Le projet de stratégie sur le développement durable : Un recul par rapport à la Loi 118?

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Par Corinne Gendron
Avec la collaboration de Annie Rochette, Jean-Pierre Revéret, Véronique Bisaillon, François Croteau, François Décary-Gilardeau, Manal El Abboubi et Chantal Hervieux



En adoptant la Loi sur le développement durable en avril 2006, le gouvernement du Québec s’était positionné en véritable chef de file alors qu’encore peu de gouvernements n’entreprennent de démarche aussi systématique en vue de revoir leur fonctionnement en regard des principes du développement durable. Il faut donc commencer par saluer la démarche dans laquelle s’inscrit la stratégie sur le développement durable, car le virage nécessaire que suppose le développement durable pose un défi colossal pour l’État, peut être plus encore que pour d’autres institutions ou organisations. L’État québécois a fait preuve de vision tout autant que d’audace en se dotant de la Loi 118 qui impose de revoir l’ensemble des activités gouvernementales à l’aune des principes du développement durable dans ses fonctions de régulateur tout comme dans ses dimensions organisationnelles. Inévitablement, il avait suscité de grandes attentes vis-à-vis la stratégie qui devait être adoptée l’année suivante pour concrétiser le nouveau cadre décisionnel esquissé par la Loi.

D’entrée de jeu, il faut reconnaître toutefois que cette stratégie arrive tardivement, alors que sa version préliminaire destinée à la consultation publique n’a été diffusée que le 1er octobre dernier en vue d’une Consultation en ligne ainsi que d’une Commission parlementaire dont les auditions se sont amorcées dès le 17 octobre suivant. D’autre part, cette stratégie suscite malheureusement un bon nombre de réserves. Ainsi, même si on peut se réjouir notamment de la reconnaissance du principe d’écoconditionnalité et de l’engagement à se doter de politiques d’approvisionnement responsables qu’on y trouve, la lecture de l’ensemble du document suscite un malaise en raison de la diversité et de l’ampleur des questions abordées, mais plus encore en raison de la conception du développement durable qui s’en dégage. Enfin, on peut se demander si la stratégie respecte toutes les prescriptions de la loi 118 quant à son contenu tout d’abord, et relativement à son processus d’adoption ensuite.

Ce qui frappe à la lecture de cette stratégie, c’est la conception du développement durable qu’elle véhicule, qui relègue l’environnement à un rôle secondaire par rapport à la croissance, à l’économie et aux investissements. Aucune orientation n’est spécifiquement dédiée à la protection de l’environnement, et la vision du développement durable qu’elle énonce surprend. Elle est libellée de la façon suivante :

Une société où la qualité de vie du citoyen est et demeurera une réalité, une société responsable, innovatrice et capable d’excellence dans toutes ses réalisations, une société misant sur l’harmonie entre le dynamisme économique, la qualité de l’environnement et l’équité sociale.

Alors que la Loi 118 avait pris soin de reprendre la définition classique du développement durable en précisant que les trois pôles de l’économie, du social et de l’environnement sont indissociables, la vision proposée réduit l’exercice à la recherche d’une harmonie entre les trois pôles, occultant le caractère premier de l’environnement qui agit comme condition à l’égard du développement économique et social, et ouvrant la voie à une substituabilité des capitaux économique, social et environnemental. On sait pourtant que sans un environnement sain, il est impossible d’aménager un lieu de vie propice au développement de même qu’une économie pérenne ; la situation des pêches illustre bien en effet que c’est l’équilibre écologique qui doit être recherché comme condition première du développement durable, et non l’équilibre entre trois pôles qui doivent au contraire être hiérarchisés, l’environnement constituant une condition, le développement social une fin, et l’économie un moyen. Le processus de consultation entourant l’adoption de la Loi 118 avait d’ailleurs permis de clarifier cet élément alors que la première définition proposée du développement durable comme :

Processus continu d’amélioration des conditions d’existence des populations actuelles qui ne compromet pas la capacité des générations futures de faire de même et intègre harmonieusement les dimensions environnementale, sociale et économique du développement.

énoncé dans l’avant-projet de loi a été remplacée dans la loi par la définition suivante :


Le « développement durable » s’entend d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Le développement durable s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement.

La stratégie propose donc un retour en arrière en reprenant une formulation que le gouvernement avait pourtant lui-même délaissée en finalisant son projet de Loi tel que maints intervenants lui avaient recommandé de le faire dans le cadre de la Commission ministérielle sur le plan de développement durable.
Par ailleurs, si la place de l’environnement pose problème dans la conception du développement durable mise de l’avant par la stratégie, la compréhension du pôle économique n’en est pas moins problématique. Le développement durable ne s’oppose pas, il est vrai, au développement économique, mais il ne préconise pas non plus tout développement économique quel qu’il soit ; il suppose au contraire que les activités et la croissance économiques seront modelées en fonction de nouveaux paramètres, ces paramètres étant la protection de l’environnement et la maximisation des retombées sociales. Bref, contrairement à ce qu’on peut lire dans la stratégie, le rôle du gouvernement à l’égard du développement durable n’est pas de promouvoir les investissements ou de stimuler l’activité économique, mais bien de promouvoir certains investissements et de stimuler certaines activités économiques éventuellement au détriment d’autres activités et d’autres investissements qui pourraient s’avérer néfastes pour l’environnement ou qui auraient peu de retombées sociales. Le développement durable suppose une modernisation de l’économie qui vise à réduire l’intensité écologique des activités économiques et à maximiser les retombées sociales ; il s’agit donc de forger une croissance aux qualités inédites à partir d’une discrimination des investissements et d’une promotion de champs d’activités ciblés.

Dans un second ordre d’idées, on peut s’inquiéter de la facture d’un document qui prétend orienter l’ensemble du gouvernement vers des objectifs de développement durable : la stratégie contient des engagements vagues, des objectifs non quantifiés et sans échéance, et ratisse si large qu’on ne peut que s’interroger sur sa capacité à canaliser l’action des 150 ministères et organismes dont elle doit assurer la cohérence. Et cela sans compter qu’aucun mécanisme coercitif n’est prévu, ni de ressources dévolues à sa mise en œuvre. Si bien que comme elle relève du ministère de l’Environnement, du développement durable et des parcs, il est à craindre que la mise en oeuvre de la stratégie ne se fasse au détriment des autres fonctions déjà assumées par ce ministère, tout spécialement la protection de l’environnement.

En fait, il est possible que la stratégie ne réponde pas à plusieurs des obligations de contenu et de processus prévues par la Loi sur le développement durable. La loi stipule notamment que la stratégie soit développée en regard des préoccupations des citoyens ; or, ceux-ci sont consultés si tardivement dans le processus qu’on voit mal comment le document qui doit être adopté au plus tard le 31 décembre 2007 pourra tenir compte de commentaires portant sur son orientation générale, sa structure ou son contenu. Bref, on peut s’inquiéter que le Ministère ne donne suite aux recommandations émises lors de la consultation en ligne et dans le cadre de la Commission parlementaire que sur des questions de détails, et suggérer que la version qui sera adoptée en décembre prochain fasse l’objet d’une véritable révision à l’occasion de l’exercice de consultation prévu pour arrêter les indicateurs de développement durable, tel que le permet le troisième alinéa de l’article 9 de la Loi sur le développement durable.

 

 


Par Corinne Gendron
LL.B, MBA, Ph.D, Professeure et titulaire, Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, École des sciences de la gestion, UQÀM

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