Entre myopie et presbytie : Le réchauffement climatique sous d’autres lorgnettes

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Par Me P. Martin Dumas
Consultant international / travail & développement durable



Un des défis des sciences sociales consiste à expliquer pourquoi les humains ne vivent pas seulement en fonction des besoins du présent, mais aussi en prévision d’un état des choses plus ou moins lointain, plus ou moins rattaché à leur propre réalité. Le sentiment d’altruisme, certaines normes sociales ainsi que divers mécanismes de coopération font alors l’objet d’un examen particulier. La capacité de situer nos actions sur une longue échelle temporelle fait aussi partie de ces facteurs qui méritent notre attention.

On constate aisément que la question du réchauffement climatique fait appel à cette capacité d’envisager à long terme les conséquences de nos actions. On peut en effet se demander, dans un souci de responsabilité sociale, Que puis-je faire aujourd’hui pour améliorer les conditions de vie de demain ? Ce qu’on apprécie avec plus de difficultés est notre capacité de distinguer entre les conditions d’un futur proche (e.g., l’environnement de petits-enfants devenus adultes) et d’un futur lointain (e.g., l’environnement des prochains centenaires et millénaires).
La multiplicité des commentaires et interventions publiques sur la question du réchauffement climatique, paradoxalement, souffre généralement d’une certaine myopie. Je propose ici de combler imparfaitement cette lacune en offrant une vision presbyte de la nature des rapports que les humains pourraient entretenir, à long terme, avec les forces de la nature. Il s’agirait d’opter, en définitive, pour des rapports essentiellement commandés par la nature ou pour des rapports partiellement contrôlés par les humains. Voyons de quoi il en retourne en examinant brièvement (1) certains obstacles (potentiellement) dirimants posés par la nature à la survie de l’espèce humaine et (2) la question de la prise de risques dans la poursuite de l’aventure humaine.

À très long terme, soit dans environ cinq milliards d’années nous disent les experts astronomes (*), le soleil aura épuisé son hydrogène et verra alors son diamètre gonfler plus de 100 fois, avalant du coup les planètes Mercure et Vénus et mettant définitivement fin à la vie sur Terre. Il sera alors devenu une étoile de type ‘géante rouge’, à l’instar de Bételgeuse que l’on aperçoit, orangée, dans la jolie constellation d’Orion.

C’est à plus court terme (hélas !) que les variations de température sur Terre menaceront froidement ou non la survivance de notre espèce. Au cours des 400 derniers millions d’années, la surface de notre planète fut généralement beaucoup plus chaude qu’elle ne l’est aujourd’hui. En se rapprochant toujours sur l’échelle du temps, on observe que les 500,000 dernières années furent très probablement marquées par des épisodes relativement réguliers de glaciations et de réchauffements prononcés. La Terre aurait donc été, en alternance, le témoin de glaciations des eaux suivies de retraits progressifs des glaces vers les pôles, de fontes entières suivies à leur tour de glaciations nouvelles, et ainsi de suite. Selon une théorie populaire (dite des cycles de Milankovitch), ces allées et retours entre froids et chaleurs intenses seraient le résultat de variations régulières dans l’orbite de la planète. Les concentrations élevées de dioxyde de carbone (CO2) dégagées des océans, lorsqu’ils sont chauds, pourraient amplifier le phénomène du réchauffement global en renforçant l’effet dit ‘de serre’ (et inversement, en absorbant ce CO2, en période de refroidissement).  En effet, la vapeur d’eau ainsi que les formations nuageuses sont de loin les gaz qui contribuent le plus à cet effet de serre – soit plus de 80% sous des conditions fréquentes. Les épisodes se découvrant entre les années de basses et de hautes températures sont des épisodes ‘interglaciaires’ au cours desquels les températures moyennes à la surface du globe tendent à se stabiliser. La civilisation humaine, organisée, a vu le jour au cours du plus récent de ces épisodes il y a environ 10,000 ans. Survivra-t-elle à tous ces caprices naturels?

