Faire des mines une véritable source de richesse collective

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Par Harvey Mead

Mots clés : bilan de l’activité minière, redevances, épuisement de ressources non renouvelables, cuivre, expéditions minérales, Plan Nord


L’exploitation des ressources non renouvelables est le sujet de nombreuses évaluations qui négligent le fait qu’elle entraine inévitablement un épuisement de la ressource. Par ailleurs, l’exploitation minière comporte des impacts environnementaux et sociaux qui ne sont presque jamais comptabilisés. La nouvelle Stratégie minérale du gouvernement du Québec réussit à rester dans un mode traditionnel à ces égards, même si le dépôt du projet de loi 79(1) répond en partie à plusieurs critiques quant au coût de la fermeture et propose de rehausser un peu les redevances officielles (mais assez facilement contournées).

Les tendances mondiales vont dans le sens d’une croissance de la consommation des minéraux (2) en dépit d’importantes innovations touchant des substituts et le recyclage. En même temps, au Canada, on note la diminution constante des réserves connues des métaux de bases (3). Ces tendances ne sont pas surprenantes, et devant les trois quarts de l’humanité qui vivent une situation de pauvreté importante, il semble illusoire de penser que ces populations pourront atteindre un niveau de vie raisonnable en fonction de modes de consommation tellement dématérialisés que le défi de l’épuisement des ressources minérales ne se posera pas.

Adapter les modes de consommation à la rareté

Le coût inhérent dans un changement des modes de consommation connus risque fort d’être important, en termes énergétiques et en termes du transport. Nous en voyons quelques indices dans l’obligation de rechercher notre pétrole dans les profondeurs des océans – ou en l’extrayant du bitume.

En dépit de ce qui semblerait une évidence, l’appel pour le maintien des courbes de croissance de la production de ressources non renouvelables, de la production économique en général, voire de la croissance démographique qui alimente les courbes, en partie, est le mot d’ordre de l’ensemble des économistes. Le magazine The New Scientist a fait un inventaire de plusieurs ressources minérales en 2007, pour mieux présenter la situation globale (Figure 1) face à cet appel.

 

Figure 1 – Estimations de la durée de vie de plusieurs ressources non renouvelables


Source : “Earth’s natural wealth : an audit”, David Cohen, 23 May 2007 : NewScientist.com news service

 Il est instructif à cet égard de regarder la courbe des expéditions de cuivre par le Québec au fil des décennies, qui illustre bien leur épuisement progressif et éventuellement définitif. Le cuivre est un métal qui a presque défini l’activité économique, voire culturelle, de l’Abitibi pendant cette période (tout en reconnaissant l’importance aussi de l’exploitation des gisements d’or dans la région) ; “avec la fermeture de la mine Louvicourt [en 2005], la dernière mine de cuivre d’importance au Québec…, le cuivre provient en tant que métal secondaire des mines de zinc et de nickel ainsi que de certaines mines d’or, dont la mine LaRonde de Mines Agnico-Eagle.” (4)

 

Figure 2 – Les expéditions québécoises du cuivre 1965-2009

Source des données : L’industrie minière du Québec et L’industrie minérale du Québec (MRNF).
Les chiffres ne tiennent pas compte du fait qu’une partie du cuivre
exporté a été importée par la fonderie Horne. 


Il semblerait presque évident que l’extraction des métaux représente une fuite en avant si elle n’est pas associée à un investissement correspondant pour compenser la disparition de la ressource. Nous ne vivons plus à une époque où la taille de la population et le niveau de consommation des ressources pouvaient être considérés négligeables et où l’amenuisement des stocks sans importance. Le XXIe siècle est une période d’atteinte de limites et de consolidation du capital qui reste.

Abandonner les évaluations traditionnelles

Dans l’échange récent entre l’éditorialiste Jean-Robert Sansfaçon du journal Le Devoir et le président de l’Association minière du Québec (AMQ), on voyait d’autres indices de l’écart entre des exigences qui vont s’imposer et une vision en rose de notre situation planétaire. Pour l’AMQ, tout doit être fonction des évaluations économiques traditionnelles : emplois créés, contribution au PIB, paiements de taxes et d’impôts. M. Sansfaçon soulignait une autre évidence : il n’est pas approprié pour l’État propriétaire d’un bien – dans l’occurrence, des minerais – de tout simplement donner ce bien à une entreprise qui va garder la communauté occupée pendant un certain temps tout en s’enrichissant.

