La société de consommation : une société qui fonce dans le mur?

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Par Nicolas Ottenheimer



Comment peut-on espérer contenir la crise environnementale actuelle? S’il est besoin d’un appui scientifique pour prouver que l’humain est responsable de la transformation planétaire que nous vivons, nous pouvons toujours nous référer aux documents du Groupement International dans l’Évolution du Climat (1). Ce groupe évalue à +2°C, l’augmentation de la température moyenne globale à ne pas dépasser. Passé ce cap, les catastrophes humaines et climatiques deviendraient difficilement contrôlables. Pour parvenir à limiter l’augmentation des températures sous les 2°C (un seuil symbolique?), le GIEC recommande de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 50% d’ici 2050. Par rapport au niveau de 1990. Pour que les pays pauvres puissent profiter d’un développement économique et social satisfaisant – ce qui passe par une production matérielle croissante et donc des émissions de GES accentuées -, les pays occidentaux sont invités à réduire leurs émissions de GES de 80% d’ici 2050. Pourtant, depuis 1990, Environnement Canada reconnaît que le pays a vu ses émissions augmenter de 22% depuis 1990 (2). Alors qu’il s’était engagé à réduire de 6% ses émissions de GES en ratifiant Kyoto.

En partant du principe qui établit que « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », la surconsommation de biens matériels devient le coeur de la crise environnementale. Car tous les biens que nous utilisons proviennent de quelque part et aboutissent quelque part. Et tous nécessitent énormément d’énergie pour, entre autres, leur transformation, leur transport ou leur recyclage. Cette observation m’amène à comparer la société de consommation à un train projeté dans un mur. Le mur qui se dresse face à l’humanité serait celui de l’incapacité réelle de la planète à fournir un cadre de vie vivable à long terme si celle-ci continue d’adopter le modèle de consommation comme idéal de développement. À l’intérieur du train, on trouverait l’ensemble des êtres vivants de la planète. Mais ce mur existe-t-il vraiment dans la réalité, ou est-il une construction mentale des cerveaux pessimistes? L’empreinte écologique est un outil qui cherche à nous démontrer son existence de manière assez convaincante (3). D’autant plus si le modèle occidental de consommation de masse, – ainsi que l’empreinte écologique associée -, s’universalise comme il en est question aujourd’hui. Notre question est donc, désormais, de savoir comment éviter le mur ou, dans le cas d’une trop grande proximité avec l’impact, comment minimiser le choc.

Éviter le pire par le développement durable

Tout d’abord, nous pouvons envisager de prendre un virage suffisamment serré qui permettrait au train d’éviter le mur tout en conservant sa vitesse. Cette solution est la préférée des réformistes du système capitaliste qui penchent vers une plus grande intégration économique des limites de la planète. Que le virage se fasse du côté gauche ou du côté droit, ces réformistes ont confiance dans le concept de développement durable. Tous pensent que la croissance et le progrès technologique forment le coeur de l’alternative dont nous avons besoin. Si le virage à gauche favorise une gestion davantage collective et solidaire de la crise environnementale, elle est inquiétante en raison de sa tentation à proposer des réformes normatives et universelles négligeant la diversité des cultures et des territoires. À cette solution du virage est associée l’idée que l’humanité a inévitablement besoin du progrès pour continuer de rêver et de s’épanouir. C’est actuellement cette voie qui est la plus considérée, aussi bien par les pays économiquement riches et moins riches.

Changer par l’action directe extrême?

Une seconde « solution », celle des écologistes les plus extrêmes, est de provoquer le déraillement du train. Ce mouvement d’écologie radical (4) est souvent montré par l’intermédiaire de l’association Earth First ! Ou par les Earth liberation front et animal liberation front. Un déraillement forcerait assurément le train à s’arrêter avant le mur. Mais l’accident provoquerait tellement de morts qu’il ne resterait plus beaucoup de gens à l’intérieur pour en profiter. Cette vision considère qu’il est de toute façon trop tard pour éviter le choc, que l’inertie enclenchée est trop importante et qu’il vaut mieux sauver ce qu’il reste à sauver, comme les animaux et les végétaux, au détriment d’une humanité de toute façon condamnée par son insouciance ou son apathie. Faire dérailler le train signifierait attaquer des centrales électriques, attaquer des aéroports, détruire la bourse ou, plus généralement, provoquer un chaos général.

