Production d’éthanol par maïs-grain : Sommes-nous en train de rater la cible?

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Le 20 juin dernier, la première usine d’éthanol du Québec était inaugurée à Varennes. Présentée par le gouvernement du Canada comme une véritable réussite pour le secteur des carburants renouvelables, pour l’environnement et pour les producteurs, l’ouverture de cette usine soulève néanmoins certaines questions. GaïaPresse vous présente l’analyse de Kim Cornelissen, Consultante en développement régional et international, laquelle pose plusieurs questions quant aux objectifs visés par cette production.


Par Kim Cornelissen



Sept ans après avoir été annoncée par Bernard Landry (1), l’usine de production d’éthanol de Varennes à partir du maïs-grain est maintenant en opération. À première vue, les nouvelles semblent bonnes: il est possible d’imaginer que nos automobiles seront moins polluantes puisqu’elles pourront utiliser jusqu’à 85 % d’éthanol, une énergie renouvelable qui réduirait les émissions de CO2, celle-ci provenant d’une plante produite localement. S’il est vrai que comparé au pétrole, cela semble un pas par en avant, il vaut la peine de regarder cette nouvelle dans une perspective globale.


Pourquoi a-t-on implanté une usine d’éthanol au Québec? Pour soutenir un marché local pour le maïs-grain? Pour pouvoir utiliser l’éthanol comme remplacement du MMT, un additif actuel cancérigène que le Canada ne peut interdire légalement? Pour réduire nos émissions de CO2? Regardons de plus près si chacun de ces objectifs peut être ainsi atteint.


L’aide à l’agriculture industrielle locale

On entend souvent dire que l’éthanol est un carburant renouvelable. Ce terme crée une confusion car si le maïs peut être replanté, la superficie des terres agricoles, elle, n’est pas infinie. Selon l’UPA, au Québec, «moins de 2 % des terres sont cultivables…(2) ». Le Sud du Québec est déjà plus que surchargé de terres cultivées en maïs-grain, alors qu’il est du même coup en déficit important d’espaces forestiers (3). Plutôt que de contribuer à l’amélioration de la situation, l’approvisionnement local de l’usine en maïs-grain risque de relancer la spéculation foncière, en plus de favoriser cette culture intensive au détriment des autres usages agricoles ou de protection. L’impact de la production du maïs-grain aux États-Unis en 2006 sur le coût des autres céréales et diverses productions animales est éloquent à cet égard (4).


De plus, l’idée d’associer la rentabilité agricole à la production énergétique en créant des usines d’éthanol comme débouché pour le maïs-grain est condamné d’avance. À preuve, la stratégie énergétique du Québec 2006-2015 recommande plutôt l’éthanol cellulosique, son rendement énergétique et son bilan environnemental étant plus intéressants. En remplaçant l’un par l’autre, qu’advient-il de l’idée de soutenir la production locale de maïs-grain?

Le remplacement du MMT, un additif à l’essence qui serait cancérigène
Dans une table ronde sur l’ouverture de l’usine d’éthanol de Varennes, en juin dernier, le député péquiste Stéphane Bergeron mentionnait que l’éthanol pourrait remplacer le MMT comme additif à l’essence (5). Il a ajouté que le Canada a essayé d’en interdire l’utilisation sur son territoire parce qu’il serait cancérigène, mais sans succès, en raison des ententes commerciales de l’ALÉNA. Si à première vue, il semble louable de remplacer le MMT par l’éthanol, il ne faut pas oublier que la production de maïs implique souvent des OGM ainsi qu’une grande utilisation de pesticides et herbicides. Qu’y gagne-t-on au change? D’autres solutions ne seraient-elles pas plus efficaces?


L’utilisation de l’éthanol pour réduire les émissions de CO2

Au Québec et au Canada, même si les deux paliers de gouvernement songent à obliger une proportion de 5 à 10 % d’éthanol dans l’essence comme carburant, plusieurs véhicules automobiles sont déjà disponibles en version E85 (85 % d’éthanol et 15 % d’essence). Or, tel que démontré dans le guide Énerguide 2006 du Gouvernement du Canada, tous ces véhicules ont une forte consommation d’essence (6). Veut-on réduire les émissions, soutenir l’industrie automobile ou déculpabiliser certains consommateurs? Quel est l’objectif?