L’Indice de progrès véritable (IPV) (5) cherche à mesurer le bien-être collectif de cette communauté, sur le long terme. Dans le secteur minier, le produit de la vente qui sert à enrichir l’entreprise minière ne correspond pas à un « vrai » revenu, et surtout pas à un revenu pour la communauté en échange de sa cession d’une partie de son capital naturel. Ce revenu correspond ou devrait correspondre plutôt au rendement de l’annuité qui peut être achetée avec le produit de la vente. 
Que la durée de vie de chaque mine soit plus ou moins longue, que les technologies et les prix sur les marchés permettent de changer le « taux de coupure » et retourner à des exploitations abandonnées (6), que les exploitants interviennent « durablement » en recherchant toujours de nouveaux gisements, rien de cela ne change le fait que l’activité élimine du territoire du Québec une partie du capital naturel qui s’y trouve. Ceci représente ainsi un appauvrissement progressif de la société. Les recettes provenant des expéditions sont la valeur de la ressource perdue, qui ne reviendra pas dans les comptes nationaux comme contribution au progrès. Ces recettes ne profiteront qu’aux actionnaires de l’exploitation minière.
 
Le Tableau 1 présente la valeur des expéditions de la production minière du Québec pour la période de 1990 à 2010. Il s’agit de la valeur brute obtenue sur les marchés pour les substances extraites ; il est présenté en ciblant les deux catégories pertinentes, les métaux et les minéraux industriels, selon les catégories habituelles utilisées par le MRNF et l’ISQ (7). Les montants en cause donnent une idée de la valeur d’une annuité qui pourrait être obtenue par l’investissement de ces sommes en vue du progrès à long terme de la société. Actuellement, ces sommes représentent les bénéfices bruts des entreprises minières qui ont reçu presque gratuitement les ressources minérales en cause. 

 

 

Tableau 1 – Valeur des expéditions des métaux et des minéraux industriels 1990-2010

 
Expédition de métaux et minéraux industriels en dollars constants 2002
 
1990
1 965,849
1991
1 907,268
1992
1 728,339
1993
1 798,973
1994
2 086,034
1995
2 608,352
1996
2 662,323
1997
2 694,988
1998
2 789,394
1999
2 898,481
2000
2 992,644
2001
2 890,335
2002
2 960,597
2003
2 949,081
2004
3 449,125
2005
3 379,078
2006
4 150,909
2007
5 192,676
2008
6 101,593
Source des données : MRNF
 
 

Le Québec égal au Tiers-Monde? 

En retour d’emplois de moins en moins importants par rapport aux recettes, le gouvernement cherche à donner aux entreprises (8). Le fascinant rapport de la Commission des Nations Unies pour le commerce et le développement (UNCTAD) en 2008 conclut à ce sujet que « si l’on classe les pays moins avancés en fonction de leur spécialisation à l’exportation, l’incidence de la pauvreté est la plus élevée chez les exportateurs de produits de base, c’est-à-dire ceux pour lesquels le pétrole, les minéraux et les produits agricoles représentent la majorité des exportations. » (9) ces ressources non renouvelables, transformées en profits, qui en général sortent de la province, à l’instar des pays du Tiers monde.

Plus, le gouvernement maintient en place depuis des décennies des programmes pour encourager les entreprises à le faire, accentuant la contradiction entre l’exploitation traditionnelle de ces ressources et sa contribution à notre progrès. En outre, le Plan Nord du gouvernement relancera vraisemblablement toute une série d’initiatives allant à l’encontre des orientations de l’analyse présentée ici.

En 2002, Mine Alerte Canada et le Pembina Institute ont publié les résultats de travaux visant à identifier et à quantifier les incitatifs gouvernementaux du Canada et du Québec au développement du secteur minier (10). La toute récente publication de l’Institut de recherches et d’informations socio-économiques (IRIS) sur la question met à jour ce travail. (11). L’IRIS met en évidence ce que l’Institut Fraser souligne chaque année : “En 2007–2008 et en 2008–2009, sur un total d’environ 70 juridictions et pays évalués, le Québec figurait au premier rang du classement. En d’autres termes, pour l’Institut Fraser, la législation québécoise présente le cadre légal le plus attrayant au monde pour les investisseurs en exploration minière. Cela implique donc que le Québec offre le cadre légal le plus permissif en la matière à l’échelle internationale.'”(12).

