45 ans après la publication du livre « Silent Spring » (Un printemps silencieux) de Rachel Carson, où en sommes-nous rendus?

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Par Johanne Dion


 

 

En 1962, la publication du livre « Silent Spring » par la biologiste américaine Rachel Carson a eu l’effet d’une bombe ! L’ouvrage marquait un  tournant dans la façon de comprendre le comportement humain envers la nature qui nous entoure et les effets néfastes qui s’ensuivent. Sa façon de faciliter la compréhension de faits scientifiques et les recherches rigoureuses qui corroborent ses affirmations font de « Silent Spring » la bible des environnementalistes.

 

On s’accorde généralement pour lui créditer le retrait du pesticide puissant DDT qui a été éventuellement banni aux États-Unis en 1972. Et pour cause :  le puissant pesticide a été  reconnu responsable de la disparition imminente des oiseaux de proie, surtout le pygargue à tête blanche, ironie du sort, symbole national des USA! 

 

Rachel Carson a fait des études avancées à l’Université Johns Hopkins et a obtenu un diplôme de maîtrise avec mention en biologie marine en 1932. Elle commence à enseigner des cours de zoologie à l’Université du Maryland et passe ses étés à travailler au Woods Hole Marine Biological Laboratory dans le Massachusetts. Elle rejoint ensuite dans la fonction publique comme rédactrice de programmes de radio pour le Bureau fédéral de la pêche. En 1936, elle devient spécialiste en biologie aquatique où, tout en faisant une carrière pendant 15 ans dans l’administration fédérale, elle satisfait son goût d’écriture en rédigeant des manuels pour la conservation et les ressources naturelles et révise des articles scientifiques. Le succès de ses quelques livres sur la biologie aquatique lui permet de prendre sa retraite en 1952 du poste de rédactrice en chef des publications du U.S. Fish and Wildlife Service (Service fédéral des eaux et forêts). 

 

Femme et scientifique engagée, Rachel Carson témoignera devant plusieurs Commissions parlementaires pour réclamer notamment la création d’une  « Commission sur les pesticides » et d’un organisme de réglementation pour protéger les êtres humains et l’environnement des dangers des produits chimiques. Sept ans après, en 1970, le Congrès américain crée l’Agence de protection de l’environnement, le fameux EPA américain, suite directe du mouvement environnementaliste déclenché par Silent Spring. 

 
A-t-on fait des progrès?

Avons-nous compris le message de Rachel Carson? Dès le deuxième chapitre de « Silent Spring », la regrettée biologiste mentionne le risque que prend l’être humain quand il se lance dans la production de mono-cultures : la nature contrôle les dérèglements de certains insectes et de végétation nuisibles par la diversité des espèces. Or, visiblement, nous n’avons pas écouté Rachel. Quand on observe, comme cet été, que nos campagnes se transforment en champs de maïs-grain et de soya à perte de vue, que les fermes délaissent l’auto-suffisance au profit de cultures subventionnées pour la production de biocarburants, nous pouvons nous attendre au pire. Sommes-nous à la veille d’épidémies de maladies et des infestations d’insectes?  

 

Il y a 45 ans, Rachel Carson déplorait le fait qu’on exposait les humains à toutes sortes de produits chimiques sans leur consentement, et sans connaître leurs effets potentiellement nocifs sur le sol, l’eau, la nature et l’humain lui-même. Elle prédisait que les générations futures nous reprocheraient notre insouciance et notre manque de prudence. Quand on pense qu’aujourd’hui, les nouvelles inventions arrivent sur le marché alors qu’on n’a pas encore prouvé l’innocuité de la plupart de celles qu’on utilise déjà, comme les retardateurs de flammes, les antibiotiques en sous-dosages dans les moulées des animaux destinés à l’alimentation humaine et les OGM, il y a lieu de s’interroger sur les dérives dans lesquelles nous sommes engagées. Incroyable ! on revendique encore en 2007 l’étiquetage de la nourriture qui contient des OGM!

 

Déjà, en 1962, Rachel Carson notait la domination de l’industrie de la chimie et de ses dérivés qui revendique le droit de s’enrichir, sans pratiquement rencontrer d’opposition au sein des instances politiques. Déjà à cette époque, elle constatait que quand le public protestait, car il pouvait constater des dommages évidents dans son environnement, on l’endormait avec des demi-vérités. Rachel Carson était déjà convaincue que c’est un public pleinement au courant des risques et des dangers qui devait décider si on devait continuer sur la piste dangereuse sur laquelle la civilisation s’était engagée. 

 

Aujourd’hui, tous les citoyens qui revendiquent un environnement plus sain, qui sont intimidés dans leurs démarches et prises de parole et ceux qui subissent des SLAPPs  reconnaissent sûrement la justesse de ses paroles.

 

2,2 milliards de pesticides annuellement

Rachel Carson estimait en 1962 que la production de pesticides synthétiques aux États-Unis était passée de 124,259,000 livres en 1947 à 637,666,000 livres en 1960: cinq fois plus en moins de 15 ans . Al Gore, bien connu aujourd’hui pour son documentaire « Inconvenient truth » -  « Une vérité qui dérange », qui a signé l’introduction de la réédition de « Silent Spring »,  en 1994, y mentionne qu’en 1992, les Américains ont utilisés 2.2 milliards de livres de pesticides. 

 
On peut facilement penser que ce chiffre excessif est aussi réel au Canada et au Québec.
 

En 1962, Rachel Carson prévoyait déjà l’effet néfaste d’utiliser des pesticides sur les abeilles: non seulement les milieux naturels se faisaient de plus en plus rares, milieux où les abeilles pourraient se réfugier, mais les vastes monocultures de nos campagnes, l’élimination presque complète des bandes de délaissement autour des champs cultivés et l’application systématique d’insecticides sur les champs en culture faisaient que déjà il y a 45 ans les insectes pollinisateurs étaient à risque. Faut-il s’étonner qu’on observe maintenant la disparition graduelles des abeilles? 

 

Selon Rachel Carson, nous cassons les fils qui relient la vie à la vie

Il y a 45 ans déjà, la biologiste soulignait que nous possédions déjà les connaissances nécessaires pour réagir : les écologistes formées dans les universités et ensuite embauchés par les gouvernements nous disent quoi faire, mais ne sont pas écoutés. Pensons aux BAPE sur l’eau (en 2000) et celui portant sur la production porcine au Québec (en 2003): nous attendons toujours l’application de la Politique nationale de l’eau. Très peu de recommandations du rapport 179 sont appliquées pleinement dans nos campagnes. 


Hélas, on constate que pas grand chose a changé pour le mieux en environnement depuis 1962.

 


Par Johanne Dion


Native de la ville de Richelieu, Johanne Dion milite activement pour l’assainissement de la rivière Richelieu depuis 1985. Ses nombreux écrits et lettres d’opinions sur les questions environnementales ont été publiés dans divers journaux et revues. Co-fondatrice du Comité Richelois pour une Meilleure Qualité de Vie (CRMQV) en 2005, elle est aussi bénévole pour le groupe Conservation de la Nature, où elle milite pour la protection des frayères du chevalier cuivré. Elle a aussi participé à des travaux de restauration des berges de la rivière Richelieu avec Conservation de la Nature et Covabar à l’été 2006. 

 

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