Une question plus pragmatique se pose dans l’intervalle: comment souhaitons-nous, pour les générations suivantes, aborder la poursuite de cet épisode accommodant qui, en quelque sorte, nous a mis au monde ?
À court terme à l’échelle planétaire, soit au cours du siècle présent et des siècles à venir, il n’est pas impossible, nous disent cette fois les experts du GIEC, que les humains génèrent eux-mêmes les conditions d’un réchauffement global accéléré. Un certain réchauffement de la planète pourrait alors survenir ‘prématurément’. Bien que cette conclusion soit aussi mise en doute par d’autres spécialistes (**), je présume ici qu’elle est valide, pour simplifier les choses.  Ce qu’il faut comprendre, dans une perspective attachée au long terme, c’est que cette présomption ne précise essentiellement qu’un fait important : les humains seront tôt ou tard confrontés à un climat aride. En d’autres termes, nous serions conduits, dans ce contexte, à faire face plus tôt que prévu à un réchauffement qui s’amplifiera graduellement, quasi-inévitablement, pour encore menacer de nombreuses espèces vivantes.  Avec un peu (ou beaucoup) de chance, l’humanité aura survécu aux changements graduels qui accompagneront ce réchauffement, en plusieurs siècles et millénaires. Il n’est sans doute pas impossible que la survivance prolongée sur Terre devienne l’objectif prioritaire des civilisations à venir, au-delà des querelles ethniques, religieuses ou nationalistes. De la même façon qu’on ne peut faire l’histoire des catastrophes évitées (et se demander : ‘que serait-il arrivé si… ?’), nul ne peut prédire ce genre de scénario, cependant (et se demander : ‘qu’arrivera-t-il si… ?’). Seuls les brillants prophètes ou historiens éblouis par une conception enfantine des lois de la causalité se risquent à pareil exercice. Ce qu’il n’est pas déraisonnable de proposer, en revanche, est un examen des facteurs pertinents à l’étude d’événements passés ou à venir. La recherche scientifique et le développement technologique, dans l’hypothèse d’un réchauffement continu de la surface terrestre, sont parmi ces facteurs.

Contentons-nous ici d’apprécier la valeur potentielle de ces facteurs. Un développement prudent de la science et de sa technologie pourrait contribuer au renforcement de la résistance génétique des femmes, hommes, plantes et animaux à la chaleur et au froid (certaines avancées de la science suivent par ailleurs cette tangente). Elle saurait peut-être, en outre, améliorer la réponse humaine aux événements confrontants à venir – catastrophiques ou mesurés, prévus ou imprévus, provoqués ou subis. Il ne fait pas de doute non plus qu’un développement débridé de cette science et de sa technologie pourrait aussi bien causer notre perte, fortuitement ou dans la malice. C’est en jaugeant donc le risque de contrôler partiellement certains éléments naturels (tel la structure génétique des êtres vivants, la chimie des formations nuageuses, la biochimie des sols, racines et champignons) que les sociétés d’aujourd’hui orienteront pour un temps les stratégies retenues contre la lutte au réchauffement climatique. L’une de ces stratégies, ‘anti-technologique’, consisterait à intégrer harmonieusement les humains au sein d’un cycle écologique considéré par des dilettantes et certains experts comme un état dont l’équilibre serait à préserver. C’est dans ce scénario que les humains, en cherchant à ne pas courir certains risques, s’exposeraient peut-être au plus grand d’entre eux.  Mais alors ils sauraient également se consoler de pouvoir, avec les loups blancs, hurler de froid, ou avec les bruns, de chaleur…

 


(*) D’autres experts s’opposent au courant théorique majoritaire. Voir entre autres les travaux de Jean-Jack Micalef.
(**) Voir entre autres les travaux de Richard Siegmund Lindzen (Massachusetts Institute of Technology). Quant à moi, je constate que la science actuelle n’arrive pas à expliquer sans doute le processus complexe du réchauffement climatique ; je garde l’oreille ouverte aux diverses interprétations, hormis le fait que le principe de précaution me séduise et interpelle ma conscience. Alors qu’Einstein développait sa première théorie révolutionnaire, la quasi-totalité de la communauté scientifique se moquait de lui. Ne l’oublions pas ! Il n’en était lui-même pas entièrement satisfait par ailleurs…

 

 


 

Par Me P. Martin Dumas
Consultant international / travail & développement durable
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