Comme contexte pour leur étude, le rapport Sous la surface, dès ses premiers paragraphes, mettait un accent sur l’idée de réinvestir une partie des recettes provenant des expéditions minérales dans des actifs qui transformeraient l’activité minière en une contribution permanente au progrès de la société. L’étude de l’IRIS et le rapport du Vérificateur général (13) poursuivent la réflexion, dans le sens de notre travail sur l’IPV, ciblant l’intérêt des “moyens complémentaires à l’extraction”, tels le recyclage et la réutilisation, afin de favoriser la préservation des ressources minières pour les générations présentes et futures.

L’IPV, suivant une approche élaborée depuis vingt ans (14), propose de consacrer 100 % des recettes à de telles initiatives ou d’autres: il s’agit de profiter de cette retombée monétaire de l’activité, momentanée, pour établir des structures sociétales qui permettront plus généralement un bien-être en perpétuité au niveau permis par la valeur de l’extraction. Cela enlèverait vraisemblablement l’intérêt pour le secteur privé d’y intervenir. En suivant ce cheminement, mais sans spécifier le niveau de la redevance, l’IRIS arrive à une recommandation en faveur de la nationalisation de l’activité minière: “Une telle remise en question ne peut cependant pas être laissée à l’initiative du secteur privé. La nationalisation de l’industrie pourrait constituer la première phase d’un tel changement de cap sur le plan économique.” (15)

Le coût des impacts des activités minières 

L’activité minière n’est pas limitée dans son impact sur le progrès de la société québécoise à l’épuisement des ressources non renouvelables qui en est son résultat. L’activité comporte également des impacts environnementaux et sociaux qui ont des incidences économiques et sociales qui méritent qu’on y apporte une attention particulière. Les données monétaires pour ces coûts n’existent pas (16), comme c’est le cas pour plusieurs autres composantes de l’IPV. L’accent des économistes est mis partout sur la production, sans chercher à suivre le coût de ses impacts ; ils sont pour eux de simples “externalités”.

Ces impacts doivent être monétarisés et inclus, rétroactivement, dans le bilan de l’industrie minière au fil des ans. Ils incluent :
les coûts associés à toute une série de problèmes de santé connus par les mineurs, connus tout d’abord lors de l’extraction, de l’amiante, par exemple, et ensuite d’autres problèmes de santé subis par la population en fonction de son utilisation, si on garde l’exemple de l’amiante (17);
 différents impacts localisés autour des quelque 345 sites orphelins qui représentent des coûts pour la société dans les centaines de millions de dollars ;
le coûts des impacts environnementaux “résiduels” des mines toujours en opération et respectant la réglementation en place;
 le coût de l’amortissement des dépenses gouvernementales lors de l’ouverture de nouvelles mines (18)
 le coût qui doit être associé à la fermeture des villages miniers ;
 le coût de la perte de “productivité” des territoires occupés par les sites miniers et ceux dans les environs qui subissent une dégradation plus ou moins importante ;
 le coût associé aux accidents de travail, voire aux décès qui arrivent dans cette industrie parmi les plus dangereuses qui soient.
 

Pour des mines qui génèrent de véritables bénéfices                                                                 

 L’activité minière est une activité qui par sa définition même ne peut “durer”. Une société comme le Québec qui fait la promotion d’un “développement durable” doit tenir compte de cette particularité. Suivant d’autres travaux étalés sur plus de vingt ans, nos travaux sur l’IPV pour le Québec ne considèrent pas la valeur associée à l’extraction minière comme une contribution directe au progrès de la société. L’IPV soustrait du PIB en conséquence toute la valeur des expéditions minérales du bilan économique et social du Québec. Il propose que cette valeur, les recettes des compagnies minières, soient allouées, en entier, à des investissements permettant de générer des retombées permanentes. C’est ainsi que la société peut profiter de ces ressources dans son sous-sol, pour le bénéfice de la population, en perpétuité.

Actuellement, ces retombées sont les profits des sociétés minières, souvent et de plus en plus étrangères. L’État ne cherche à retenir que peu de bénéfices de l’activité, une culture étant en place depuis le début de la colonie qui ne cherche qu’à assurer des emplois, aussi limités dans le temps soient-ils. À travers tous les débats et toute la réflexion en cours sur l’avenir minier du Québec, il reste que l’approche prônée par l’IPV ne s’y trouve pas. L’exception est l’intervention de l’IRIS (19). en faveur de la nationalisation des entreprises du secteur minier. Il est en effet difficile à concevoir le régime qui verrait le secteur privé se déployer en sachant que la totalité de ses recettes d’exploitation serait à verser dans un fonds d’investissement gouvernemental pour assurer la transformation de l’épuisement des ressources en source de revenu à long terme.(20)
 

Le texte préliminaire complet du chapitre de l’IPV sur le secteur minier se trouve à ici.  