Ralentir la consommation : une marche vers la décroissance

La troisième option envisagée est radicale comme la précédente, mais préfère le pacifisme à l’action directe destructrice. L’idée principale est de ralentir la vitesse du train pour, sinon éviter le mur, minimiser la violence du choc, et donc les catastrophes humanitaires. Ramenée aux théories économiques et sociales telles que véhiculées par Georgescu Roegen, Serge Latouche, Serge Mongeau ou Paul Aries, cette solution est celle se rapprochant le plus de la simplicité volontaire, de la décroissance, d’un développement local et d’un partage raisonnable, équitable et économe des ressources naturelles. Cette solution réclame un changement de comportement individuel et collectif profond, un idéal de vie distancié du progrès matériel, un plus grand partage des ressources existantes ainsi qu’une plus grande humilité par rapport à la place de l’humain sur la Terre. Elle propose de repenser la vie en société de façon radicale. La décroissance est la théorie la plus opposée au système capitaliste puisqu’elle critique son fondement, c’est-à-dire la croissance économique.

Responsabilité des dirigeants ou responsabilité du peuple?

Si nous nous limitions à regarder la situation avec un regard marxiste, nous pourrions ajouter que ce sont les technocrates, économiques, politiques et médiatiques, qui sont à la tête du train. Ces derniers pourraient voir arriver le mur depuis la locomotive, mais n’auraient pas la volonté ou seraient incapables de réagir de façon à protéger l’humanité de la crise environnementale. Pour les libéraux capitalistes, c’est la démocratie et les aspirations humaines qui dirigeraient le train vers le mur. Mais cette façon de penser cherche toujours à transférer les responsabilités collectives sur les épaules de l’autre, chacun voulant s’en dégager. Pour le moment, admettons que les dirigeants et les individus soient chacun responsable. Reconnaissons également avec Hervé Kempf que ce sont les plus riches qui, par leur capacité de surconsommation, ont la plus lourde empreinte écologique (5). Et que les capacités d’accéder à la connaissance et au pouvoir sont inégales et se reproduisent à travers le temps, bien souvent au profit des êtres les plus privilégiés.

 

Une quatrième approche : pragmatique et moins théorique

L’approche que je défends avec le plus de conviction est un mélange des trois propositions. Pourtant, l’idée qui me semble la plus cohérente et la plus convaincante est celle privilégiant un important coup de frein, donc un ralentissement de la croissance économique pour, progressivement, entrer dans un système de décroissance. Ralentir le train le plus possible nous permettrait de prendre un virage avec plus de contrôle, car moins dépendant du seul progrès technologique. Si le progrès technologique reste souhaitable, il semble important qu’il soit sagement réfléchi de manière collective. C’est-à-dire avec du temps et de solides argumentaires. Nécessaire, le virage dont il est question se ferait préférablement à gauche pour sa préoccupation collective et humaniste. En revanche, cette gauche devrait parvenir à intégrer la réalité observable de la variété des territoires et des cultures, au risque de pencher vers un totalitarisme institutionnel et universel, inquiétant et jamais souhaitable. Enfin, sans en venir à placer un tronc d’arbre sur les rails de chemin de fer, j’estime légitime et important de voir s’allumer des feux sur la voie pour prévenir de la proximité d’un danger arrivant rapidement. À mon sens, les allumeurs de feu sont représentés par les mouvements sociaux que j’estime non seulement légitimes, mais indispensables, car ancrés dans la réalité vécue.

Afin de pencher dans la balance du côté qui me semble le plus pertinent, je présenterai diverses théories de la décroissance en les connectant avec la réalité pour montrer son application possible et, dans bien des cas, souhaitable.


Par Nicolas Ottenheimer


Je fais partie de la jeune génération de voyageur. Transporté en voyage par mes parents dès mon plus jeune âge, j’y ai pris goût et j’aime encore en profiter. Je commence à avoir une certaine expérience associative, que ce soit dans des projets locaux à Marseille ou Montréal et pour des projets « humanitaires » en Afrique de l’Ouest et du Sud. En tant qu’étudiant géographe et qu’individu socialement et écologiquement engagé, mes sujets de recherche touchent aux concepts de gouvernance, de « développement durable », de développement local et global, de cultures, de diversité et d’universalisme. Ma recherche actuelle, en géographie politique environnementale, me pousse, par cohérence, à défendre l’idée de décroissance économique dans les pays occidentaux. En parallèle de ces activités intellectuelles, je respire à travers la jonglerie, le mouvement, la sculpture sur bois, le patentage, l’agriculture et le sport.


Sources :
(1) Je tiens dès maintenant à expliquer que si je reconnais la responsabilité de l’Homme dans les crises environnementales, je n’aboutis pas forcément à la conclusion que l’existence et l’épanouissement de l’Humanité est contraire et néfaste à la Nature.
(2) Donnée disponible sur cette page, consultée le 3/09/08.
(3) WACKERNAGEL M, REES W, (1999), « Notre empreinte écologique », Ecosociété, Montréal.
(4) KEMPF H, (2007), « Comment les riches détruisent la planète », Le Seuil, Paris.
(5) Il faut entendre « radical » avec son origine latine, c’est-à-dire qui cherche à remonter à la racine des problèmes observés.

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