupération posés sur un sol de gravillons poudreux. L’eau de pluie est récupérée pour l’arrosage. Il y a un restaurant bio, un bar, un lieu de documentation. Dans la capitale allemande, jardiner pour son plaisir ou pour se nourrir semble être une seconde nature des habitants. Comme le confirme Elke, cette Allemande férue du manger sain, « nos parents, dans les années vingt et trente, se rendaient déjà chaque dimanche dans leur Schrebergarten (2), pour y cultiver fruits et légumes, mais aussi pour y recevoir leurs amis ». Un autre fait a sans doute poussé durablement les Berlinois au jardin, c’est le blocus de 1948 imposé par les Soviétiques. « Les Berlinois faisaient pousser tout ce qu’ils pouvaient dans les cours de leurs immeubles », raconte encore Elke.

Marco Clausen, un des créateurs du Prinzessinnengarten: «Cet endroit est fait pour l’apprentissage, pour savoir comment garder de la biodiversité dans la ville». Photo: RFI/Marc Verney

Un jardinage tout-terrain désormais dans les « gènes » de la ville et de ses habitants Multikulti (3), raconte Marco Clausen, sympathique barbu au faux air de marin, un des créateurs du Prinzessingarten, qui essaime ses plantes depuis l’été 2009 sur un espace reconquis face aux appétits des promoteurs immobiliers. Sa philosophie, pour ce lieu désormais loué à la municipalité, mais toujours en sursis, est simple : « Mobilité et pédagogie ». « Après les combats pour imposer ce jardin, nous avons désormais une certaine renommée ; trente personnes vivent de ce terrain en été, mais nos discussions portent désormais sur la manière dont nous devons pérenniser notre action, lance Marco Clausen. Autour de ce lieu, nous devons nous poser la question de la cité de demain et de qui doit la construire »… C’est donc la problématique de la gestion de l’espace urbain qui s’impose à nous, insiste-t-il : « Cet endroit est fait pour l’apprentissage, comment garder de la biodiversité dans la ville, quels sont les moyens de nourrir la planète tout en la respectant… »

Et, pour Marco Clausen, le jardin urbain n’est pas la seule solution. Il est nécessaire de garder chacun dans son rôle. « Ce que j’ai compris avec ce lieu, assène-t-il, c’est qu’il est dangereux de faire croire que l’on peut produire toute la nourriture des villes dans les étages de gratte-ciel futuristes. Il est crucial de se tourner vers les campagnes environnantes et d’y réformer le mode de production. Car le plus grand problème auquel nous devons maintenant faire face, c’est la détérioration des sols ». « Les solutions, continue-t-il, sont à trouver à l’échelle locale mais aussi à l’échelle globale. Partout en Europe, on trouve des mouvements qui vont dans cette direction et qui donnent au consommateur un rôle plus actif ». Pour lui, la politique agricole de l’Union européenne n’est pas forcément la source de tous les ennuis. Il y aurait plutôt un combat idéologique pour freiner voire bloquer la croissance sans limites d’entreprises peu scrupuleuses : « Ici, au Prinzessinengarten, ce que nous voulons, c’est transformer les consommateurs en acteurs de la société. Tout le monde n’est pas fait pour être agriculteur, mais les citadins, en visitant ce genre d’endroit, prennent conscience des réalités », conclut-il.

Susanne Seitter, responsable locale de Ackerhelden: «On sent une demande monter de la part d’urbains qui souhaitent maîtriser la qualité de leur nourriture». Photo: RFI/Marc Verney

Les réalités du travail au jardin, c’est un peu ce que l’on retrouve au fin fond de la banlieue berlinoise, dans les champs entourant le petit village – encore très campagnard – de Teltow, situé au terminus de la ligne de S Bahn (le train régional en Allemagne) arrivant directement de la Potsdamer Platz, nouveau cœur de Berlin depuis la réunification. Ce vendredi après-midi, sous un ciel gris, au bout d’un chemin un peu boueux, dans une longue parcelle soigneusement piquetée et balisée, cinq à six personnes courbent le dos pour gratter la terre sombre et riche afin d’y planter des salades en rangées parfaitement alignées. Ici, la société Ackerhelden (littéralement « les héros des champs »), loue, d’avril à novembre, pour près de 300 euros par an une surface de 40 m2 de terres agricoles certifiées bio à des particuliers désireux de s’adonner aux joies du maraîchage. Tout est compris dans le prix, semences, matériel agricole, et même la newsletter mensuelle qui fournit aux adhérents des conseils techniques mais aussi des recettes de cuisine pour accommoder les légumes de saison.

Susanne Seitter, la responsable locale de la société, estime à 160 personnes le nombre d’adhérents berlinois à Ackerhelden en 2017. « L’avantage, explique-t-elle, c’est qu’on est libre d’entrer et de sortir du système au bout d’une saison, à la différence des Schrebergarten, où l’investissement doit se faire sur le long terme ». Le modèle commercial est clairement affiché : la société loue elle-même les terrains auprès d’un cultivateur qui les prépare ; dix-sept champs en Allemagne et un à Vienne (Autriche) sont ainsi mis à disposition des particuliers. L’initiative est née en 2012 dans la Ruhr. Deux amis, Tobias Paulert et Birger Brock, qui s’étaient déjà pris de passion par le jardinage à l’école, reprennent à leur compte une idée née en Autriche dans les années 1980 en y rajoutant le conseil et la mise à disposition des semences. Susanne Seitter, qui estime encore avoir besoin d’une marge de progression financière pour équilibrer l’activité, est confiante : « Nous ne pouvons pour le moment répondre à toutes les demandes. Le site de Berlin est l’un de nos plus important après Hambourg, Düsseldorf… Du coup, nous sommes obligés de limiter les accès. On sent une demande monter de la part d’urbains qui souhaitent maîtriser la qualité de leur nourriture ».