Si l’on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre, alors on erre. Même utilisé dans une proportion de 85 % (E85), l’éthanol issu de céréales (7) est le biocarburant le moins efficace pour réduire les CO2. C’est ce que démontre une étude comparative du cycle de vie de divers modes de propulsion automobile, réalisée l’année dernière par un organisme travaillant pour l’Union européenne. Pourquoi n’utilise-t-on pas plutôt les véhicules hybrides électriques, surtout dans un contexte où la production électrique proviendrait en plus grande proportion des éoliennes? Ou mieux encore, pourquoi ne pas favoriser l’utilisation du biogaz provenant de fumier sec, qui est de loin le plus efficace? Celui-ci peut être utilisé seul ou avec du gaz naturel, moins dommageable que l’essence utilisé en combinaison avec l’éthanol. Produit localement, le développement du biogaz comme biocarburant profiterait également à l’agriculture en plus de réduire d’autres problèmes environnementaux (captage du méthane).


COMPARAISON DANS LES EMISSIONS DE CO2 (8)
(Nb de km parcourus avec la même quantité d’émissions en calculant le cycle de vie – well to wheel)


Du global au local

À la défense de ceux qui ont planifié l’implantation de l’usine d’éthanol de Varennes, il est important de remarquer que le monde des biocarburants évolue de façon très rapide; cela explique sans doute pourquoi la commercialisation de nouvelles technologies apporte avec elle des problèmes majeurs. Si les questions soulevées au Québec méritent notre attention, la situation est encore plus problématique au Brésil, où une partie de la production d’éthanol par canne à sucre se ferait dans des conditions de quasi-esclavage (9). L’éthanol étant vendu sans identification de sa provenance, comment pourra-t-on s’assurer que celui-ci est produit de façon éthique? C’est la question qui est soulevée actuellement en Suède, pays reconnu pour son avant-garde environnementale et humanitaire: près du tiers de leur consommation d’éthanol provient du Brésil (10). Là-bas comme ici, ces questions doivent être résolues avant d’aller plus loin.


Les gens qui font la promotion de l’éthanol ont sans doute cru qu’il s’agissait d’une solution durable pour réduire les problèmes environnementaux liés aux combustibles fossiles. L’actualité et la recherche semble démontrer le contraire. Dans un contexte de développement durable, la recherche de véritables solutions doit être basée sur des évaluations réalistes et impartiales qui tiennent compte de l’ensemble des impacts économiques, sociaux et environnementaux. C’est à ce prix que celles-ci pourront être adoptées en toute confiance par les automobilistes, condition essentielle à une véritable lutte aux changements climatiques liés au transport individuel.



Par Kim Cornelissen
Consultante en développement régional et international

ckimc@sympatico.ca

Kim Cornelissen termine actuellement sa maîtrise en études urbaines, école des Sciences de la gestion, UQÀM. Le sujet de son mémoire est la pertinence des partenariats public-privé en développement durable. Son étude de cas est la collaboration entre Volvo et la ville suédoise de Göteborg pour le développement du biogaz comme biocarburant.
À titre de consultante en développement régional, elle est personne-ressource sur les dossiers touchant le transport, le développement durable, l’égalité entre les femmes et les hommes, la politique municipale et les liens entre le Québec et la Suède.
Elle est coordonnatrice du seul réseau d’élues municipales structuré au Canada, le RÉMME, en Montérégie Est. www.eluesmonteregie.qc.ca



Références :
1- www.sgfqc.com communiqués 2000
2- http://www.upa.qc.ca/fra/coalition/index.asp
3- Entre 1992 et 1999, près de 11 000 hectares de boisés – ou 110 km – ont disparu de la Montérégie et le rythme s’accélère (MAPAQ 2001). http://www.centrenature.qc.ca/pdf/foret/depliantforet.pdf
4- How Biofuels Could Starve the Poor. Foreign Affairs. May/June 2007 Edition. www.foreignaffairs.org
5- Émission de radio à CHAA, 103,3 FM à Longueuil. Vendredi 22 juin, 11 a.m.
6- Guide énergétique 2006, Ressources naturelles Canada
7- Dans le tableau comparatif, il n’y a pas de maïs-grain mais on retrouve toutefois le blé.
8- D’après source : http://www.volvocars.com/corporation/environment/Alternativefuels/_challenge.htm D’après : «Well-to-Wheels analysis of future automotive fuels and powertrains in the European context”, Union européenne, 2006 http://ies.jrc.cec.eu.int/wtw.html
9- Etanolens slavar. Göteborg Posten. Quotidien. Éditions du 25 juin 2007. http://www.gp.se/gp/road/Classic/shared/printArticle.jsp?d=130&a=354317
10- Ibid.

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