La participation publique en environnement a un prix

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Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

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Mots clés : Droit de l’environnement, participation publique, développement durable, groupes environnementaux, financement.

La participation du public en environnement est aujourd’hui un phénomène incontournable et est reconnue par de nombreux textes internationaux comme étant l’un des principes fondamentaux du développement durable. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement énonce même que « la meilleure façon de traiter les problèmes environnementaux est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés… » (1). En 2006, lors de l’adoption de la Loi sur le développement durable, le gouvernement du Québec disait s’inspirer directement de cette Déclaration. Pourtant, les groupes environnementaux et les citoyens préoccupés par l’environnement continuent de souffrir d’un grave manque de financement de la part de l’État québécois. Cette situation a de sérieuses conséquences, tant pour la qualité de notre environnement que celle de notre démocratie. 

 

Une déficience de financement généralisée

Par exemple, le Programme de soutien à la mission des organismes nationaux du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs ne finance que six groupes nationaux (2), pour un montant annuel maximum de 70 000 dollars. Pourtant, le « Fonds vert » créé par la Loi sur le développement durable et qui devait servir, entre autres, au financement des groupes s’enrichit de plus de 200 millions par année. Malgré cela, un groupe comme le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), qui existe depuis plus de 20 ans et vise à aider et informer les citoyens ou les groupes environnementaux sur les dimensions juridiques des problèmes environnementaux, s’est vu refuser tout financement par ce programme. Raison invoquée par le MDDEP : le CQDE n’œuvre pas environnement, mais « défend des droits ». Faut-il rappeler au ministère que le droit de toute personne de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité est reconnu dans la Charte des droits et libertés de la personne (3) depuis 2006 et dans la Loi sur la qualité de l’environnement (4), depuis 1978? Peut-on défendre l’environnement sans défendre des droits? Cette absence de financement a forcé la fermeture de la permanence du CQDE et l’empêche de répondre positivement aux nombreuses demandes de citoyens qui voudraient accéder au système de justice pour participer au respect de la législation environnementale en vigueur.

Au Québec, il est difficile, sinon impossible, de compter sur un financement venant du secteur privé pour de telles activités. Les mécènes d’entreprises, tout comme le MDDEP, préfèrent généralement financer des projets précis plutôt que la mission générale d’un groupe environnemental. On financera les groupes qui s’occupent de reboisement ou de l’ensemencement d’un cours d’eau, mais pas ceux qui luttent en amont pour empêcher la déforestation ou la destruction de nos milieux humides.

En outre, depuis 2003, les groupes environnementaux régionaux ou locaux « indépendants » ne reçoivent aucune aide financière de l’État, le gouvernement du Québec ayant concentré l’aide financière sur les groupes consultatifs comme les conseils régionaux de l’environnement ou les organismes de bassin versant.

 

Une participation bénévole à l’évaluation de projets fort lucratifs

De même, lorsque le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) reçoit le mandat de tenir des audiences publiques pour consulter les citoyens, les groupes et les individus intéressés n’ont droit à aucune aide financière. Or, le déséquilibre des moyens entre le maître d’ouvrage et les citoyens n’encourage guère la valorisation de la participation de ces derniers au processus d’évaluation environnementale. Si le premier peut compter sur des ressources d’entreprise et s’adjoindre d’onéreux spécialistes, les seconds dépendent uniquement du soutien populaire pour leurs activités. Prendre connaissance d’une volumineuse étude d’impact, l’analyser, rédiger un mémoire, se déplacer sur les lieux des audiences, tout cela demande temps et argent. D’ailleurs, au moment de l’adoption de la procédure d’évaluation environnementale, un article de la Loi sur la qualité de l’environnement, malheureusement jamais mis en vigueur, donnait au ministre de l’Environnement le pouvoir d’établir et d’administrer un fonds visant à favoriser la participation des personnes, groupes ou municipalités, à des audiences publiques (5). Même le BAPE s’est montré traditionnellement favorable à la mise sur pied d’un tel fonds (6). À titre comparatif, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale administre un programme de soutien financier lors d’une telle commission d’examen. 

