Aucun pays au monde ne sait quoi faire de ses déchets radioactifs, constate Greenpeace

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Par Émilie Massemin du média environnemental français Reporterre

L’industrie électronucléaire génère des milliards de tonnes de déchets plus ou moins radioactifs, s’alarme l’ONG dans un rapport. Les pays nucléarisés misent sur l’enfouissement des déchets les plus dangereux. Mais aucun projet n’a encore abouti.

« Il n’y a pas un pays où la gestion des déchets radioactifs fonctionne. Chacun s’interroge sur comment les traiter. Avec, en France, le cas particulier du retraitement des combustibles nucléaires usés. » Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire de Greenpeace France, résume ainsi le rapport « La crise mondiale des déchets radioactifs », publié mercredi 30 janvier par l’organisation. En une centaine de pages, six experts indépendants sur le nucléaire — Robert Alvarez (États-Unis), Hideyuki Ban (Tokyo), Miles Goldstick (Suède), Pete Roche (Écosse), Bernard Laponche et Bertrand Thuillier (France) — dressent l’inventaire mondial des déchets radioactifs et passent en revue les stratégies de gestion de sept pays : la Belgique, la France, le Japon, la Suède, la Finlande, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Des déchets radioactifs qui s’accumulent de la mine au réacteur

L’industrie électronucléaire produit des déchets à chaque étape du processus, insistent les auteurs du rapport. La première, l’extraction de l’uranium, laisse derrière elle des terrils de déchets qui « menacent les populations locales en raison du dégagement de gaz radon et des eaux d’infiltration qui contiennent des déchets radioactifs et toxiques ». La seconde, le traitement de l’uranium, avait engendré en 2011 2,3 milliards de tonnes de boues radioactives très fines. Enfin, son enrichissement a laissé sur les bras des producteurs 1,7 million de tonnes d’uranium appauvri.

  • Voir la vidéo de Reporterre expliquant la production des déchets nucléaires :

Mais le rapport s’intéresse particulièrement aux 250.000 tonnes de combustible nucléaire usé, hautement radioactif, réparties dans quatorze pays. Chaque année, 12.000 tonnes de combustibles usés supplémentaires, issues des réacteurs en fonctionnement, s’ajoutent à ce stock. Enfin, dans les prochaines décennies, le démantèlement des quelque 450 réacteurs nucléaires actuellement en fonctionnement dans le monde engendrera des millions de mètres cubes de déchets de moyenne, faible ou même très faible activité radioactive.

• Pas de solution satisfaisante de gestion à long terme

« L’utilisation de l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité au cours des soixante dernières années a créé une situation de crise pour les déchets nucléaires, pour lesquels il n’existe aucune solution à l’horizon, mais qui nécessiteront une gestion et un entreposage sûrs, puis un stockage définitif pendant des centaines de milliers d’années », lit-on dans le rapport. Dans les pays étudiés, la piste du « stockage géologique » — comprenez l’enfouissement définitif à grande profondeur — est privilégiée pour les déchets les plus radioactifs, donc les plus dangereux. C’est le cas en France, où l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) a ouvert un laboratoire à Bure (Meuse), à l’emplacement où elle souhaite construire le centre d’enfouissement Cigéo. Un projet vertement critiqué dans le rapport, en raison de risques d’explosion, d’incendie, d’infiltrations d’eau et d’irréversibilité du stockage.

Las, « nulle part dans le monde, un stockage souterrain viable, sûr et durable à long terme n’a été mis en place », soulignent les auteurs.

  • La Belgique envisage un enfouissement dans la région de Mol, dans le nord-est du pays. Mais le rapport signale des « risques inhérents et multiples » au projet : profondeur trop faible, ventilation à côté de zones habitées, etc.
  • Au Japon, un centre de recherche sur le stockage des déchets radioactifs a été installé à Horonobe, sur l’île d’Hokkaido. Mais la zone est hautement instable et regorge de fissures souterraines. « Aucun site approprié sans risque sismique n’a été identifié » et « 21 gouverneurs de préfecture sur 46 » ont déjà refusé d’accueillir des recherches sur l’enfouissement, lit-on dans le rapport.
  • En Suède et en Finlande, les projets sont un peu plus avancés, sans avoir encore abouti. En 2018, l’Autorité suédoise de sûreté radiologique a approuvé le projet d’enfouissement en couche granitique prévu à Forsmark, sur la côte nord de la Baltique, à condition de trouver une solution au risque de corrosion du cuivre des conteneurs. En Finlande, l’installation en construction à Onkalo n’est pas non plus achevée.

