L’échec de Copenhague

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Par René Audet, chercheur postdoctoral au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa
et Patrick Bonin, coordonnateur Énergie-Environnement, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)


 

Mots-clés : Kyoto, Copenhague, CCNUCC, Chine, États-Unis, responsabilité commune mais différenciée.

Une percée « importante, mais insuffisante » : voilà comment le Président Barack Obama a qualifié l’Accord de Copenhague le 19 décembre dernier, lors de la Quinzième conférence des Parties (COP15) de la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique (CCNUCC). Ainsi, au dernier soir de la Conférence, le Président américain pouvait se prononcer sur un texte que la grande majorité des Parties n’avait pas encore eu l’occasion de consulter. Dans la nuit qui suivit se tint une séance plénière explosive au sujet de cet accord qui ne répondait visiblement pas aux exigences de plusieurs pays en développement quant au niveau d’ambition du texte et à sa nature déclaratoire et non contraignante. La poussière étant maintenant retombée, il convient de faire le point sur les résultats de ce « quasi-échec», ainsi que sur les leçons apprises à la COP15. Quels conflits politiques et diplomatiques se cachent sous cet Accord de Copenhague? Qu’est-ce que cet accord politique ne dit pas ou laisse de côté?

 

Un texte juridiquement flou

En termes de droit international, une sorte de flou règne autour du statut de l’Accord de Copenhague. Ce texte, proposé par Barack Obama et négocié par une poignée de chefs d’État pendant la dernière journée de la conférence, n’est nulle part mentionné dans les documents de négociation de la CCNUCC. Si on peut le retrouver en format électronique sur le site Internet de la CCNUCC, c’est pour découvrir que les Parties à la convention ont choisi, lors de la séance plénière de clôture, de « prendre note » de son existence. L’en-tête du texte nous apprend que les pays pourront signifier volontairement leur adhésion à cette série de principes déclaratoires.

Car il s’agit bien d’une simple déclaration politique sans aucune attache légalement contraignante pour ses signataires. La faiblesse du texte vient évidemment des désaccords profonds entre les pays. Il faut donc s’interroger sur l’identité des responsables, des intransigeants, qui ont fait en sorte que le contenu de l’Accord soit amputé de toute ambition digne de ce nom.

 

Obama, la Chine et le « blame game »

Au lendemain de la COP15, les commentateurs et les analystes ont tôt fait d’accuser la Chine d’avoir saboté l’accord. Ils dirent que le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, aurait refusé de rencontrer le Président américain et les autres chefs d’État. Plus tard, Barack Obama aurait même forcé une porte afin d’assister à une rencontre informelle entre les quatre du BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine). Ils accusent également la Chine d’avoir vidé le texte de tous les chiffres (années de référence, suggestions de cibles de réduction, etc.) qui auraient permis de « mettre un prix sur le carbone ». Avec la croissance de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et de son économie fondée sur la combustion du charbon, la Chine deviendrait le véritable obstacle au renouvellement des efforts en matière de lutte contre le changement climatique. La Chine, en définitive, serait responsable de la débâcle de Copenhague. C’est ce que rapportait largement la presse occidentale, y compris au Québec.

Or, cette lecture est distordue et fausse. Dans un processus de négociation multilatérale aussi encadré que celui de la Conférence des Parties de la CCNUCC, le bon fonctionnement repose en grande partie sur le respect des procédures et des consensus antérieurs. L’ordre du jour étant déterminé des mois à l’avance, le modifier peut devenir une affaire politiquement sensible. Dans le cas de la COP15, les tentatives des pays développés (PD) pour modifier l’ordre du jour et la structure du processus de négociation ont complètement fait dérailler les discussions et ont gaspillé une somme énorme de temps et d’énergie, en plus d’entacher la crédibilité de la CCNUCC.

 

Contentieux relatif au « Two-Tracks »

Depuis la Feuille de route de Bali de 2007, les négociations sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre reposent sur deux textes négociés en parallèle dans un processus que l’on qualifie de « Two-Tracks ». Le premier texte porte sur le renouvellement du Protocole de Kyoto pour la période 2012-2020. Depuis son entrée en vigueur, le Protocole de Kyoto a été critiqué pour plusieurs raisons, notamment pour son manque d’ambition ou l’absence de cibles pour les pays en développement (PED). Or, malgré tous ses défauts, le Protocole de Kyoto a la qualité d’être un traité légalement contraignant pour ses adhérents. En outre, on y trouve la réglementation entourant une série de « mécanismes de flexibilité » permettant de faciliter l’atteinte des cibles de réduction, comme les programmes d’échange de permis d’émission, les programmes de mise en œuvre conjointe et le Mécanisme de développement propre (1). En conséquence, son renouvellement représente la base la plus prometteuse pour à la fois l’obtention d’un nouveau traité légalement contraignant sous l’autorité du secrétariat de la CCNUCC et la reconduction des mécanismes de flexibilité.

