Développement durable et souveraineté sur les ressources

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Par Roméo Bouchard
Coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions


 

Mots-clés : démocratie, débat, écologie, ressources naturelles, territoires, économie néolibérale, régions-ressources

L’écologie doit s’actualiser dans des processus économiques, sociaux et politiques. Les ressources naturelles sont au cœur de ces processus et le temps est venu d’amener le débat écologique sur le terrain de la gestion des ressources naturelles sur nos territoires.

 

La mainmise du privé sur les ressources naturelles

La mainmise sur les ressources naturelles est plus que jamais au cœur de l’économie néolibérale mondialisée. Les pays et les régions qui détiennent des ressources naturelles stratégiques, comme le pétrole, le gaz, les métaux, la forêt, les sols cultivables, l’eau, les sources d’énergie électrique propre et renouvelable, les poissons, les sites naturels convoités, deviennent rapidement la proie des multinationales et l’objet d’un pillage systématique en faveur des économies développées ou en croissance rapide. Non seulement les «régions-ressources », comme on ose les désigner sans égard pour les populations qui les habitent, ne récoltent que des miettes de cette dilapidation sauvage de leur gagne-pain, mais, en plus, elles héritent d’une irréparable dégradation de leur environnement et de leurs écosystèmes naturels. L’Afrique en est sans doute la meilleure illustration.

En raison de la concentration des entreprises, l’exploitation des ressources naturelles échappe désormais aux populations et aux gouvernements locaux. Elle profite essentiellement à des intérêts et des actionnaires loin des territoires concernés. Nous assistons à un transfert massif des ressources et des biens collectifs vers des intérêts privés, au détriment des populations traditionnelles des territoires concernés. Le libre-échange a produit une mainmise planétaire sur les ressources des différents peuples de la terre et, par conséquent, sur leur pouvoir de se gouverner et de vivre.

L’effondrement des économies des régions périphériques, avec les disparités sociales qui en découlent, en est le résultat. La crise des finances publiques des gouvernements occidentaux est aussi en grande partie le résultat de cette perte de contrôle des États sur leurs ressources naturelles. Privés de la richesse produite par l’exploitation de leurs ressources naturelles, les États sont de moins en moins capables de financer leurs politiques sociales. Les populations ne partagent plus la richesse produite : l’exploitation se fait avec de moins en moins de travailleurs, dont le pouvoir d’achat n’augmente pas, par ailleurs, au rythme de la productivité. En contrepartie, on augmente leur marge de crédit, jusqu’à éclatement de la bulle ainsi gonflée.

La loi du marché laissée à elle seule, on en a la démonstration, ne conduira jamais au développement durable.

 

La souveraineté sur les ressources naturelles

La souveraineté populaire sur les ressources naturelles apparaît donc comme la base incontournable de tout développement durable et de toute démocratie. Ce principe, ou plutôt ce droit, devrait être inscrit dans la constitution de chaque pays. Les ressources appartiennent au peuple qui habite un territoire politique, et il revient au gouvernement légitime de ce territoire de décider démocratiquement avec qui, pour qui et comment ces ressources seront mises en valeur.

Plusieurs pays d’Amérique latine ouvrent la voie actuellement à une nouvelle façon de comprendre et d’exercer cette souveraineté populaire sur les ressources naturelles dans le cadre d’un modèle qui conjugue à la fois économie de marché, socialisme et démocratie. On en trouve les meilleurs exemples dans la Bolivie d’Evo Morales, l’Équateur de Rafael Correa, le Venezuela d’Hugo Chavez et, à un degré moindre, le Brésil de Luiz Inácio Lula da Silva.

Ces expériences qui s’inspirent du modèle bolivarien demeurent fragiles et pleines de contradictions. Mais elles tracent la voie à une solution de rechange au modèle néolibéral occidental et se distinguent foncièrement du modèle socialiste classique, aussi bien que du modèle chinois actuel.

En Bolivie, la démarche est venue de l’opposition des populations pauvres et indiennes à la privatisation de l’eau potable et des ressources stratégiques de gaz naturel en faveur de multinationales étrangères. Devenu président, le leader de ces luttes, Evo Morales a entrepris de renégocier les partenariats avec les grands exploitants et propriétaires, mais il a vite compris que, pour s’attaquer au pouvoir des multinationales et des riches propriétaires des régions favorisées, il devait impliquer toute la population dans une démarche démocratique d’élaboration et d’adoption d’une constitution qui consacre le principe de la souveraineté populaire sur les ressources naturelles et le droit de toutes les régions et des communautés indiennes à s’autogouverner et à tirer parti des bénéfices générés par l’exploitation de ces ressources naturelles.

L’outil démocratique utilisé fut une constituante élue. Malgré le terrorisme des possédants, la constitution a été adoptée, et la mise en place de programmes sociaux populaires grâce aux redevances accrues sur les ressources a valu à Morales une réélection sans équivoque qui lui permet maintenant de compléter la démocratisation et la décentralisation définies dans la constitution.

 

Une dernière chance pour la démocratie… et la planète

Un tel projet constitue évidemment un défi considérable dans le contexte de la mondialisation, du libre-échange et de la dégradation actuelle du processus démocratique. Il indique peut-être néanmoins qu’il est encore possible de sauver la démocratie, et du même coup, de freiner, d’une part, l’épuisement des ressources et des écosystèmes de la planète, et d’autre part, la concentration insoutenable de la richesse.

Le débat actuel sur les finances publiques occulte systématiquement la question des ressources naturelles et du partage de la richesse qui devrait en découler. Au lieu de remettre en question le transfert systématique de la richesse produite à des intérêts privés, il est proposé le plus souvent de diminuer les services collectifs fournis par l’État et d’augmenter la contribution des citoyens, de façon à laisser, plus que jamais, le champ libre à une croissance illimitée et irresponsable qui ne profite en définitive qu’aux grands actionnaires et aux grands banquiers.

Le développement durable passe obligatoirement par la démocratie et la souveraineté sur les ressources naturelles.

 


 
 
Par Roméo Bouchard
 Coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions
 
Cofondateur et ex-président de l’Union Paysanne, Roméo Bouchard est auteur, agriculteur biologique, enseignant, militant bien connu pour ses luttes en faveur, notamment, du développement régional. Il a publié aux Éditions Écosociété Plaidoyer pour une agriculture paysanne et Y a-t-il un avenir pour les régions? Ce diplômé de philosophie, de théologie, d’histoire et de sciences politiques est né au Lac-Saint-Jean et vit depuis de nombreuses années dans le Bas-du-Fleuve. Organisateur du Symposium de peinture de Saint-Germain-de-Kamouraska, collaborateur du Mouton noir, il est impliqué dans toutes les associations qui interviennent dans les problèmes de développement local dans son village, sa région, au Québec et même en Europe.
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