De racines, de sèves et de champignons : la redécouverte d’un garde-manger forestier

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Olivia Roy-Malo, Doctorat en anthropologie, Faculté des sciences sociales. Cette communication scientifique est une présentation de l’Institut EDS, et a été publiée cet hiver dans le Journal l’intErDiSciplinaire.

Shiitake séché. Photo : Wikimedia Commons

Shiitakes, pleurotes, thé du labrador, groseilles… tant de produits que nous retrouvons de plus en plus dans nos épiceries et marchés publics. La popularité des produits forestiers non ligneux attise la curiosité de plusieurs. Quel portrait dresser de ce secteur en pleine ébullition?

La cueillette de plantes forestières et de bord de mer, de petits fruits et autres espèces sauvages est une pratique dont l’histoire et la tradition s’avèrent bien longues au Québec. Les Autochtones en ont été les pionniers. Longtemps, les plantes sauvages se sont retrouvées au cœur de l’alimentation et des connaissances médicinales de base. Ceci dit, différents phénomènes socio-économiques et politiques ont contribué à la marginalisation de ces savoirs. Nous pouvons penser à l’essor de l’économie industrielle, à la dégradation des écosystèmes, à la privatisation du territoire, mais surtout à la concession de larges portions de forêt publique à des compagnies forestières au 19e siècle interdisant pendant plus d’un siècle l’accès à la population québécoise à ces vastes territoires. Il faudra attendre les années 1980 pour que ce qui est catégorisé comme les produits forestiers non ligneux (PFNL) – ce qui n’a pas trait à la « matière du bois » – soit « redécouvert » par un public de cueilleurs amateurs de plus en plus nombreux, une tendance qui se consolidera dans les années 1990 et 2000.

Aujourd’hui, ce secteur semble en pleine ébullition(1),(2),(3). Une succession d’entreprises voient le jour. Dans le cadre d’une recherche menée au Bas-Saint-Laurent sur les initiatives qui visent une valorisation et une conservation de l’environnement(4), nous sommes allées à la rencontre des acteurs qui animent ce secteur. Souvent de petites tailles, ces entreprises sont fondées par des personnes qui cherchent d’abord à vivre de leurs connaissances du territoire et de leur pratique inspirée d’un terroir à redécouvrir et à se réapproprier. Cueilleurs qui se promènent de talles en talles ou cultivateurs sédentaires, ils réactualisent l’idée d’une forêt nourricière, fort différente du paradigme d’une forêt exploitée « pour ses 2X4 ». Quelles sont les particularités de cette « nouvelle » économie forestière? Quels enjeux et tendances se dessinent? Qui sont ces personnes au cœur de ces initiatives?

Redécouverte d’une forêt nourricière : cueilleurs paysans et fermiers-forestiers
Depuis nos observations et entrevues, nous avons distingué deux profils principaux chez ceux qui animent le monde des PFNL au Bas-Saint-Laurent: les cueilleurs paysans et les fermiers-forestiers(2). Les premiers mobilisent, année après année, les mêmes lieux de cueillette et viennent à en développer une connaissance très pointue tout en s’assurant de la pérennité de leurs talles. Certes, la majorité de ces cueilleurs occupent le territoire public, mais leurs lieux de cueillette résultent plutôt de partenariats et d’ententes prises avec des propriétaires forestiers privés qui acceptent de donner accès à leur forêt.

Les fermiers-forestiers se concentrent, quant à eux, à créer de véritables écosystèmes et cultiver des terres qu’ils ont acquises à bas prix, celles-ci étant souvent considérées comme dévalorisées parce que laissées en friches. Ces cueilleurs sédentaires misent sur des cultures rustiques et ancestrales, adaptées aux rigueurs climatiques, favorisant ainsi la valorisation d’espèces et de variétés qui avaient été écartées ou oubliées au fil des décennies telles que le pimbina, l’amélanche et le sureau. Cherchant des terres qui puissent offrir une diversité de possibilités, le premier défi est souvent de réussir à dénicher un tel lieu. À cette complication s’ajoute celle du financement. Malgré qu’il soit possible et réaliste de dégager une somme très profitable sur de petites surfaces (de deux à dix acres), les investisseurs demeurent très frileux face à ce domaine encore considéré comme marginal. Les installations de base, entre autres pour la transformation agroalimentaire, occasionnent des coûts importants – des sommes dont les cueilleurs, mobiles comme sédentaires, ne disposent généralement pas, ce qui met en péril certains de leurs projets.

