Spécial élections québécoises 2008 – Le Plan Nord : doit-on s’en réjouir ou s’en inquiéter?

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Par Ugo Lapointe
B.Sc. génie géologique, Candidat à la maîtrise, Institut des sciences de l’environnement (UQAM)
Membre et porte-parole de la
Coalition pour que le Québec ait meilleure mine!



Le Parti Libéral réitérait récemment son intention de faire du Nord québécois « un nouvel espace de développement durable » (1). Mines, énergie, forêts, chasse, pêche et tourisme sont au coeur du développement économique visé, le tout, affirme-t-on, « dans le respect de l’environnement et des populations locales ». L’équipe de « l’économie d’abord » réserve même un volet important à la conservation de la biodiversité : 50 % du territoire seraient « à l’abri du développement industriel, minier ou énergétique » (l’omission de la foresterie est-elle ici volontaire?
(2))

Au-delà du discours d’intentions, qu’est-ce que le Plan Nord amène réellement de nouveau dans la façon d’entrevoir le développement du nord? Quels enjeux concrets soulève-t-il sur les plans social et environnemental? Quel est d’ailleurs le bilan des Libéraux à cet égard depuis leurs élections en 2003? Et surtout, peu importe les partis élus, comment assurer un développement véritablement « viable, durable et équitable » du Nord québécois?

Prendre acte du passé et régler le passif environnemental

Bâtir un nouvel espace de développement durable passe avant tout par la reconnaissance et la réparation des torts environnementaux déjà occasionnés. La région de Matagami-Chibougamau-Mistissini compte, par exemple, des dizaines de sites d’accumulation de résidus miniers dont la restauration est plus que nécessaire pour éviter la pollution des cours d’eau et des écosystèmes avoisinants. Plus au nord, au Nunavik, un groupe de chercheurs identifiait en 2005 près de 300 sites abandonnés contenant potentiellement de l’équipement, des abris, des véhicules et autres déchets (3).

Le Nord-du-Québec connaît d’ailleurs un boom minier sans précédent depuis quelques années. De 2002 à 2007, le nombre de projets d’exploration minière y a pratiquement triplé, passant de quelque 90 à plus de 250 projets (4). Forages, décapages, équipements lourds, chemins de pénétration, levés aéroportés, campements, etc. : quels sont les impacts cumulatifs associés à l’accroissement de ces activités sur le territoire? Malheureusement, à défaut d’études sur le sujet, la question demeure toujours sans réponse.

Choisir la voie du « développement durable nordique » implique également de prendre acte des impacts occasionnés par les coupes forestières excessives en forêt boréale, de même que par le harnachement et/ou l’ennoiement de près du tiers des grandes rivières du Nord québécois (Eastmain, Rupert, La Grande Rivière, Caniapiscau, Koksoak, etc.).

Le Plan Nord actuel des Libéraux ne reconnaît pas clairement le legs environnemental et les enseignements tirés de l’histoire récente de cette région.

Bâtir sur de nouvelles bases?

Tel que proposé jusqu’à maintenant, le Plan Nord de Jean Charest s’aligne prioritairement sur une vision classique de l’économie : accélération de l’extraction des ressources d’une région éloignée pour le principal bénéfice des populations consommatrices du sud. Autrement dit, plus de routes, plus d’énergie et plus de ressources consommées pour la conquête économique d’un « nouveau » territoire, jusqu’ici encore relativement peu exploité. Difficile d’envisager comment cette vision puisse être véritablement viable, durable et équitable dans un contexte de dégradation régionale et planétaire de l’environnement.

Conservation de la biodiversité et partage du territoire

Les objectifs de conservation du Plan Nord n’ont rien de rassurant non plus. Outre l’engagement ferme de protéger 12 % du territoire selon des standards internationaux – un objectif louable et également partagé par le Parti Québécois – le Plan Nord n’indique aucunement comment il compte encadrer les 38 % du territoire destinés exclusivement aux activités « récréotouristiques » – activités dont la définition même demeure ambiguë dans le Plan Nord.

Bien que des activités telles que la chasse, la pêche et le tourisme puissent sembler anodines par rapport aux activités industrielles, leurs impacts cumulatifs peuvent être tout aussi dévastateurs pour les écosystèmes et les populations locales si elles ne sont pas bien encadrées (5).

Le Plan Nord n’indique pas non plus pour le moment comment se conjugueront les priorités entre la création d’aires protégées, les activités récréotouristiques et le développement de projets industriels. Le premier ministre Charest protègera-t-il, comme le vise son homologue ontarien, 50 % de chacune des zones écologiques d’importance, telles que la forêt boréale nordique, la taïga et la toundra, tous d’importants réservoirs de carbone contribuant à l’équilibre climatique mondial?

Actuellement, l’objectif général de mettre 50 % du territoire « à l’abri du développement industriel » apparaît flou et pourrait s’avérer vide de sens, puisqu’on sait déjà qu’au moins 50 % dudit territoire présente un faible potentiel minier, énergétique et forestier.

