Quand j'étais petite, je pouvais me baigner

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Par Johanne Dion
Co-fondatrice du Comité richelois pour une meilleure qualité de vie



Quand j’étais petite, je pouvais me baigner. Alors, comme maintenant, j’habitais sur le bord de la rivière Richelieu. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui aimaient la campagne et ne craignaient pas de voyager soir et matin pour aller travailler : le plaisir d’arriver à la maison et d’aller se saucer dans la rivière avant de souper en valait la peine. J’ai décidé d’en faire de même et j’habite à trois maisons d’où j’ai grandi, dans la municipalité de Richelieu.
 
À cette époque, dans les années 1950 et 1960 l’eau était limpide, les poissons fringants, les cailloux miroitants. Pendant les canicules, je descendais à la rivière jusqu’à 8 fois par jour pour une saucette. La seule règle, c’était la baignade interdite les deux heures après le repas. Une autre consigne, c’était défendu de crier, à moins d’une urgence : ma survie pourrait en dépendre.
 
Quel plaisir de nager contre le courant et faire du surplace! Je m’amusais à plonger au fond pour cueillir les plus beaux cailloux. Il y avait toujours des bancs de petits poissons qui nous passaient entre les jambes. 
 
Quand j’étais petite, j’étais libre d’explorer les bas fonds, les rivages herbeux, les sous-bois, les talus fleuris. Et ce pendant des heures, jusqu’à ce que l’estomac me ramène à la table familiale.

Maintenant que je suis grande, la baignade dans la rivière est interdite. J’ai toujours déploré ce règlement municipal : ça suggère qu’on a abandonné l’espoir de pouvoir se baigner dans la rivière un jour, malgré les efforts d’assainissement des années 1990. 
 
Maintenant que je suis grande, l’eau de la Richelieu regorge de coliformes : les usines de traitements municipaux et les industries ont amélioré la qualité de l’eau, mais il y a encore beaucoup de progrès à faire dans les pratiques agricoles, l’application de la Politique de protection des rives et du littoral et le suivi des fosses sceptiques non-conformes.
 
Maintenant que je suis grande, les arbres sur les rives sont émondés tous les ans, à cause des revendications des citoyens à l’Hôtel de ville. Les gens qui ont payé des gros sous pour une maison sur le bord de l’eau veulent être capables de voir la rivière de leur salon! 
 
Maintenant que je suis grande, il y a des règlements municipaux qui obligent les propriétaires de terrains vagues de faucher leur champ au moins deux fois l’an. Ne respectant plus les cycles de vie des fleurs sauvages, les talus le long de la rivière sont fauchés souvent au moment où les fleurs sauvages sont à leur apogée! Et la régénération naturelle, les nouveaux petits arbres n’ont jamais leur chance de jeter de l’ombre et se font couper sans pitié.
 
Maintenant, la rivière voit son manteau protecteur, ses rives filtrantes, taillé sur mesure aux besoins des humains sans scrupules. 
 

Non, je n’ai pas de piscine : je n’aime pas me baigner dans un bocal chloré. J’ai trop aimé l’eau vive, les cailloux multicolores et les poissons sautillants…

 
Quand j’étais petite, je pouvais me baigner…


Par Johanne Dion

Native de la ville de Richelieu, Johanne Dion milite activement pour l’assainissement de la rivière Richelieu depuis 1985. Ses nombreux écrits et lettres d’opinions sur les questions environnementales ont été publiés dans divers journaux et revues. Son rêve est celui de pouvoir se baigner dans la rivière devant chez elle comme elle le faisait dans son enfance, sans craindre les effets de la pollution. C’est dans cette optique qu’elle a co-fondé en 2005 le Comité Richelois pour une Meilleure Qualité de Vie (CRMQV). Johanne Dion est aussi bénévole pour le groupe Conservation de la Nature, où elle milite pour  la protection des frayères du chevalier cuivré. Elle a aussi participé à des travaux de restauration des berges de la rivière Richelieu avec Conservation de la Nature et Covabar à l’été 2006. 
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