Horticulture, pesticides et santé

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Par Édith Smeesters

Biologiste, auteure et conférencière


 

 

Depuis l’entrée en vigueur du Code de gestion des pesticides du Québec, en 2003, beaucoup de gens croient que les pesticides ne sont plus utilisés en horticulture. Malheureusement, il n’y a que 20 pesticides (produits actifs) qui sont interdits de vente et d’utilisation et seulement sur les pelouses. Il reste peu de produits dangereux sur les tablettes des magasins, mais les professionnels peuvent encore en utiliser plusieurs, comme par exemple le Merit (Imidacloprid) qu’on utilise en quantité industrielle pour lutter contre les infestations de vers blancs, un produit qui est pourtant interdit en France sur plusieurs cultures! De même, un herbicide sélectif (le dicamba) est encore utilisé pour essayer d’obtenir ces fameuses pelouses parfaites qui restent l’objectif à atteindre pour de nombreux banlieusards. Par ailleurs, les terrains de golfs ne sont soumis à aucune interdiction et doivent se limiter à présenter un plan de réduction à tous les 3 ans.

 

Qu’est-ce qu’un pesticide ?

Un pesticide est une substance qui vise à détruire, à contrôler ou à éloigner un organisme vivant considéré comme nuisible. Parmi les principaux pesticides utilisés en horticulture, on retrouve les insecticides, les herbicides et les fongicides. Il existe aujourd’hui plus de 7000 formulations de pesticides homologuées au Canada, dont plus de 1000 sont vendues au Québec. Ces dernières sont fabriquées à partir d’environ 300 matières actives différentes. Les formulations peuvent contenir plus d’une matière active ainsi que diverses substances d’accompagnement appelées ingrédients inertes. Le dicamba, le malathion, le carbaryl, le glyphosate et la perméthrine sont des exemples de matières actives. Le Roundup, le Merit et le Sevin sont des noms commerciaux.

 

Les cancers à la hausse

De nombreuses études montrent un accroissement alarmant des taux de cancer au cours des 30 dernières années. Par exemple, en France, le nombre de cas de cancer a augmenté de 63% entre 1978 et 2000). Celui du sein a vu son incidence augmenter de 97%. Celui de la prostate de 271% ! Il est évidemment difficile d’établir un lien direct entre un cancer et un pesticide car nous sommes exposés à une variété de contaminants et les effets se développent à long terme. Cependant, d’après le Dr Dominique Belpomme, au moins 60 à 70% des cas de cancer seraient causés par la pollution au sens large (Ces maladies créées par l’homme, D. Belpomme, Albin Michel, 2004).

 

L’infertilité croissante des couples

La quantité de couples stériles augmente de façon alarmante également. La concentration de spermatozoïdes dans le sperme humain baisse de façon dramatique chaque année et les consultations pour infertilité sont à la hausse. Par ailleurs, de nombreux enfants mâles naissent avec des malformations uro-génitales. Je ne peux malheureusement pas citer toutes les références dans le cadre de cet article, mais on pourra en trouver une quantité dans le livre choc de Fabrice Nicolino et François Veillerette :  « Pesticides, révélations sur un scandale français » (Fayard, 2007). Un problème qui n’est sans doute pas seulement français…

 

Les groupes à risque

 

Les enfants

Les enfants sont exposés de façon plus importante aux pesticides en raison des caractéristiques propres à leur physiologie et ils absorbent davantage de pesticides par kilo de poids corporel. De plus, leur comportement exploratoire les porte à voir, toucher, sentir et parfois même goûter tout ce qui leur tombe sous la main. D’ailleurs, en moyenne, plus de 45% des cas d’intoxications aiguës, qui sont rapportés au Centre anti-poison du Québec, concernent des enfants de 0 à 15 ans.

 

Des études indiquent des liens significatifs entre l’exposition résidentielle aux pesticides et des problèmes de santé chez les enfants comme la leucémie, le lymphome non hodgkinien, le cancer du cerveau ou encore des problèmes d’apprentissage, de développement et de comportement comme de l’agressivité, de l’impatience, un déficit d’attention et de l’hyperactivité.