Le deuxième texte en cours de négociation concerne la mise à jour de la Convention elle-même (la CCNUCC) dans le but de tracer l’avenir à long terme du régime de réglementation des émissions de GES. On y trouve des considérations relatives à des cibles de réduction pour tous les pays d’ici 2050 et à l’identification d’une année où les émissions mondiales de GES devraient plafonner et, par la suite, diminuer, ceci afin de maintenir l’augmentation des températures moyennes à moins de 2 degrés Celsius par rapport à l’ère préindustrielle. Ce texte prévoit l’existence de nouveaux mécanismes de flexibilité et de mise en œuvre facilitant l’atténuation des émissions et l’adaptation au changement climatique dans les pays du Sud et du Nord. Plusieurs acteurs pensent que ce second texte devrait également s’avérer légalement contraignant, mais il n’y a pas encore de certitude à cet égard.

Ainsi, selon la Feuille de route de Bali, cette structure bicéphale doit mener à un accord couvrant à la fois le court terme (par le renouvellement du protocole pour 2012-2020) et le long terme. C’est cela que les pays développés, les États-Unis et le Groupe parapluie en tête (2), ont tenté de saboter tout au long de la conférence. L’habituel conflit Nord-Sud a donc donné lieu à une bataille de procédure, les pays développés essayant à plusieurs reprises de fusionner les deux textes ou de simplement mettre de côté les négociations sur le Protocole de Kyoto, et les pays en développement bloquant toute tentative de s’écarter de l’ordre du jour établi à Bali. Dans ce contexte, il faut considérer l’Accord de Copenhague comme l’ultime effort des pays développés pour sortir du Two-Tracks.

 

Interprétation « commune, mais différenciée »

Cet affrontement implique un véritable conflit d’interprétation au sujet du principe de « responsabilité commune, mais différenciée » qui est au cœur du régime actuel en matière de réduction des émissions de GES.

Du côté des PED, on retient de ce principe l’idée d’une inégalité historique au niveau des émissions de GES : leur accumulation dans l’atmosphère est en grande partie attribuable aux pays industrialisés. Par ailleurs, selon le G77, le Groupe africain et le Groupe des pays les moins avancés, le « droit au développement » des pays pauvres ne saurait être compromis par la lutte contre le changement climatique. La « responsabilité » du problème appartient aux pays développés et c’est à eux qu’il appartient de faire les principaux efforts d’atténuation. Du même coup, cette responsabilité suppose l’obligation d’aider les principales victimes du changement climatique, en finançant notamment l’adaptation au changement climatique et le transfert de technologies qui permettra au Sud de se développer tout en bénéficiant d’une économie plus verte. Il est hors de question, pour les PED, de saborder le Protocole de Kyoto ou de le fusionner à un autre texte dont le statut légal demeure incertain. Pour ces pays, le Two-Tracks demeure l’option la plus respectueuse du principe de « responsabilité commune, mais différenciée ».

Du côté des PD, le sens du concept de responsabilité commune est autre : le problème du réchauffement climatique touchant l’ensemble de la planète, c’est à tous de s’en occuper. Contrairement au discours du Sud qui identifie des responsables, le discours du Nord s’attache à trouver des solutions. Si cette responsabilité est différenciée selon les capacités des pays, elle demeure commune et l’effort devrait être partagé en fonction des capacités des pays. Ainsi, les PD acceptent l’idée de financer l’aide à l’adaptation selon une logique conventionnelle d’aide internationale, mais la plupart exigent des formes d’action immédiate de la part des pays en développement pour atténuer les émissions de GES. Étant donné les niveaux d’émission des grands pays émergents comme la Chine et l’Inde, tout accord qui n’inclurait pas ces pays serait injuste. Puisque seul le texte sur la coopération à long terme suppose une participation des pays en développement, c’est la principale base de négociation qui convient aux États-Unis et au Groupe parapluie.

