La biodiversité de l’Amazonie une fois de plus menacée par le nouveau président brésilien

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Par Marie-Claude Leheutre, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement. Cette communication scientifique est présentée par l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM (ISE)

Sans changement de cap, il est estimé que 5 à 9 % des plantes amazoniennes seront menacées ou possiblement éteintes d’ici 2050. Photo : Pixabay

L’Amazonie comprend la plus grande forêt tropicale continue dans le monde, représentant plus de 40 % des forêts tropicales en termes de superficie[1]. Elle constitue un point chaud de biodiversité, c’est-à-dire qu’on y trouve une très grande variété d’animaux et de plantes au même endroit[2]. Or, cette richesse se trouve menacée par le nouveau gouvernement en place, qui veut relancer l’économie du pays en exploitant les multiples ressources de l’Amazonie. Celle-ci étant déjà fortement affectée par l’exploitation massive, elle pourrait ne pas survivre aux actions du nouveau dirigeant.  

Les richesses de l’Amazonie

Il est estimé que cette forêt abrite plus de 2,5 millions d’espèces d’insectes, 40 000 espèces floristiques, 1 300 espèces d’oiseaux, 3 000 espèces de poissons, 450 espèces de mammifères, 400 espèces de reptiles et bien d’autres à découvrir[3]. La forêt amazonienne n’abrite pas seulement des animaux et des plantes, mais elle soutient également les populations humaines vivant à proximité. Elle fournit en effet plusieurs services écosystémiques et économiques. Par exemple, elle joue un rôle important dans le cycle du carbone en stockant le carbone organique dans la biomasse et le sol, empêchant ainsi les gaz à effet de serre de se retrouver dans l’atmosphère. Elle permet également la régulation des conditions climatiques dans le bassin de l’Amazone et plus largement en Amérique du Sud. Par ailleurs, elle peut avoir une incidence sur le contrôle de la propagation des maladies en régulant les populations d’organismes pathogènes, les animaux servant d’hôtes ainsi que les organismes servant de vecteurs de maladie[4]. De plus, elle fournit des ressources alimentaires, hydriques et médicinales pour les nombreuses populations locales et les peuples autochtones qui y vivent[5]. Toutes ces fonctions et bien d’autres font de la forêt amazonienne un écosystème indispensable à l’équilibre de la biosphère.

Destruction de l’Amazonie

En raison de l’énorme bassin de ressources naturelles qu’elle représente, la forêt amazonienne est un territoire extrêmement convoité par une foule d’intérêts commerciaux et mercantiles, cette emprise sur la région ne datant pas d’hier. L’empiétement des activités humaines sur la forêt amazonienne a effectivement débuté dans les années 60, alors que le gouvernement brésilien mettait en place des programmes et des politiques pour inciter les paysans à coloniser la forêt. Au fil des années, le Brésil est devenu un important producteur de viande, comptant plus de 200 millions de têtes de bétail en 2007[6]. Cette vaste expansion des terres d’élevage s’est majoritairement produite en Amazonie, où le secteur de l’agriculture est fortement responsable de la déforestation[7]. Par ailleurs, en 2013, le Brésil devenait le principal producteur de soja au monde, majoritairement transgénique, avec plus de 80 millions de tonnes dédié à l’exportation vers l’Europe. Au fil des ans, ces activités ont mené à la destruction de près de 20 % de la forêt amazonienne au Brésil[8].

Les conséquences de nos actes

Il est évident que ces activités ont bouleversé l’équilibre de l’écosystème de la forêt amazonienne. En effet, la fragmentation forestière résultant de l’expansion agricole et bovine affecte la stabilité des populations animales et végétales. Celles-ci ont effectivement vu leur nombre chuter drastiquement à la suite de la perturbation de leur habitat[9]. Des études ont démontré que la déforestation des 30 dernières années aurait grandement affecté des dizaines d’espèces d’amphibiens, de mammifères et d’oiseaux amazoniens[10]. Sans changement de cap, il est estimé que 5 à 9 % des plantes amazoniennes seront menacées ou possiblement éteintes d’ici 2050[11]. En outre, la réduction de la biodiversité dans la forêt amazonienne peut avoir de graves conséquences telles que la propagation d’espèces exotiques envahissantes et/ou d’espèces vectrices de maladies. Les espaces plus ouverts créés dans la forêt par les activités anthropiques peuvent entraîner une augmentation des contacts entre les populations humaines et les animaux vecteurs de maladies ou les pathogènes[12]. Par exemple, la fragmentation peut avoir des effets positifs sur la survie et la dispersion des diverses populations de moustiques vecteurs de la malaria, augmentant ainsi les risques de transmission de cette maladie[13].

