La biodiversité du Bas-Saint-Laurent – D'hier à aujourd'hui

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Par Patrick Morin
Agent en environnement et développement durable au Conseil régional de l’environnement du Bas-Saint-Laurent

Mots-clés : biodiversité, Québec, forêt, arbres, espèces animales.
 
Si je vous dis biodiversité perdue ou en danger de l’être, vous aurez probablement en tête des images d’animaux exotiques, comme le dodo, le panda ou les éléphants. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que la biodiversité d’ici est tout aussi menacée et déjà effritée : voyons à quoi ressemblait l’Est du Québec quand Jacques Cartier l’a abordé.
 

La biodiversité : à aiguilles

Quand Jacques Cartier a jeté ses premiers coups d’œil sur la région, remarquant au passage le relief de ce qui est aujourd’hui le Parc national du Bic, il pouvait y voir une végétation passablement différente de celle que vous et moi pouvons aujourd’hui côtoyer en marchant en forêt : la forêt était beaucoup plus vieille et haute, dominée par de majestueux et très abondants thuyas occidentaux (communément appelés cèdres), et aussi, dans une moindre proportion, par de grands pins blancs et des épinettes blanches. Vous me direz que ces espèces se trouvent encore aujourd’hui dans certaines de nos forêts. Je vous répondrai que oui, mais que notre forêt s’est grandement rajeunie, uniformisée et enfeuillée, de sorte qu’aujourd’hui, on ne laisse plus vieillir ces écosystèmes assez longtemps pour que ces géants plusieurs fois centenaires dominent le paysage.

Le régime actuel de gestion de nos forêts, où l’on récolte un peuplement à sa maturité commerciale, en moyenne tous les 80 ans, fait en sorte que tous les arbres du peuplement ont le même âge, une forêt dite équienne. Le régime naturel de perturbation au Bas-Saint-Laurent est dicté par les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette et les chablis, qui causent la mort d’une partie seulement des arbres d’un peuplement. C’est pourquoi on retrouvait au début de la colonisation un habitat très différent, où arbres jeunes et vieux se côtoyaient, soit une forêt dite inéquienne.

Bref, malgré la présence d’un cortège similaire d’espèces d’arbres, les écosystèmes forestiers ont beaucoup changé dans les derniers siècles, et les effets de ces changements se répercutent en cascade sur le reste de la biodiversité. De plus, la forêt précoloniale était surtout dominée par des conifères. Elle s’est enfeuillée parce que l’érable et le peuplier l’ont envahie en profitant des fréquentes perturbations humaines. Et finalement, il faut ajouter au portrait toutes les routes construites au fil des ans, qui ont fragmenté les grands massifs forestiers.

 

A poils

Concrètement, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que Jacques Cartier, dans notre forêt baslaurentienne, pouvait voir des caribous, des loups gris, des carcajous, pour ne nommer que certaines des espèces les plus visibles ! Plus récemment, à la fi n des années 1800, quand les premiers arpenteurs ont parcouru le territoire régional, ils ont rencontré une biodiversité qui en ferait rêver plus d’un aujourd’hui. Leurs carnets, par exemple celui de J.-Émile Girard, en 1890, aux abords de la rivière Assemetquagan (dont l’embouchure se trouve à 20 km en amont de Matapédia), en témoignent : « Le caribou existe en troupeaux ; on le tue à quelques arpents des habitations à l’embouchure de la rivière. Cependant comme sa peau se vend peu on le laisse à peu près tranquille. Aussi y a-t-il peu de danger que cette dernière espèce disparaisse bientôt. » Oui oui ! Le caribou était autrefois présent dans les forêts jusque dans le sud du Québec ! D’autre part, les premiers à arpenter la région avant sa colonisation n’auraient certainement pas vu de cerf de Virginie. Pourquoi ? Parce que le cerf est une espèce qui s’est accommodée de l’ouverture de la forêt par l’homme pour monter plus au nord ; l’espèce est d’ailleurs peu ou mal adaptée à la rudesse de nos hivers. À preuve, le nourrissage d’urgence des cerfs…

 

Ou à écailles

L’arpenteur Eugène Fafard écrivait en 1903 à propos des lacs Sloate et Jerry dans le canton de Packington au Bas-Saint-Laurent: « ces lacs étaient autrefois peuplés d’une quantité innombrable de truites rouges et blanches, mais depuis déjà un grand nombre d’années […] ces gens de Madawaska, qui sont toujours du reste bien fournis de seines, filets et de dynamite, finiront certainement un jour ou l’autre par détruire d’une manière bien complète toute espèce poissonneuse dans ces lacs ». La surexploitation ne date donc pas d’hier, et elle ne nous lègue qu’une partie de la richesse de la biodiversité originelle du territoire que nous occupons. Ces exemples ne sont que la pointe de l’iceberg, puisque des recherches ont démontré que la disparition de grandes espèces est un indicateur de la perte d’une biodiversité plus importante à plusieurs niveaux (plantes, oiseaux, insectes, etc.).

 

Assurance tous risques

En vous décrivant ainsi ce que notre région a perdu en termes de biodiversité naturelle, j’espère éveiller chez vous le sentiment que nos choix passés et actuels ont déjà modifié de façon importante la biodiversité qui est près de nous. Il serait très imprudent de penser que cela est sans conséquence pour nous : l’humain dépend à tous points de vue des services rendus par les écosystèmes pour son évolution passée, sa survie et son bien-être actuel et futur. Dans cette optique, le maintien de la biodiversité est l’une des meilleures polices d’assurance valables que l’on a, à long terme.

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