Enfin, contrairement au premier ministre ontarien, Jean Charest n’enjoint pas à ses objectifs de conservation celui de réformer les cadres législatifs désuets, telle la Loi sur les forêts et la puissante Loi sur les mines; des réformes pourtant essentielles dans l’optique d’un partage concerté et équilibré du territoire.

Plus de transparence nécessaire

Les Libéraux disent vouloir mettre en oeuvre leur Plan Nord « de manière concertée » (1). Cependant, l’information arrive au compte-gouttes et ni les groupes environnementaux, ni les associations industrielles, ni même les populations locales et les nations autochtones – pourtant les plus directement touchées par ce plan – n’ont été véritablement consultés jusqu’à maintenant. 

Contrairement au processus mis de l’avant en Ontario (6), aucune table de concertation multipartite n’a été annoncée dans le cadre de l’élaboration et la mise en oeuvre du Plan Nord. Ce dernier ne prévoit pas non plus de soutien aux collectivités – les nations autochtones en particulier pour la mise sur pied de plans d’aménagements du territoire qui seraient à la fois conformes à leurs droits/intérêts et aux objectifs de préservation du patrimoine naturel.

Prétendre à une vision durable du Nord québécois doit également passer par l’acquisition de nouvelles connaissances et par une compréhension rigoureuse du milieu, notamment selon les savoirs scientifiques et autochtones. Le Plan Nord ne prévoit toutefois que très peu de mesures en ce sens et aucun soutien à la recherche n’est prévu, par exemple, pour évaluer le potentiel d’absorption de gaz à effet de serre du territoire visé, ou pour mieux en caractériser sa biodiversité (7).

Somme toute, il faut s’inquiéter des répercussions potentielles de l’actuel Plan Nord sur l’environnement et le milieu social. Plutôt que d’ancrer le Plan Nord dans la lignée des stratégies de développement qui datent d’une autre époque, les Libéraux sont invités à repenser et renouveler l’économie pour un Plan Nord véritablement viable, durable et équitable. Consulter de « Nation à Nation » les Autochtones affectés, de même que respecter l’ensemble des principes directeurs de la Loi sur le développement durable du Québec, que les Libéraux ont eux-mêmes adoptés en 2006, constitueraient « un minimum » avant d’aller plus loin avec le Plan Nord.

 



Par Ugo Lapointe
B.Sc. génie géologique, Candidat à la maîtrise, Institut des sciences de l’environnement (UQAM)
Membre et porte-parole de la
Coalition pour que le Québec ait meilleure mine!


Ugo Lapointe est ingénieur géologue de formation, spécialisé dans le domaine de la géologie économique et de l’exploration minérale. Il est présentement candidat à la maîtrise à l’Institut des Sciences de l’environnement (UQAM), où il s’intéresse entre autres aux ententes de collaboration négociées entre les entreprises minières et les communautés affectées. Ugo est également chercheur associé au GRAMA et à la Chaire C.A.- Poissant de recherche sur la gouvernance et l’aide au développement (UQAM), de même qu’au Pakumshumwau-Matuskau Project (McGill-Wemindji). Ugo Lapointe est présentement l’un des porte-parole de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine!, un organisme « de bonne foi » qui s’est donné pour mission d’engager le Québec dans une réforme en profondeur de la façon dont il encadre et développe ses ressources minérales, tout en assurant dans les faits une amélioration et une protection accrues de l’environnement, des citoyens et de la qualité de vie.

 


Sources :
(1) Plan Nord : Volet développement durable, communiqué du Parti Libéral du Québec, 15 novembre 2008.
(2) Le Plan Nord définit de façon peu précise le « Nord » comme étant le territoire situé au nord du 49e parallèle. Or, la limite nordique des attributions commerciales de bois longe surtout le 51e parallèle.
(3)
An Inventory of Abandoned Mining Exploration Sites in Nunavik, Canada”, Duhaime, Gérard, Nick Bernard et Robert Comptois. 2005. The Canadian Geographer, Vol.49(3), 260-271. Dix-huit de ces sites ont reçu l’appellation de sites « majeur » et feront l’objet d’une restauration d’ici 2012. De telles données n’existent pas pour le secteur de la Baie-James, plus au sud.
(4) Ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec, Rapports annuels 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008.
(5) C’est ce qui ressort entre autres de recherches actuellement menées entre la Nation crie de Wemindji et un groupe d’universitaires principalement issus de McGill, mais dont l’ensemble des résultats n’est  pas encore publié.
(6) Protecting a northern boreal region one-and-a-half times the size of the Maritimes, communiqué du gouvernement de l’Ontario, 14 juillet 2008.
(7) Une initiative intéressante en ce sens – bien que modeste en proportion
est celle de l’Atlas de la biodiversité du Québec Nordique, menée conjointement par le MDDEP, la Fondation Monaco et l’organisme Ouranos (1 700 000 $ sur trois ans)

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