L’avenir de l’Amazonie et de ses habitants

L’année 2018 a été particulièrement mouvementée au Brésil avec l’élection d’un nouveau président d’extrême droite, Jair Bolsonaro. Cet ancien militaire actif sur le plan politique depuis 1991[14] a souvent été comparé par la presse au président des États-Unis, Donald Trump. En effet, ces deux présidents semblent partager la même priorité de placer l’économie du pays avant la protection de l’environnement ou les droits humains[15]. Le nouveau président du Brésil ne voit pas la protection de l’environnement comme une priorité. Il a affirmé durant sa campagne que la forêt amazonienne n’était pas suffisamment exploitée et qu’il voulait relancer l’économie du pays en exploitant davantage ses ressources[16]. Ceci ne semble pas surprenant quand on sait qu’il a été supporté par des lobbyistes de l’agrobusiness tout au long de sa campagne[17]. Il a également déclaré que les territoires protégés accordés aux peuples indigènes étaient beaucoup trop grands, et qu’il avait le projet d’en réduire la superficie à la faveur de l’expansion l’agricole et de l’exploitation minière[18].

Dès son arrivée à la tête du Brésil, Jair Bolsonaro a d’ailleurs entamé plusieurs actions aux conséquences environnementales désastreuses. Il a d’abord affirmé sa volonté de couper de moitié le nombre de ministères de son gouvernement[19], en commençant par la fusion des ministères de l’environnement et de l’agriculture. Cependant, il a dû modifier son discours en raison du fort désaccord que cette annonce a engendré auprès des groupes écologistes, mais également des lobbyistes de l’agroalimentaire[20]. Il a aussi refusé d’accueillir la COP 25 (Conférence sur les changements climatiques), qui devait avoir lieu en novembre 2019 au Brésil, en raison de supposées restrictions financières[21]. Lors de sa campagne, il avait également déclaré qu’il voulait retirer le Brésil de l’Accord de Paris sur le climat[22], mais il s’est ravisé une fois en poste et a décidé de maintenir le pays dans cet accord, sous certaines conditions. Il faut savoir que Jair Bolsonaro ne veut pas que le projet Triple A, qui consiste en la création d’un corridor écologique reliant les Andes et l’océan Atlantique en passant par l’Amazonie, soit implanté au Brésil, et qu’il est réfractaire à l’indépendance des terres indigènes[23]. En effet, il voit ce projet comme une perte de territoire qui ne serait plus sous la juridiction du pays[24]. Le corridor inclurait des parcs naturels, des réserves indiennes ainsi que des aires de protection pour la biodiversité.

L’Amazonie est une région riche qui est indispensable à la vie en Amérique du Sud, toutes espèces confondues. Il est vital de la conserver pour ses innombrables richesses. À la suite de l’élection du président Bolsonaro, l’avenir de la forêt amazonienne dans les prochaines années devient encore plus préoccupant. De nombreux groupes environnementaux et les populations locales manifestent déjà leur mécontentement face aux nouvelles actions entreprises par le nouveau dirigeant. Il risque d’affecter la stabilité de cet écosystème en l’exploitant davantage. Celui-ci dépend de la capacité des environnementalistes et du peuple brésilien à convaincre Jair Bolsonaro de modifier ces politiques destructrices pour l’Amazonie, en faveur de sa protection.

[1] Rangel, 2012
[2] Foley et al, 2007
[3] Piantanida, 2013; Fearnside, 1999
[4] Foley et al, 2007
[5] Chaplin et al, 2000
[6] Bowman et al, 2012
[7] Bowman et al, 2012
[8] Piantanida, 2013
[9] Ferraz et al, 2003
[10] Rangel, 2012
[11] Feeley et Silman, 2009
[12] Pongspiri et al, 2009; Chaplin, 2000
[13] Pongspiri et al, 2009
[14] AFP, 2018a
[15] AFP, 2018a
[16] Shields, 2019
[17] Shields, 2019
[18] Shields, 2019
[19] Escobar, 2019
[20] AFP, 2018b
[21] AFP, 2018c
[22] Escobar, 2019
[23]Logiuratto, 2018
[24] Logiuratto, 2018

Bibliographie 

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