Pense-t-on sérieusement qu’un groupe de citoyens, sans aide financière, peut jouer un rôle de contrepoids utile face à des géants comme Hydro-Québec, Gaz Métro, le ministère des Transports, Waste Management, Osisko, etc? Une simple visite sur le Registre des lobbyistes montre que certaines entreprises paient plusieurs dizaines de milliers de dollars à des lobbyistes pour faire des « représentations en vue d’obtenir les autorisations nécessaires en vertu de la loi sur la qualité de l’environnement ». Par exemple, une compagnie a versé, en 12 mois, plus de 100 000 dollars à un lobbyiste professionnel pour faire « des représentations en vue de convaincre le gouvernement provincial de favoriser l’entreprise privée, dont notre client, […], pour la réalisation d’un barrage hydro-électrique sur la rivière Kipawa ». Cette seule somme, qui sera considérée comme une dépense déductible d’impôt pour la compagnie, dépasse de loin le budget annuel de la Fondation Rivières, principal groupe environnemental québécois luttant contre le harnachement des rivières, entre autres par des compagnies privées. Pour ajouter à ce déséquilibre des moyens, le MDDEP a refusé, au même moment, à Fondation Rivières un financement lui assurant un fonctionnement minimal. Le client du lobbyiste doit être content… Aujourd’hui, malgré la notoriété de son fondateur et porte-parole, le comédien Roy Dupuis, Fondation Rivières n’a plus de local ni de permanence et son action ne repose que sur le bénévolat, avec les limites que cela impose.

Dans un pays de rivières comme le nôtre, où Hydro-Québec et plusieurs compagnies privées ont des visées sur toutes celles ayant un potentiel hydroélectrique, il serait pourtant sain et prudent, surtout dans une perspective de développement durable, d’avoir des groupes environnementaux ayant les moyens financiers de développer une contre-expertise crédible. À défaut, on condamne les groupes à des déclarations ou des gestes d’éclats, pas toujours habiles, pour essayer d’attirer l’attention des médias, mais sans nécessairement contribuer autant qu’il serait souhaitable à la qualité du débat public et aux décisions collectives à prendre.

 

Un prix à payer

L’absence de financement adéquat des groupes environnementaux a une autre conséquence néfaste bien connue, celle de semer la division parmi eux. On se bat pour obtenir les miettes de financement disponibles et ceux qui les obtiennent seront vite accusés d’accointance ou de complaisance avec les autorités. Le mouvement environnemental québécois, déjà en mode de survie, se fragilise lui-même encore plus par ses attaques et ses soupçons qui laissent des traces pendant fort longtemps et nuisent à d’éventuels fronts communs.

La démocratie représentative a un prix (système électoral, financement des partis, etc.). Malheureusement, au Québec, on ne semble toujours pas vouloir assumer celui associé au développement d’une démocratie participative, associée directement à l’atteinte éventuelle d’un développement qui soit durable. Contrairement à ce qui existe en France avec les associations agréées, ici les groupes environnementaux se battent pour leur survie financière. La tradition de mécénat privé est balbutiante au Québec et ne permet pas l’établissement de groupes environnementaux « puissants » comme on retrouve aux États-Unis ou au Canada anglais. Un don à un groupe environnemental ne donne pas droit à un crédit d’impôt, alors que c’est le cas pour un parti politique ou un organisme de charité. L’État québécois, malgré une Loi sur le développement durable, une Stratégie et des Plans du même nom, reconnaissant tous l’importance de « la participation et de l’engagement des citoyens et des groupes », continue de refuser de financer adéquatement d’importants acteurs du développement durable. Nous y perdons tous au change. Les générations futures aussi.

 

Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

Jean Baril est doctorant à la faculté de droit de l’université Laval, avec comme sujet de thèse le droit d’accès à l’information environnementale. Son mémoire de maîtrise, portant sur la procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, lui a valu le Prix Jean-Charles Bonenfant et la médaille de l’Assemblée nationale pour le meilleur mémoire de maîtrise touchant le domaine politique en 2006. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2006 et un citoyen impliqué dans des groupes liés à la protection de l’environnement.

 


Sources :

(1) Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, U.N. Doc. A/CONF.151/26Rev.1 (1992)
Principe 10.

(2) Fondation québécoise en environnement, Équiterre, Association québécoise pour la promotion de l’éducation relative à l’environnement, Environnement Jeunesse, Vivre en Ville et Cyclo Nord-Sud.

(3) L.R.Q., c. C-12, art. 46.1.

(4) L.R.Q., c. Q-2, art. 19.1

(5) Id., art. 2 d.1).

(6) BARIL, J., Le BAPE devant les citoyens, Québec, PUL, 2006, p. 143.

 


Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.

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