« Ici, continue Susanne Seitter, nous garantissons le caractère bio des semences et du terrain, car nous sommes dans un secteur protégé. Ce qui n’est pas le cas dans les jardins classiques tels que les Schrebergarten, qui, en outre, ont un règlement intérieur beaucoup plus strict que chez nous en matière d’esthétique notamment ». Dans les métropoles, les difficultés pour trouver de bons terrains sont souvent liées, souligne la responsable, « à la proximité des moyens d’accès pratiques, tels que le train ». En définitive, pour Susanne Seitter, « cet engouement pour le jardinage n’est peut-être pas qu’une mode. Ce qu’ont fait nos parents, nos ancêtres, doit être reconnu à sa juste valeur. Là où a été lancé Ackerhelden à Essen, dans la Ruhr, il y avait des mines. Chaque mineur disposait d’un espace potager. Ces gens connaissaient le vrai coût et le vrai goût des aliments. Autant de choses que nous avons perdues ». Un jeune papa qui porte son enfant en bas âge s’approche. Lui vient de Potsdam, une localité au sud-ouest de Berlin. Ses mains sont encore grasses de la terre qu’il vient de retourner, ses yeux pétillent : « Ici, c’est du plaisir, du pur plaisir. J’éprouve des sensations inoubliables à manger des légumes que je produis. »

Christian Echternacht, porte-parole et l’un des fondateurs de la société ECF, a «le goût de la bonne nourriture, fraîche, produite en circuit court et à la qualité reconnue». Photo: RFI/Marc Verney

Retour dans une banlieue proche de Berlin, non loin de l’aéroport désaffecté de Tempelhof. Le décor est celui d’une impressionnante malterie (4) de briques rouges posée au beau milieu d’un ancien décor de friches industrielles. Il y a là des ateliers d’artistes, des bureaux, un restaurant, un bar, un lieu de concert… et, dans un mélange très contemporain, des entreprises innovantes comme la société ECF (Efficient City Farming), qui nous propulse d’un coup dans le monde très select des jeunes pousses hi-tech. Ici, le concept de ferme-urbaine est né d’une rencontre : « Il y a quatre ans, nous dit Christian Echternacht, porte-parole et l’un des fondateurs de la société, j’ai rencontré Nicolas Leschke. Nous avions en commun le goût de la bonne nourriture. Ce qui veut dire pour nous fraîche, produite en circuit court et à la qualité reconnue ».

L’idée de base : combiner sans aucun pesticide ni adjuvant chimique, deux cycles naturels, l’un, animal et l’autre, végétal. Le tout en respectant l’environnement : plus d’émissions de CO2 liées à l’agriculture conventionnelle, plus de gaspillage d’eau douce, plus de surpêche, car l’élément animal élevé en grand nombre dans cette ferme aquaponique, c’est un poisson, le plus souvent du sandre ou de la perche, dont les excréments, transformés, issus de l’eau des viviers dans lesquels ils évoluent, vont fertiliser 2 000 m2 de serres où se trouvent des milliers de pots de basilic. La vapeur d’eau générée par les plantes est ensuite réutilisée pour revenir dans les bassins des poissons. Un seul bémol à ce cycle presque parfait : on ne peut y produire des légumes racines, comme les carottes, « mais des tomates ça marche », explique encore notre hôte.

« Nous n’avons pas de label bio, continue Christian Echternacht, mais il est amusant de constater que dans les supérettes Rewe, où nous vendons notre production actuelle de basilic ; même plus cher de 50 centimes, celui-ci est mieux vendu que la même plante bio à 1,50 euro… ». Pour ECF, qui produit les 8 000 pots de basilic hebdomadaires commandés par Rewe, il y a plusieurs avantages à produire en ville : non seulement les citadins voient réellement les choses se faire, mais, déclare le cofondateur de la société, « nous économisons toutes les pollutions liées au transport, dont six tonnes de plastiques nécessaires à un packaging qui aurait été nécessaire sur de plus longues distances de livraison ». « Au début de 2016, nous indique encore Christian Echternacht, nous avons procédé à la mise en place d’une ferme-urbaine de même type en Suisse à Bad Ragaz, mais cette fois sur le toit d’un immeuble. Notre développement se porte aussi vers Bruxelles, dans un lieu appelé l’Abattoir. La France nous intéresse aussi ». Il ne s’agit pas pour autant de remplacer l’agriculture classique. Pour les responsables d’ECF, les fermiers installés dans les campagnes restent la clé de voûte du système. Les fermes urbaines développées par la société pouvant se positionner sur des « marchés de niches », conclut-il.

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Source : RFI Les Voix du Monde

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