 

Figure 1         Production mondiale de cuivre 1960-2005 (en kilotonnes)


Source : http://www.pro-at.com/analyse-bourse/technique-1-7883.html

 

Figure 2         Production mondiale de zinc 1900-2005 (en kilotonnes)


 Source : http://www.unctad.org/infocomm/francais/zinc/marche.htm#production

 
 

Figure 3         Production mondiale de nickel 1935-2005 (en kilotonnes)


Source : http://www.unctad.org/infocomm/francais/nickel/marche.htm#production

 

Figure 4         Production mondiale de fer et d’acier 1980-2005 (en kilotonnes)


 Source : http://www.unctad.org/infocomm/francais/fer/marche.htm

 


(1)  Pour les détails, voir http://www.mrn.gouv.qc.ca/mines/quebec-mines/2010-02/projet.asp
(2)  Source : http://www.unctad.org/infocomm/francais/zinc/marche.htm#production – voir les graphiques en annexe
(3)  Le soutien à l’industrie minière : Quels bénéfices pour les contribuables, par Laura Handal, chercheure-associée, Institut de recherches et d’informations socio-économiques (IRIS), pp.41-42, en se basant sur les publications de Ressources naturelles Canada.
(4)  http://www.stat.gouv.qc.ca/publications/referenc/quebec_stat/eco_min/eco_min_10.htm
(5) L’auteur travaille actuellement en vue de la publication prochaine d’un tel IPV pour le Québec.
(6)  À des coûts énergétiques et autres de plus en plus importants au fur et à mesure que le « développement » continue.
(7)  Nous ne tenons pas compte d’une troisième catégorie suivie par le MRNF, les matériaux de construction, abondants partout.
(8) Cf. le Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2008-2009, tome II, chapitre 2, Interventions gouvernementales dans le secteur minier (mars 2009). Le rapport de vérification a été fait sous la direction du Commissaire au développement durable, en 2008 – http://www.vgq.gouv.qc.ca/fr/fr_publications/fr_rapport-annuel/fr_2008-2009-T2/fr_Rapport2008-2009-TII-Chap02.pdf 
(9)  Rapport 2008 sur les pays les moins avancés : Croissance, pauvreté et modalités du partenariat pour le développement (Genève, 2008), pp.1-11.
(10) Sous la surface : Une estimation de la valeur du soutien aux mines de métaux au Canada – Mines Alerte et Pembina Institute, Mark Winfield, Catherine Coumans, Joan Newman Kuyek, François Meloche, Amy Taylor (octobre 2002). L’étude portait sur les métaux.
(11) IRIS, op.cit., pp.41-42. Comme Sous la surface, le rapport de l’IRIS porte sur les mines métalliques
(12)  IRIS, op.cit., p.37, nos italiques
(13) Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2008-2009, tome II, chapitre 2, Interventions gouvernementales dans le secteur minier (mars 2009) -  Le rapport de vérification a été fait sous la direction du Commissaire au développement durable, en 2008.
(14)  Cf. Daly, Herman E. et John B. Cobb Jr., For the Common Good : Redirecting the Economy Toward Community, the Environment and a Sustainable Future, Boston (Beacon Press), 1989, pp. 437-440; cf. aussi pp.151-158 pour une présentation détaillée de l’approche.
[2] Op.cit., pp.439-440. 
[2] À des prix de plus en plus importants au fur et à mesure que le « développement » continue.
(15)  Op.cit., p.45. La section Recommandations semble suggérer une redevance de l’ordre de 10 % de la valeur des expéditions.
(16)  La seule exception est le suivi de la dette encourue par l’État lorsqu’il hérite de sites miniers « orphelins ».
(17)  La saga continue, alors que le Premier ministre fait la promotion de l’amiante à travers le monde.
(18) Le budget 2009-2010 inclut des sommes importantes pour la construction de deux routes destinées à desservir deux nouvelles mines. Il ne vient pas à l’esprit de penser qu’il s’agit de coûts à déduire des bénéfices prévus.
(19) Voir pp.27-28 ci-haut.
(20) Déjà, en 2010, l’Australie annonce qu’elle va prendre 58% des profits des compagnies comme rente.

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