Le souci de protection et de conservation des ressources se loge au cœur de leurs pratiques. Ces personnes souhaitent se créer un métier ancré dans leur région, dans le territoire, et pour ce, font de la pérennité des ressources leur principe premier. Par leur pratique, ils souhaitent également contribuer à la démocratisation de ces produits : qu’ils puissent être accessibles et consommés par les gens de la région. Plusieurs mettent également de l’avant un mode de vie axé sur la décroissance. Entre autres, ces personnes rencontrées n’ont pas nécessairement l’ambition de générer des profits mirobolants pour leur entreprise : pouvoir rémunérer convenablement leurs employés, offrir des emplois aux gens de la région et vivre décemment avec le revenu des cueillettes demeure l’objectif final pour une grande majorité. Or, la popularité florissante de ces cueillettes attire d’autres acteurs avec des visées économiques plus ambitieuses. Effectivement, les PFNL suscitent de plus en plus l’intérêt d’entreprises forestières qui y voient une nouvelle manne d’exploitation(5).

Une économie « souterraine » en structuration
Le nombre d’entreprises qui contracteraient des cueilleurs en territoire public aurait explosé. En dix ans, elles seraient passées de 5 à 50 et aujourd’hui, on retrouverait quelque 3 000 cueilleurs(1). Cette croissance, comme le note Sabrina Doyon(2), n’est pas étrangère à la demande d’un marché globalisé pour une consommation mondialisée tant en bioalimentaire, qu’en cosmétique ou pharmaceutique. Toutefois, il est bien difficile de présenter des statistiques précises puisque ce domaine demeure très peu réglementé par l’État. L’absence d’encadrement a d’inquiétant le fait que l’étendue des territoires publics laisse entrevoir une abondance faussement inépuisable et facilement gérable des PFNL. Comment se maintiendra la ressource dans l’avenir? Devrait-il y avoir des mesures de protection sur les espèces prélevées? Plusieurs des acteurs rencontrés dans la région du Bas-Saint-Laurent s’interrogent sur la pertinence d’encadrer l’accès aux territoires par la création de permis de cueillette. Certaines entreprises du secteur des PFNL pressent le gouvernement en ce sens alors que d’autres s’inquiètent de cette avenue. Qui pourra se procurer ces permis? Seront-ils accessibles pour les petites entreprises? Peut-on s’attendre à l’arrivée d’investisseurs dotés d’importants capitaux? Comment les pratiques des cueilleurs-paysans et fermiers-forestiers s’en retrouveraient-elles chamboulées?

Nous assistons d’un côté à la redécouverte d’espèces sauvages soutenue par des acteurs sensibles aux contraintes reliées aux ressources et, d’un autre côté, à une nouvelle économie forestière qui, dans les pas de l’industrie acéricole, trouve une alternative à l’exploitation de la matière ligneuse. Il sera intéressant d’observer les évolutions du secteur des PFNL dans un avenir rapproché puisque celui-ci semble en pleine transformation.


Références :

(1) Brodeur, C., St-Arnaud, R-M., et Gilbert, D., 2012. Planification stratégique du secteur des PFNL Saguenay-Lac-St-Jean, Rapport préparé à l’attention du Comité sectoriel PFNL du Créneau d’excellence Agriculture Nordique, Québec.
(2) Doyon, S. et Roy-Malo, O., [sous presse]. Produits forestiers non ligneux, cueilleurs paysans et « fermiers–forestiers » : cueillir et habiter la région autrement. Dans : S. Doyon (dir.), D’espoir et d’environnement? Nouvelles ruralités, activités alternatives et mise en valeur de la nature au Bas-St-Laurent, Québec : Presses de l’Université Laval.
(3) Gélinas, N., Bernard, A., Marcotte, P. et al., 2016. « Mycotourisme : pratique touristique pour un développement socio-économique et durable en régions forestières », Les cahiers de l’Institut EDS, Avril 2016.
(4) Patrimonialisation de la nature, conservation et valorisation environnementale. Le cas des espaces côtiers du Québec et de la Catalogne, Sabrina Doyon (chercheuse principale), financée par le CRSH (2013-2020)
(5) Les industries acéricoles et de bleuetières représentent bien le potentiel de ressources forestières autres que la matière ligneuse.

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