Dans un registre plus stratégique, les pays européens savent également que la réduction des émissions mondiales est impossible sans la participation des États-Unis. Or, la position américaine est relativement complexe. D’une part, il est assez évident que la ratification du Protocole de Kyoto est improbable aux États-Unis, même sous un gouvernement plus conscient des changements climatiques. D’autre part, l’administration américaine ne désire pas s’engager dans un quelconque traité sur le climat qui exclurait les mécanismes de flexibilité encadrés par le Protocole de Kyoto, puisqu’elle aura besoin de ces outils pour atteindre d’éventuelles cibles. Pour les États-Unis, la meilleure solution serait donc de fusionner les deux textes. L’Europe appuie les États-Unis, malgré le malaise qui en résulte, sachant qu’elle sacrifie ainsi son statut de leader climatique. Quant aux autres pays développés signataires du protocole, ils sont majoritairement en voie de rater leurs cibles de Kyoto et préfèrent donc oublier leurs précédents engagements.

 

C’est la faute à…

Peut-on vraiment accuser la Chine, le BASIC ou l’ensemble des pays en développement d’être à l’origine du désaccord de Copenhague? En examinant rétrospectivement le déroulement de la COP15, il faut bien souligner que la bataille procédurale qui a miné la conférence n’a pas véritablement été déclenchée par les pays en développement ou la Chine, mais bien par le Groupe parapluie et même, dans les dernières heures de la conférence, par la Présidence danoise de la COP15 (3). C’est, en fin de compte, les divergences d’interprétation de la responsabilité commune, mais différenciée qui ont continué de s’exprimer dans cette bataille.

 

 


 

Par René Audet, chercheur postdoctoral au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa

René Audet est chercheur postdoctoral au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université d’Ottawa. Ses travaux portent sur les discours diplomatiques sur le changement climatique et la libéralisation du commerce, ainsi que sur les phénomènes d’inégalités écologiques et d’injustice environnementale. Il enseigne aussi la sociologie de l’environnement à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Montréal

 


et Patrick Bonin, coordonnateur Énergie-Environnement, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA)

Patrick Bonin est coordonnateur Énergie et Environnement à l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). Il possède une maîtrise en sciences de l’environnement de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQÀM, un diplôme d’étude supérieures en éducation relative à l’environnement ainsi qu’un baccalauréat en administration des affaires, concentration sécurité et gestion de crises. Il siège présentement au sein du conseil exécutif de la Coalition Québec Kyoto et du conseil d’administration du Réseau action climat Canada.

 

Sources :

(1) Clare BREIDENICH, Daniel MAGRAW et Anne ROWLEY. 1998. « The Kyoto Protocol to the United Nations Framework Convention on Climate Change », dans American Journal of International Law, vol. 92, no 2, p. 315-331.

(2) Le Groupe parapluie est une coalition ouverte de pays non EU développés qui s’est formée après l’adoption du Protocole de Kyoto. Bien qu’il n’existe pas de liste formelle, le groupe est habituellement composé de l’Australie, du Canada, de l’Islande, du Japon, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, de la Fédération russe, de l’Ukraine et des États-Unis. Le Groupe parapluie évolue à partir du groupe JUSSCANNZ, lequel fut actif durant les négociations du Protocole de Kyoto. JUSSCANNZ est une abréviation pour Japon, États-Unis, Suisse, Canada, Australie, Norvège et Nouvelle Zélande. Source : CCNUCC, www.unfccc.int

(3) Pour un compte-rendu quotidien des événements de la COP15, consulter notre blogue ou encore le Bulletin Œconomia Humana de février 2010, volume 8, numéro 1. Les auteurs ont assité au déroulement de la COP15 sur place, à Copenhague.

 


La Chaire de responsabilité sociale et de développement durable ainsi que le Réseau entreprise et développement durable collaborent avec GaïaPresse en vue d’améliorer la compréhension des enjeux de développement durable. La responsabilité sociale des entreprises, le commerce équitable, les changements climatiques, la consommation responsable et la gestion de l’environnement ne sont que quelques exemples des sujets traités par la Chaire et le Réseau et susceptibles d’intéresser le grand public. Par le biais d’analyses régulières, la Chaire et le Réseau contribuent à la diffusion d’informations francophones rigoureuses et pertinentes sur des enjeux environnementaux d’actualité.

 

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