 

Les personnes hypersensibles

De plus en plus de personnes souffrent d’hypersensibilité aux polluants en raison d’une exposition importante ou chronique dans le passé. Si on ne peut pas toujours identifier les causes de leurs problèmes, il n’en demeure pas moins que ces personnes ne peuvent plus tolérer la présence d’aucun contaminant dans leur environnement, que ce soit des pesticides, des solvants ou autres. Ces personnes hypersensibles sont fortement incommodées lorsqu’il y a eu une application de pesticides dans leur quartier et doivent limiter leurs sorties à l’extérieur durant la plus belle saison de l’année. Il en va de même de certaines personnes asthmatiques et des personnes âgées qui sont beaucoup plus fragiles et sensibles aux polluants. Le témoignage d’une dame qui est devenue gravement malade et hypersensible après un empoisonnement aux pesticides en dit long.

 

Les joueurs de golf

Étant donné que les terrains de golf ne sont pas soumis à des restrictions au Québec, il est évident que les golfeurs sont parmi les plus exposés aux pesticides actuellement. Les exigences des joueurs sont devenues de plus en plus élevées au cours des dernières décennies et nous voilà avec des surfaces qui ne peuvent survivre sans interventions constantes. Mais pourquoi exiger une telle perfection? Pourquoi ce besoin de performer à tout prix? Est-ce que le défi ne serait pas plus intéressant si les surfaces étaient plus diversifiées et donc inégales? Le golf existe depuis plus de 100 ans, or les pesticides n’existaient pas à cette époque et les gens avaient assurément du plaisir sinon ce sport n’existerait pas aujourd’hui.

 

Des inquiétudes face à ce qu’on ne sait pas

Le fait qu’on n’ait pas encore démontré la toxicité d’un pesticide n’est pas une preuve de son innocuité. Il est probable que nous ne voyions que la pointe de l’iceberg dans ce domaine, et la prudence devrait s’imposer en raison des nombreuses incertitudes qui persistent. Il faut savoir que, sur les quelque 500 matières actives contenues dans les pesticides homologués, plus de 300 ont été approuvées avant 1981 et plus de 150 avant 1960. Par ailleurs, les pesticides ont été testés individuellement et non avec d’autres pesticides. Or, dans la réalité, les pesticides sont souvent utilisés en combinaison, ce qui peut changer considérablement les données. Les ingrédients dit inertes ne sont pas toujours testés et il est impossible de connaître leur présence dans les formulations car cela fait partie du secret de fabrication. Ces produits pourraient être responsables d’effets synergiques avec les matières actives et, parfois même être plus toxiques que ces derniers.

 

Bien entendu, les évaluations toxicologiques sont effectuées sur des animaux et non sur les humains. Or, plusieurs scientifiques remettent actuellement en cause l’extrapolation des résultats d’études animales à l’humain et ce, particulièrement en ce qui concerne les effets à long terme. Traditionnellement, les résultats étaient extrapolés pour un homme adulte en santé et non pour des femmes enceintes, des personnes âgées ou hypersensibles ou des enfants.

 

Le principe de précaution

En considérant les données disponibles, les nombreuses incertitudes et les particularités des groupes vulnérables, il y a suffisamment d’éléments pour justifier l’application du principe de précaution et d’exclure l’utilisation des pesticides de nos pratiques horticoles, d’autant plus que des alternatives existent!

 

 

 


 

 

 

Édith Smeesters

 

Biologiste, auteure et conférencière

Édith Smeesters est diplômée en biologie de l’Université de Louvain (Belgique). Depuis 25 ans, elle a donné plusieurs centaines de conférences et formations diverses sur l’horticulture écologique au Québec. C’est une pionnière dans ce domaine et elle a été une personne clé dans la création d’un Code de gestion des pesticides au Québec. Elle a par ailleurs écrit ou collaboré à plusieurs livres : « Pelouses écologiques et autres couvre-sols » (2008), « Solutions écologiques en horticulture » (2005), « Aménagement paysager adapté à la sécheresse » (2004) et « Le compostage domestique » (1993). Madame Smeesters est actuellement une porte-parole pour Équiterre (dossier des alternatives aux pesticides et horticulture écologique). Elle a reçu plusieurs prix pour son implication exceptionnelle en environnement et elle est membre du prestigieux « Cercle des Phénix ».

 

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