Le site d’enfouissement d’Onkalo se situe sur une presqu’île.

  • Concernant le Royaume-Uni, le rapport évoque la « sixième tentative du gouvernement britannique en quarante-deux ans pour trouver une collectivité disposée à accueillir un site d’enfouissement des déchets radioactifs ». Le comté qui abrite le complexe nucléaire de Sellafield a dénoncé un projet « fondamentalement vicié ». Sans solution, le Royaume-Uni s’est tout de même lancé dans la construction de nouveaux réacteurs EPR à Hinkley Point.
  • Enfin, les États-Unis, qui abritent 30 % du stock mondial de combustibles nucléaires usés, ont dû renoncer à leur projet d’installation souterraine à Yucca Mountain, « annulée par l’administration Obama en 2010 en raison du problème de l’acceptation scientifique et publique du projet ».

Avant même leur mise en service, ces projets s’annoncent extrêmement coûteux. En France, fin 2013, la Cour des comptes estimait le coût de la gestion à long terme des déchets radioactifs à 32 milliards d’euros, auxquels s’ajoutaient les 16 milliards d’euros annoncés par EDF pour la gestion des combustibles nucléaires usés. Le coût de Cigéo, lui, a été fixé par décret à 25 milliards d’euros alors qu’il avait été évalué à 35 milliards d’euros par l’Andra. Dans les autres pays, les évaluations des coûts de gestion s’échelonnent de 8 à 10 milliards d’euros pour la Belgique à 100 milliards d’euros pour les États-Unis, selon les chiffres avancés dans le rapport.

• Le stockage en subsurface, la solution ?

L’ONG dénonce ces projets d’enfouissement comme périlleux et coûteux, et plaide pour le stockage à sec en subsurface. « Par exemple, dans des hangars creusés dans des collines, développe Bernard Laponche. Évidemment, ces lieux devraient être surveillés, mais c’est aussi le cas des centres de stockage déjà existants : celui de Soulaines, qui devra encore être surveillé 300 ans, et celui de La Manche, qu’il faudrait surveiller encore 800 ans pour pallier le risque de contamination. En outre, cette surveillance devra être couplée à des travaux de recherche sur la réduction de la nocivité et sur la durée de vie des déchets radioactifs. »

Ce choix à faire devrait être au menu du débat public sur la gestion des déchets radioactifs, qui devrait débuter en avril 2019, après plusieurs reports. Avec ce rapport, Greenpeace témoigne de sa volonté d’apporter son point de vue sur la question.


EN FRANCE, L’IMPASSE DU RETRAITEMENT

L’une des piscines d’entreposage de l’usine de retraitement des déchets radioactifs de La Hague, dans La Manche.

« La France est le seul pays qui pratique encore le retraitement des combustibles nucléaires usés », rappelle Bernard Laponche. Ce processus, dénoncé comme polluant, inutile et coûteux par l’ONG, est mis en œuvre à l’usine Orano de La Hague. Du combustible nucléaire usé, entreposé en piscines, sont extraites deux matières radioactives : de l’uranium issu du retraitement (URT) et du plutonium. L’URT n’est pas réutilisé et est entreposé à Pierrelatte ; le plutonium est mélangé à de l’uranium appauvri pour produire un nouveau combustible, appelé Mox. La majorité des autres pays nucléarisés, eux, classifient les combustibles usés comme déchets et les entreposent tels quels.

Problème, le retraitement produit une ribambelle de déchets différents. Les plus connus sont les produits de fission, les actinides mineurs et les déchets métalliques, entreposés à La Hague dans des colis. Mais ils ne sont pas les seuls. « Pour une tonne de combustible nucléaire usé, ce sont 65 tonnes de déchets radioactifs qui sont crééesexplique Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace. Les filtres, les huiles, l’acide qui sert à la dissolution… Au lieu de maintenir toutes les substances radioactives dans le combustible usé, on les cisaille. »

La filière de retraitement a pourtant de beaux jours devant elle : dans sa dernière mouture, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) annonçait son maintien jusqu’en 2040, ainsi que des travaux pour rendre possible l’utilisation de combustible Mox dans certains réacteurs nucléaires récents.

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